Ca vous manquait, Jeff Beck ? Ca tombe bien, il revient ! Bon, pour une fois, OK, mais quand même, il revient. On l'a quitté, sur le blog, en 1977 (mais on était en 2021 aussi, ah ah ah), avec le Live With The Jan Hammer Band qui a fait une sorte d'unanimité : un live correct, mais daté, il faut aimer le jazz-rock quand même, mais c'est pas trop mal dans l'ensemble. Avant de plonger dans sa période jazz-rock, le Jeff avait eu plusieurs casquettes : membre des Yardbirds, puis fondateur de son propre groupe, le Jeff Beck Group (au sein duquel a chanté Rod Stewart, et au sein duquel un certain Ron Wood était à la basse ; du moins, pour les deux, dans la première mouture du groupe). Une fois son Group splitté, en 1972, Beck va en former un autre, rapidement. Un supergroupe, en fait, un trio qui ne durera pas longtemps, à peine un an, et qui ne sortira qu'un seul album studio, mais qui fait partie de ses meilleures périodes : Beck, Bogert & Appice. Ce supergroupe, il l'a formé avec deux anciens membres de Vanilla Fudge et Cactus, qui quitteront Cactus (on en a parlé ici aussi, il y à quelques semaines) pour rejoindre Beck : Tim Bogert (basse, chant), mort il y à quelques mois, et Carmine Appice (batterie), une section rythmique du tonnerre de Zeus. Cet unique album studio de Beck, Bogert & Appice (ou BBA pour faire plus long) est éponyme, sa pochette est similaire, mais en marron carton clair, à celle de l'album que j'aborde ici, et il date de 1973. Un excellent album de rock un peu bluesy et heavy, avec notamment une reprise du Superstition de Stevie Wonder qui marchera très bien. Selon les légendes, le groupe aurait enregistré un deuxième album, qui n'est jamais sorti, les bandes seraient encore - ou pas ! - en possession de la maison de disques, à l'époque, Epic (quelle épique époque opaque, comme l'aurait dit Catherine Ribeiro).
En fait, BBA n'aurait pas fait totalement un deuxième album, mais aurait en tout cas commencé à le faire, et si les bandes existent encore, il ne s'agit que de démos d'un album incomplet. Pas de quoi se la prendre pour en faire une corde à noeuds d'entraînement pour paras ukrainiens, donc. Mais le groupe a quand même, en 1973 aussi, sorti un autre album. Un live, double. Lequel est sorti sous une pochette similaire à celle de l'album studio, mais en rouge. Ce live n'est, à l'époque, sorti qu'au Japon, il a d'ailleurs été enregistré au Japon, il s'appelle Live In Japan, j'adore cette folle originalité made in 70's, pas vous ? Ce live, je l'ai en vinyle, pressage nippon d'époque avec l'obi et l'insert des paroles en anglais et en japonais. Je suis content. Il m'en faut peu, mais tout de même, je suis content.
Il faut cependant dire une chose au sujet de ce live : remarquablement bien enregistré (le Japon était à la pointe, dans ce domaine), il souffre d'une réputation un peu moyenne, il est souvent considéré comme un des lives les plus caricaturaux qui soient, dans la catégorie putain, dans les années 70, ils y allaient fort, quand même. Multiples soli, talk-box (deux-trois ans avant Peter Frampton), ambiance on est les meilleurs, on est les plus forts, on va jouer jusqu'à ce que vous n'en pouviez plus de nous écouter. La suffisance britannique (même si seul le premier B de BBA est anglais, le second B et le A sont, eux, ricains) à l'extrême, mieux que Derek & The Dominoes, ou que Led Zeppelin en 1975. Après, c'est chargé comme un mulet sur un sentier de contrebandiers corses, certes, mais est-ce que c'est mauvais pour autant ?
Bon Dieu de chierie de flûte à six schtroumpfs, non, absolument pas ! Pour être honnête, ce Live In Japan offre vraiment du lourd dans le genre, c'est certes un petit peu caricatural (morceaux assez longs, 14 minutes pour Morning Dew, presque 11 pour Lose Myself With You, presque 10 pour Black Cat Moan), le live en lui-même est très généreux en durée (87 minutes, pour 13 titres), mais si votre truc c'est le heavy rock 70's en mode guitar-hero, alors vous allez adorer. Il ne faut pas l'écouter trop souvent, parce qu'entre sa durée et son côté très chargé (et je ne suis pas super friand de la talk-box, utilisée sans doute un peu abusivement ici par Jeff Beck le ténébreux), ça peut vite monter à la tête. Mais ce live méconnu et au final plutôt rare (il existe en CD ; apparemment, en CD, le premier disque, car vu la durée c'est un double album, le premier disque donc contient 10 titres, et le second, seulement 3, pour moins de 14 minutes au compteur le concernant ; un beau gâchis de CD, si c'est bel et bien tel que Wikipedia l'indique à son sujet) est très réussi. Très représentatif de son époque, une époque de débauche électrique, de suffisance, d'égo surdimensionné, de morceaux à rallonge... Après, on aime ou on déteste ce genre de prestation ; moi, j'adore !
FACE A
Superstition
Lose Myself With You
Jeff's Boogie
FACE B
Going Down
Boogie
Morning Dew
FACE C
Sweet Sweet Surrender
Livin' Alone
I'm So Proud
Lady
FACE D
Black Cat Moan
Why Should I Care
Plynth/Shotgun (Medley)
Appice est, selon moi, avec Cozy Powell le seul batteur de cette période à la puissance comparable à celle de John Bonham. Son plus jeune frère Vinnie jouera dans le même esprit (et le même talent) au côté de Dio. Plus tard, il y aura un DBA avec Rick Derringer (le pote des frères Winter) le temps d'un album correct en 2001 mais dont le titre initial, "Doin' business as usual" annonce la couleur (l'album ressortira en 2009 sous le titre "The sky is falling"). J'ai découvert qu'il y a même eu un CBA avec un guitariste japonais surnommé Char, le Jeff Beck japonais parait-il…
Appice a quand même une sacrée carte de visite, outre Rod Stewart, on le retrouve dans des projets comme King Kobra, Blue Murder, collaborant avec Pat Travers, reformant Vanilla Fudge et Cactus (un nouvel album Tightrope vient tout juste de sortir, Cactus en 2021, toujours là…).
Ceci dit, cette courte parenthèse BBA montre les limites de Beck dans ses choix, assez opportunistes mais avec un train de retard, un power trio bien après Cream, du jazz-rock mais après Mahavishnu, de l'électro à la fin des années 90 pour être tendance. Je préfère quand même le Beck jazz-rock que hard-heavy, domaine où il me semble moins original.