L'autre jour, je disais que Traffic et moi, ce n'était pas vraiment l'amour fou. Hé bien, je vais le dire ici aussi : Jethro Tull et moi, on n'est pas très potes. Ce qui ne m'empêche pas de proposer ici un de leurs albums, double live de surcroît, histoire d'en rajouter un dans ce cycle. Vraiment, ce groupe, je n'ai jamais réussi à accrocher, hormis à la rigueur l'album Aqualung de 1971, considéré comme leur meilleur, en tout cas comme un des meilleurs albums de rock progressif. Mais la première fois que j'ai écouté ce disque, je l'ai détesté, mais quelque chose de très bien, de formidable même. Pendant des années, Aqualung m'a résisté, pire : je ne voyais vraiment pas en quoi ce disque pouvait être important, en quoi le Tull pouvait être important.
Attendez, ce groupe a quand même comme leader un chanteur joueur de flûte traversière ayant pour habitude, en live, d'en jouer façon cicogne barbue, juché sur une jambe. Bordel de merde, mais c'est quoi ce groupe ? Mais à force d'écouter le disque, j'ai fini par l'apprécier (je ne dis pas "l'aimer", ce n'est pas le cas). Quant aux autres albums, il y en à ici, pas beaucoup mais il y en à, et si certains ont eu droit à des chroniques pas trop dégueulasses (Minstrel In The Gallery), avec le temps, je ne peux plus les écouter, et je ne les écoute plus.
Alors pourquoi se faire caguer à aborder un double live de la part d'un groupe que tu déteste, ClashDo ?
Très bonne question. Surtout que je ne suis franchement pas en train de revirer casaque concernant le Tull : clairement, je n'aime pas, je n'ai jamais aimé, je n'aimerai sans doute jamais. Et ce live, Bursting Out, sorti en 1978 et enregistré durant la tournée de leur album Heavy Horses, je n'en suis pas fan. D'autant plus que ce live est putain de long : 93 minutes, une durée bien généreuse en vinyle, et croyez-moi, j'aurais préféré qu'ils soit moins généreux. Le seul album que j'aime, donc, du Tull, c'est Aqualung, de 1971, album représenté ici via trois titres (plus une bribe de l'impro de flûte traversière sur My God), tous sur la dernière face : Cross-Eyed Mary, le morceau-titre, et Locomotive Breath. Trois des morceaux les plus connus du groupe, trois morceaux presque plus heavy que progressifs (Locomotive Breath fut, dès l'époque de sa sortie, comparé positivement à du Led Zeppelin des grands jours, Iron Maiden reprendra Cross-Eyed Mary en live...) et qui, ici, sont clairement parmi les meilleurs moments de Live : Bursting Out (avec, je dois le dire, Minstrel In The Gallery). Martin Barre est un bon guitariste, pas un de ceux que l'on cite parmi les premiers quand on établit une liste des meilleurs gratteux, mais il mérite d'être cité. Ian Anderson joue bien de la flûte (un morceau de 6 minutes, ici, est prétexte à diverses improvisations menant au fameux Bourrée), même si le contraste flûte précieuse/grosse guitare/orgue electrique grandiloquent est chelou, mais sa voix m'énerve, souvent.
Quant au reste de ce live, aussi bien One Brown Mouse que No Lullaby, Too Old To Rock'n'Roll, Too Young To Die ou Jack-In-The-Green, ou cette longue (avec 12 minutes, c'est le morceau le plus long ici, de très très loin) mais au finale très courte version de Thick As A Brick, morceau qui, à la base, dure 43 minutes et est le seul sur l'album de 1972 lui devant son nom, le reste, franchement, je m'emmerde encore plus royalement que Tommy (oui, celui des Who) le ferait à un spectacle son et lumière. Alors je sais que ce groupe a ses fans, beaucoup de fans d'ailleurs, mais il a aussi ses détracteurs, sans doute plus que n'importe quel autre groupe de rock progressif (même si Jethro Tull n'est pas à proprement parler un vrai groupe de progressif : le groupe fait aussi du celtique, du heavy...c'est finalement plutôt varié), ELP mis à part, et clairement, et même si j'ai pris sur moi pour ne pas classer ce disque dans les ratages, je fais partie du camp des anti-Tull. Un groupe dont Stephen King s'inspirera très rapidement, d'ailleurs : le nom de la petite ville de Tull, dans le premier tome de son monumental cycle La Tour Sombre, est directement tiré du nom du groupe !
FACE A
Introduction By Claude Nobs
No Lullaby
Sweet Dream
Skating Away On The Thin Ice Of The New Day
Jack-In-The-Green
One Brown Mouse
FACE B
A New Day Yesterday
Flute Improvisation/God Rest Ye Merry Gentlemen/Bourrée
Songs From The Wood
Thick As A Brick
FACE C
Introduction By Ian Anderson
Hunting Girl
Too Old To Rock'n'Roll, Too Young To Die
Conundrum
Minstrel In The Gallery
FACE D
Cross-Eyed Mary
Quatrain
Aqualung
Locomotive Breath
The Dambusters March/Medley
Ce double vinyle a mal été réédité en première édition CD, amputée de trois titres. La version remasterisée de 2004 en double CD est à privilégier si l’on ne se contente pas du vinyl. Le son est très bon, très d’époque (78 ) mais sonne bien live. Le groupe est dans sa meilleure formation, en pleine maturité, après la sortie de deux de leurs meilleurs albums (Heavy Horses et Songs from the Wood) avec une mention spéciale pour le fabuleux batteur qu’est Barriemore Barlow, exceptionnel notamment dans « Hunting Girl ».
Ce que j’aime dans Jethro Tull, c’est ce mélange unique d’ingrédients très folk, hard et parfois blues (leurs débuts étaient marqués par ce style). Le côté prog ne vient pas des claviers qui sont plutôt discrets, ni d’une virtuosité débordante mais plutôt des structures de certains morceaux (cf Thick as a brick). Anderson n’a jamais été satisfait de se voir associé à ce style (l’indigeste album « A passion play » de 1973 illustrera l’impasse où il peut mener). Ici, la version raccourcie de "Thick as a brick" passe comme une lettre à la poste, c’est pour moi le sommet du live même si les passages acoustiques équilibrent bien l’ensemble. Anderson a une forte personnalité, un troubadour décalé à l’humour à froid, très pince sans rire et est un immense flûtiste. Son timbre de voix est particulier, il en joue de façon un peu théâtrale parfois mais c’est son charme (ou son défaut selon l’humeur).
Comme beaucoup de formations, Jethro Tull a connu un tournant difficile dans les années 80 (mais j’aime beaucoup l’album de 82, The Broadsword & The Beast), des tentatives aux synthés plutôt ratées mais a su traverser ce désert et poursuivre leur carrière. Très bizarrement (je crois que personne n’a encore compris comment ça fut possible), le groupe reçoit le Grammy du meilleur album hard/heavy metal en 1989 (pour « Crest of a knave »), notamment devant Metallica (Justice..).
En 1995, JT a sorti l’excellent « Roots to branches » synthèse parfaite de leur savoir-faire et on peut voir un groupe en pleine forme dans un DVD à Montreux en 2003. Anderson a sorti quelques très bons albums sous son nom (même si JT, c’est lui, on n’imagine pas le groupe sans lui comme Dire Straits sans Mark Knopfler) et a fait une belle relecture du répertoire tullien avec orchestre en 2005 (rappelons que c'est lui qui écrit et compose quasiment la totalité des titres) .
Un titres en solo issu de "Rupi's Dance" que j'aime beaucoup (allergique à la flûte, s'abstenir) : https://www.youtube.com/watch?v=k_J-49MOe_8
Bref, ce Bursting Out est une bonne synthèse des dix précédentse années et me semble une excellente porte d’entrée pour ce groupe, à la carrière longue et riche (malgré des rapports compliqués avec la critique), après, on aime, on n’aime pas, c’est affaire de goût bien évidemment.