On peut crier, crier, Christophe ! pour qu'il revienne, on peut pleurer, pleurer, car on a trop de peine...
Sale nouvelle, ce matin. Je me lève, je m'habille, j'allume mon smartphone (car contrairement à certains qui le laissent allumé en permanence, moi, je préfère le couper le soir, pas envie de me faire réveiller par une sonnerie ou vibration de notification, et la flemme de le mettre en mode avion chaque soir, et puis, c'est mon smartphone, je fais ce que je veux avez, hein). Je tombe direct sur l'info : hier, dans un hopîtal de Brest, alors qu'il était, on le sait, sous assistance respiratoire en réanimation depuis plusieurs semaines, Christophe est mort. Les nouvelles n'étaient pas bonnes du tout, selon sa femme, son fils (qu'il avait eu, mais ne l'a pas reconnu officiellement, avec Michèle Torr), son ami le spécialiste ès chanson française Fabien Lecoeuvre, et même ce bip de Benjamin j'ai perdu 10 kilos avec "Comme J'Aime" Castaldi.
Christophe, Daniel Bevilacqua de son vrai nom, que dans une chronique à paraître dans 8 jours (une réécriture des Paradis Perdus) je qualifiais de légende vivante (je tiens à préciser que trois articles concernant ses albums, tous des réécritures, seront en ligne entre le 25 avril pour le premier et courant mai pour le dernier, et si ce n'est le premier que j'ai retravaillé pour y rajouter un paragraphe introductif similaire à ce que vous êtes en train de lire en ce moment, les autres ne font pas allusion à son décès ; normal, je les ai rédigés en février dernier, comment pouvais-je me douter de ce qui allait arriver ? Je dis ça pour éviter des remarques du style ah ! tu fais pas allusion à sa mort, même si je sais, hélas, que des gens en feront quand même).
Officiellement, on ne sait pas s'il est mort de cette saloperie de Covid-19, il paraît que ce n'est pas le cas, le chanteur avait de toute façon des soucis respiratoires depuis quelques temps, il avait, aussi, 74 ans, mais il se peut aussi que ça soit le Covid-19, sans doute ne saurons-nous jamais. Merde, de toute façon, c'est trop con, c'est pas possible...
Je ne vais pas revenir en détail wikipédié sur la carrière de ce grand monsieur. Le nombre de classiques à son actif, le long d'une carrière émaillée de retraits, de retours inattendus (considéré comme ringard plusieurs fois, il revient souvent avec des albums qui prouveront le contraire), de silences, de coups d'éclats. Avec son air de ne jamais rigoler, ses éternelles lunettes noires, son blouson de cuir et sa moustache de Gaulois, Christophe a d'abord été un chanteur à minettes (sans moustache) dans les années 60, avec Aline, Les Marionnettes. La concurrence étant trop rude, il tient le coup un peu, puis se retire. Il revient au début des années 70, sort des albums mémorables comme Les Paradis Perdus, Les Mots Bleus (tous deux faits avec un parolier du nom de Jean-Michel Jarre, qui doit être bien triste ce matin aussi), qui offrent les chansons que 'on connaît et qui portent le même titre que les albums, mais aussi Emporte-Moi, Senorita, Le Dernier Des Bevilacqua... Sur scène, alors, il fait ces shows hallucinants, proches du progressif, avec effets scéniques (piano qui se soulève avec lui en train de jouer dessus, etc. Samouraï, avec Boris Bergman aux paroles. Le Beau Bizarre, en 1978, sans doute son meilleur, sur lequel il s'amuse à déchanter (voix, ton, faussement, volontairement à côté de la plaque). En 1977, La Dolce Vita propose ses chansons interprétées en italien.
Après, il sort des albums moins percutants, certes (Pas Vu Pas Pris, Clichés D'Amour) mais jamais ratés, il compose un tube pour Corynne Charby (Boule De Flipper, c'est lui), il sort des 45-tours qui ne se vendent pas (sauf Succès Fou), il se consacre essentiellement à sa passion : la collection et le visionnage de grands classiques du cinéma, le bonhomme était un cinéphile averti qui avait une salle de projection chez lui. Il collectionnait aussi les disques rares, les juke-boxes... En 1996, il revient avec Bevilacqua, disque remarquable et étonnant. Sun un morceau, il est en duo avec Alan Vega, chanteur/leader (mort en 2016) du cultissime groupe de rock américain Suicide, que Christophe adorait. Un disque qui ne se vendra pas, mais qui est un de ses sommets. Retour encore en 2001, Comm' Si La Terre Penchait, autre (mais moindre tout de même) échec commercial. Aimer Ce Que Nous Sommes, en 2008, marche fort. Christophe est encore une fois de retour, et va rester plus longuement en médiatisation (concerts, collaborations, apparitions TV, etc). Paradis Retrouvé (disque d'inédits 70's) en 2013, et ce qui sera son dernier opus studio, Les Vestiges Du Chaos, en 2016 (Alan Vega y participe encore, c'est l'année de son décès).
Il n'a pas peur de chanter avec Julien Doré en live. Avec le même, et avec Obispo (notamment), en studio, sur un disque de reprises de ses propres chansons.
Il n'a pas peur de participer à un disque collectif en hommage à Bashung (alors que ce genre de projet hommage est souvent mal considéré, et très bancal pour ne pas dire pire), y livrant la meilleure chanson de l'album, une reprise ahurissante d'Alcaline (chanson qui, elle-même, est un hommage discret à son Aline ; et Bashung avait, lui, repris Les Mots Bleus d'une sublime façon, la boucle est bouclée).
Il n'a pas peur de recollaborer avec Jean-Michel Jarre (Electronica 2 : The Heart Of Noise).
Il n'a pas peur que l'on trouve son look très seventies (cheveux longs, lunettes noires, moustache, blouson de cuir), look inchangé depuis, justement, les seventies, un peu too much dans les années 2000.
Il n'a pas eu peur, en 1973, de revenir seul contre tous, alors qu'on le croyait carbonisé, afin de nous envoyer ses Paradis Perdus en pleine face, et de récidiver l'année suivante avec ses Mots Bleus. Il n'avait pas peur de se faire alors définitivement cataloguer comme étant le chanteur de ces deux immortelles merveilles, comme Nino l'a été avec Le Sud. Il n'avait pas peur de, pourtant, continuer à faire comme il en avait envie, tant pis s'il ne vendait pas bien ses albums (qu'il peaufinait comme Kubrick peaufinait ses films), c'est pas grave, car ses albums, ils étaient parfaits, et ça suffisait au bonheur des fans.
Il n'avait peur de rien.
Et nous, sans lui, on fait comment ?
Sinon, nombreux sont ceux (et surtout ceux qui l'ont connu dans les années 70) à ignorer à quel point Christophe était un immense artiste.
Qu'il repose en paix