Jacques Higelin iz baque ! Sur le blog, malheureusement. Enfin, malheureusement, vous avez compris ce que je veux dire par là. Comme tant d'autres, j'aurais préféré, quitte à ne plus chanter, qu'Higelin soit encore des nôtres plutôt que dans son trou au Père-Lachaise en sombrant lentement mais sûrement dans l'oubli complet. Je sais, je divague, mais j'ai encore sa mort en travers de la gorge et je pense que je l'aurai toujours. Bon, voici que s'offre à vous aujourd'hui ce disque, lequel est considéré comme le premier vrai disque studio d'Higelin. Cela dit, même s'il est vrai qu'il fait, allez, quatre-vingt dix pour cent du boulot dessus, j'ai du mal à voir en cet album le premier d'Higelin seul. Pour moi, le premier solo, c'est le fameux Crabouif qui sortira en 1971, soit deux ans plus tard. Higelin & Areski est sorti en 1969 donc, sous le label Saravah. Areski, de son vrai nom Areski Belkacem est le pote de régiment d'Higelin. Ce même Areski rencontrera Brigitte Fontaine et fera d'elle sa femme. Comment vous dire ce qu'est vraiment ce disque ? Je sais : un truc complètement perché qu'à côté, Crabouif (pourtant fort de café dans le genre), passerait pour du Johnny Hallyday. Ils ne sont que deux à jouer et à se faire entendre, mais parfois, ils partent loin dans leur truc. On regarde ça de plus près ? Anti-Higelin, s'abstenir ! Conseil d'ami !
L'Inutile ? Oh, faut-il vraiment que je vous dise de quoi il est question textuellement parlant ? Le titre est suffisamment éloquent non ? En revanche, musicalement, je peux vous en toucher trois mots : expérimental à donf. Le texte parlé est soutenu par un dépouillement musical quasi total. Flûte et, maracas et c'est tout. On aime ou pas. Moi, je dis oui. Mais, faut s'accrocher, même si ça ne dure qu'à peine deux minutes et demies. Sur Signalétique, sur fond de banjo, d'accordéon et de bruitages, Higelin et Areski se présentent, tout simplement. Ça ne dure même pas une minute (57 secondes) et, encore une fois, ça passe ou ça casse, il n'y a pas de milieu. Moi, j'adore. Le banjo m'a toujours fait triper. 13'40"5 10... oui, je vous rassure : la première fois que j'ai juste lu ce titre, je me suis demandé qu'est-ce que c'était que cette connerie. Mais, quand on se concentre dessus un peu plus, ça donne ça : 13 minutes, 40 secondes et 5 dixièmes. De quoi cause la chanson ? Simplement d'un mec qui mate sa tronche dans un miroir pendant la durée indiquée et qui se regarde vieillir. Areski répétant la même chose qu'Higelin. Musicalement, le dépouillement est encore de mise : claquements de doigts et une flûte bédouine donnant au morceau une couleur éminement maghrébine. Autant, j'ai toujours accroché aux expérimentations de L'Inutile et Signalétique, autant je ne raffole pas de celles de 13'40''5 10. Il y a, sur ce disque, un morceau qui a quelque d'exceptionnel : il est le seul dont le texte n'est pas signé de la main d'Higelin : Je Veux Des Coupables. Lequel est écrit par... Brigitte Fontaine. Sachant cela, on aura vite fait de faire le raccourci consistant à dire que si c'est écrit par Fontaine, c'est forcément louftingue. Erreur ! Si Fontaine a bel et bien un nid de tarentules au plafond, elle n'en demeure pas moins quelqu'un de foutrement intelligent. La chanson dresse un constat de l'état du monde tel qu'il était en 1969 et cherche à en déterminer les causes. Près de 14 minutes au compteur pour près de 14 minutes monstrueuses. Le texte y fait, bien évidemment, mais c'est la musique composée par Higelin qui se taille la part du lion. Très minimaliste puisqu'elle se cantonne à une guitare et des percussions, mais elle vous saute à la tronche d'entrée de jeu. Le chant du Hige est parfait de bout en bout. En trois mots, comme en un : une chanson anthologique !
L'Ours, court morceau d'à peine 1 minute pour 10 secondes, voit le disque rebasculer dans l'expérimentation pure et dure. Sur le plan musical, le minimalisme est encore de mise puisqu'on y entend seulement deux différents types de percussions, de nouveau des maracas (comme sur L'Inutile) et cette flûte bédouine (que l'on avait déjà entendue sur 13'40"5 10). Quant au texte, seulement ces quelques lignes : cet ours, continuait à tourner en rond dans sa cage, des heures durant, alors qu'on en avait depuis longtemps, ouvert la grille. On aimera ou on détestera. Pour ma part, j'adore. Six Pieds En L'Air, (des mots que l'on retrouvera, mais dans d'autres circonstances dans Rock In Chair, sur Irradié, en 1975) jouée toute à la guitare et à l'accordéon, est glauque à souhait puisqu'elle est écrite du point de vue d'un homme qui s'est pendu et qui se balance au bout de sa corde. Son corps, prêt à être la cible de l'appétit des corbeaux. Aussi noire soit-elle, cette chanson est absolument sublime. On peut le classer sans problèmes au rayons des nombreuses grandes chansons higelinesques. Sur Crabouif, Higelin enfoncera le clou (c'est le cas de le dire) avec Je Suis Mort Qui, Qui Dit Mieux qui elle, était écrite du point de vue d'un homme mort enterré et qui imaginait ce qu'allait être la vie des siens sans lui. J'Aurais Bien Voulu, musicalement, reprend la même formule : guitare et accordéon. Et n'a que pour seules paroles : j'aurais bien voulu t'écrire une chanson d'amour d'amour, mais de nos jours, ce n'est pas chose commode. Sublime chanson également à laquelle Anne Sylvestre (le quasi pendant féminin de Georges Brassens) fera référence dans une des ses chansons en 1985. Chope La Soupape est de nouveau une expérimentation pure et dure. Au programme : faux départ, percussions, quelques lignes de piano et un texte complètement improvisé et délirant, très certainement écrit après la consommation d'un bon gros joint. Là, sans détester, je n'ai jamais accroché. Le disque se termine sur Remember, autre chanson bien glauque puisqu'on y parle d'un mec qui meurt brûlé dans sa bagnole après un accident...ambiance... joyeuse...Et, le fait de savoir que cette chanson avait été écrite à l'origine pour Françoise Dorléac n'arrange rien, quand on sait comment la soeur de Catherine Deneuve a perdu la vie... Avec sa seule guitare, Higelin, soutenu par la voix d'Areski, nous livre une chanson glauque à souhait, mais absolument sublime. Une chanson à laquelle Yves Simon fera référence dans l'une de ses chansons en 1975. Il m'est bien difficile de dire quel album je préfère entre celui-ci et Crabouif. J'ai du mal. Je crois que j'aime les deux de la même façon, tout en étant pas réceptif à toutes les expérimentations qu'ils proposent. Par contre, ce que je peux dire avec certitude, c'est qu'Higelin était un grand, un très grand et ce n'est pas le fan qui parle, seulement l'amateur de musique. Même si ça semble très mal parti, puisse-t-il un jour être découvert du plus grand nombre. Les chansons de ce mec ne peuvent et ne doivent pas mourir.
Face A
L'Inutile
Signalétique
13'40"5 10
Je Veux Des Coupables
Face B
L'Ours
Six Pieds En L'Air
J'Aurais Bien Voulu
Chope La Soupape
Remember
Bien entendu, c'est pas super accessible, pas très commercial, mais qu'est-ce que c'est bon...