Michel Berger est mort le 2 août 1992, d'une attaque cardiaque, il avait 44 ans, ce qui est putainement trop jeune. Deux mois plus tôt, moins de mois plus tôt en fait (le 12 juin), sortait son dernier album, un disque assez à part, car enregistré en duo avec celle qui deviendra rapidement, hélas, sa veuve (et qui nous a quittés, elle aussi, en 2018) : France Gall. Un album en duo, entièrement écit et composé par Berger comme à son habitude. L'album s'appelle Double Jeu, est crédité au duo, et offre 10 titres, pour un total de 48 minutes enregistrées à Paris avec des musiciens habitués des sessions bergeriennes : Denys Lable et Claude Engel aux guitares (selon les morceaux, ça change), Jannick Top à la basse, Claude Salmiéri à la batterie et aux programmations, Serge Perathoner aux claviers (Michel Berger aussi, évidemment), et les choeurs sont signés, notamment, Berger, Gall, Marina Albert, Anyel Dupuis et Renaud Hantson. L'album a été produit par le duo/couple, et est sorti sous une pochette pas franchement folichonne, on y voit le couple, assis, Berger semble pensif et regarde le sol, timidité légendaire oblige. Gall semble le regarder un peu de haut (elle est assise un peu en hauteur par rapport à lui), une sorte de demi-sourire sur les lèvres. Pas posible d'être plus descriptif, vu le rend volontairement dégueulasse de la photo, très contrastée, presque pixellisée avant l'heure (gageons que si l'album était sorti 10 ans plus tard, le rendu aurait été, justement, faussement pixellisé, comme pour l'album Driving Rain de McCartney).
A sa sortie, l'album cartonnera, 700 000 exemplaires vendus, une belle performance pour un album pas spécialement commercial. Ce n'est pas expérimental ni rien, attention, ici on a de la chanson française à la Berger/Gall, mais ce n'est pas une usine à tubes, ce Double Jeu interprété en duo. On a deux tubes : Laissez Passer Les Rêves, qui squattait les ondes radio et les chaînes TV (pour le clip) au moment de la mort de Berger, et Superficiel Et Léger. Deux des meilleures chansons d'un album qui mérite plusieurs écoutes, qui n'est pas immédiatement accessible, mais qui, au final, s'impose comme un des meilleurs albums de Berger et de Gall. Un disque qui fut apparemment enregistré dans des conditions difficiles, le couple n'en était plus vraiment un, Berger pensait de plus en plus à quitter France pour une jeune mannequin allemande, Gall était apparemment au courant de cette liaison adultère et s'attendait au divorce, Berger a eu du mal à faire ce disque, n'en pouvait plus, Gall lui faisait refaire les chansons, critiquait tout, les engueulades et petites piques assassines fusaient comme au bon vieux temps du rock'n'roll, c'était apparemment épique. Ca ne se ressent pas ici. Comme le Rumours de Fleetwood Mac (enregistré par un groupe essentiellement constitué de couples alors en crises conjugales), ce fut difficile à faire, mais ça ne se ressent vraiment pas. On a ici des chansons touchantes, comme La Lettre, dédiée à la veuve de Daniel Balavoine, La Petite De Calmette (dédiée au personnel de l'hôpital français de Phnom Penh, au Cambodge, l'hôpital Calmette).
On a le sensationnel et aérien Superficiel Et Léger, le magnifique Jamais Partir, l'efficace Bats-Toi, le tube Laissez Passer Les Rêves, autant de chansons qui font de ce disque en duo, l'unique du duo par la force des choses (mais si Berger n'était pas mort deux mois plus tard, je pense quand même que Double Jeu serait resté un album unique, car je ne sais pas si Berger et Gall auraient refait ça), un des meilleurs albums de chanson/variété française des années 90. Une sorte de testament pour Berger, même si certains préfèreront citer son remarquable dernier album solo, Ca Ne Tient Pas Debout, que j'ai réabordé hier. Et qui offre Le Paradis Blanc, cette chanson magnifique et troublante (comme je l'ai dit hier bien plus longuement). Après ce disque, pour France Gall, ça sera évidemment fini, la mort de Berger l'a minée. Elle sortira, en 1996, un disque de reprises de chansons de feu son époux, album qui sera son dernier (et le premier depuis Double Jeu), puis elle vivra tranquillement, chez elle (la mort de sa fille en 1997, Pauline, l'atteindra évidemment au coeur). C'est donc une sorte de double testament que ce Double Jeu, album vraiment réussi mais à écouter plusieurs fois, il se mérite, il se laisse découvrir. Il n'est vraiment pas aussi rentre-dedans que Voyou, /Différences ou Babacar !
Laissez Passer Les Rêves
Bats-Toi
Superficiel Et Léger
La Petite De Calmette
Toi Sinon Personne
La Lettre
La Chanson De La Négresse Blonde
Les Couloirs Des Halles
Les Elans Du Coeur
Jamais Partir