Pour ce nouveau Music Books, un morceau de choix : une biographie. Il fallait bien que tôt ou tard, dans cette catégorie, j'en propose une ; il y à eu des anthologies de textes, une autobiographie, et même un survol de discographie agrémenté de passages biographiques (le livre sur David Bowie).
Ici, par le biais de ce livre aussi court (400 pages en poche) que passionnant, c'est la vie d'un homme hors du commun que je vous propose de découvrir : Peter Grant. Les fans de rock, et de hard-rock, connaissent certainement ce nom, et je n'ai quasiment pas besoin de dire qui il était, vu que le titre du livre, et le sous-titre utilisé par la maison d'édition (Rivages Rouge ; ils ont l'habitude de mettre des sous-titres explicites sur leurs couvertures, et à propos, celle de l'article est la couverture de la réédition poche, celle de l'originale en grand format est similaire, mais avec un code de couleur rouge/blanc inversé). Peter Grant était le manager de Led Zeppelin, un des plus grands groupes de rock au monde.
On en avait rapidement parlé ici il y à quelques semaines, via des commentaires je ne sais plus trop où (j'offre une récompense de ma réconnaissance éternelle et même un petit peu au-delà à quiconque les retrouve sur le blog) : il faudrait faire quelque chose, un article, sur le cas des producteurs, et des managers, dans le rock. Il y aurait de quoi faire, sérieusement. Bon, Grant n'était pas producteur, hein, juste manager, mais dans la catégorie des managers, il se pose ===> là, clairement. Des mecs comme lui, il n'y en avait pas beaucoup (certains diront 'et heureusement'), et après lui, il n'y en aura plus du tout. Ce livre, publié en 2002 en Angleterre, traduit en français en 2009 aux éditions Payot & Rivages (qui sont connus pour publier des livres super intéressants sur la musique, dont notamment le dernier livre chroniqué dans cette catégorie, Rocks Off de Bill Janovitz, mais qui publient aussi bon nombre de polars, Ellroy, Lehane, David Peace, James Lee Burke, Bunker, j'en passe), a été écrit par Chris Welch, un journaliste britannique spécialisé dans le rock. Il s'appelle d'un titre que je trouve fondamentalement génial, parce qu'utilisant un jeu de mots aussi simple qu'efficace : The Man Who Led Zeppelin. Sous-titré en français seulement L'incroyable odyssée de Peter Grant, le cinquième homme, je trouve ce sous-titre lourdingue et inutile, mais passons.
Divisé en 12 chapitres d'une longueur respectable hormis le premier, plutôt court (certains des plus longs font, en poche, dans les 40 pages), ce livre, cette biographie, est préfacée par Nick Kent, rock-critic britannique (vivant en France depuis des années) ayant notamment écrit pour le New Musical Express, qui a bien connu Led Zeppelin, disons, de l'intérieur. Il faudrait d'ailleurs que je chronique ici son autobiographie, et son anthologie de textes, ça sera fait un jour, promis. Dans son autobiographie, d'ailleurs; Kent raconte une anecdote hilarante qui lui est arrivée : en 1975, lui et Iggy Pop, tous deux dans un état de défonce absolue (peu de temps avant dans la soirée, Iggy a quasiment sauvé la vie de Kent, qui fait un début d'overdose), croisent, dans une soirée, Peter Grant, bien bourré. Ce dernier, en voyant les deux gusses dans un état presque comateux, les interpelle en leur gueulant Kenty et Iggy, dans quel état vous êtes, bande de connards ! Iggy s'apprête à répondre sèchement à ce gros type qu'il ne connaît pas ou semble ne pas reconnaître, avant que Kent ne lui mette une main sur la bouche en lui disant C'est Peter Grant. L'air de dire tais-toi, par pitié. Iggy se calme direct, Kent lui dira ensuite tu m'as sauvé la vie tout à l'heure, je viens de sauver la tienne à l'instant.
Cette anecdote, qui n'est pas dans le livre de Welch (mais il y en à moult autres aussi bien, voire meilleures), résume un peu le personnage, qui n'est pas facile à mettre dans un cadre (ça déborderait de partout). Né en 1935 à Londres, élevé par sa mère, n'ayant jamais connu son père, Grant a d'abord été catcheur, a joué des rôles de figuration dans quelques films (il a été doublure cascade d'Anthony Quinn dans Les Canons De Navarone en 1961) avant de plonger à fond dans l'industrie musicale en bossant en sous-main avec le manager Don Arden (qui, dans le genre, était le plus pourri des pourris, presque un truand ; il a géré The Move, Electric Light Orchestra, Black Sabbath ; Ozzy a épousé sa fille), a appris beaucoup, et, avec son ami Mickie Most, a commencé à manager, lentement mais sûrement : The Animals, The Yardbirds, puis, quand les Yardbirds ont implosé à la suite de tensiosn internes, Led Zeppelin, crée sur les cendres des Yardbirds. Le look de Grant (très costaud, limite obèse, barbu, regard de furieux ; mais, en contrepartie, curieusement, une voix qui ne portait pas si fort que ça) y est pour beaucoup dans sa réputation, mais le loustic, mort en 1995, était du genre brutal, sans concessions.
Il était aussi un père aimant, qui traitait ses musiciens sans (trop de) violence - Eric Burdon, des Animals, fut lancé à l'autre bout de la pièce parce qu'il était arrivé en retard et avait répondu oui bon ben c'est pas grave à Grant ; il ne le lui reprochera jamais ce geste, qui lui a fait comprendre que la ponctualité était importante - et les aimait comme des enfants. Il protégeait Led Zeppelin comme rarement un manager (et certainement pas Arden) protégeait ses poulains. Peu d'interviews, pas de sorties de singles pour que l'on se concentre sur les albums et que, par sa rareté, le groupe ne devienne un peu des Messies du rock. Quand Atlantic Records, la maison de disques, décide de sortir un single, Grant, apprenant la nouvelle, exige qu'on fasse retirer de la circulation et carrément détruire les disques, parce que non, il a été stipulé qu'il n'y aurait aucun single, et c'est tout. De même, Grant livrait une guerre sans merci aux bootleggers, qui sortaient des albums pirates du groupe. De passage dans une boutique spécialisée dans ces contrefaçons, il se fait passer pour un mec de Polydor, et détruit, devant le vendeur, des piles de disques pirates du groupe. Et quand le vendeur le rappelle pour se plaindre, il lui rit au nez en lui disant ah au fait, j'ai enregistré notre conversation, pour l'empêcher d'aller plus loin (un coup de bluff ayant marché).
De nombreux passages de ce livre qui fait intervenir régulièrement de nombreuses voix (Mickie Most, les membres de Led Zeppelin, Richard Cole qui était leur tour-manager, un mec au tempérament très borderline aussi, etc...) sont positivement hilarants : Grant virant à coup de bide les membres d'un petit groupe américain, Flock, au festival de Bath en 1970, parce qu'ils s'éternisaient sur scène et que Led Zeppelin devait passer ensuite ; un mec qui braque Grant avec un flingue pour une histoire de pognon, et Grant qui, sans paniquer, lui répond vas-y, tire ! Le temps que la bastos traverse la graisse de mon bide, je t'aurai explosé la gueule deux fois, connard ! et le mec de lâcher le flingue. On a aussi des passages moins glorieux, comme Grant qui, vers la fin du livre, en apprenant qu'un livre (pas celui de Welch, mais celui de Bill Graham) allait sortir et qu'on y raconterait des moments un peu douteux, se met à chialer en disant qu'il n'était pas le monstre que ce livre veut bien décrire.
Allusion à ce terriblement sordide moment de 1977 qui, plus tard, occasionnera ces larmes, une baston entre ses hommes de main et ceux du promoteur de concerts américain Bill Graham (se fâcher avec lui équivalait à se faire rayer de la carte dans le monde du rock aux USA), après un concert du groupe, pour une histoire de baffe dans la tronche du fils de Grant par un mec de la sécurité des lieux, qui bossait pour Graham...Sans oublier la face cachée du groupe : certes, ils faisaient de la grande musique, mais c'étaient aussi de sacrés cinglés, leur entourage (Cole, Bindon, lequel était un vrai truand, un vrai de chez vrai...) était du genre douteux, de sordides affaires mêlant came, sexe, brutalité, circulent tout le long de ce livre, et d'autres livres (Hammer Of The Gods de Stephen Davis, notamment).
Je ne saurais terminer sans faire une petite allusion à la séquence (chapitre 7) sur la génèse du film musical The Song Remains The Same, interminable gestation qui aboutira à un film culte rempli de défauts, mais attachant. Le passage de la projection chez Atlantic, avec le patron du label, Ahmet Ertegün, qui s'endort et se réveille en demandant à la cantonnade c'était qui le mec sur le cheval ? (la réponse ? Robert Plant, le chanteur du groupe), causant la consternation d'un Grant qui s'enfuit de la salle pour aller chialer dans un coin, est aussi drôle que terrible. Tout comme ce livre vraiment bien foutu, facile à lire, souvent hilarant, souvent édifiant, un beau témoignage sur des années vraiment cintrées, et la dépiction d'un personnage vraiment larger than life. Mais il fallait bien un mec pareil pour gérer Led Zeppelin (et leur label Swan Song, explosion en vol).
Enfin, en conclusion, ce génial échange entre Grant et Bob Dylan :
- Salut, Bob ! Je suis Peter Grant, manager de Led Zeppelin !
- Est-ce que je viens t'emmerder avec mes problèmes, moi ?