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Pour ceux qui n'aiment pas, je suis au regret de vous apprendre une chose : ce n'est pas encore fini avec Catherine Ribeiro et les Alpes. Puisqu'après cette chronique, vous allez en bouffer encore deux autres. Enfin bon, je suis prêt à fiche mon billet que, parmi toutes les personnes qui consultent le blog, aucune ne déteste Ribeiro et sa bande. Bon, je ne vais pas tourner autour du pot les mecs : je suis superbement emmerdé à l'idée de parler de ce disque. Pourquoi ? Parce que... WAHOU ! Comment décrire un disque pareil ? C'est la question que je me pose depuis des années. J'ai beau très bien le connaître, je ne sais toujours pas quels mots utiliser pour en faire ressortir toute la puissance contenue dedans. Ce que je peux vous dire, même si c'est céder à la facilité, c'est que cet album est la pierre angulaire de la discographie de la bande à Catherine. Mais, pierre angulaire est-elle forcément synonyme de réussite ? Dans le cas présent, on peut dire que oui, un gros oui, un putain de gros oui. Puta Madre !

Ce Paix est une vraie pièce maîtresse du rock à la française. Je ne vois pas d'autres mots. Et, dans l'oeuvre de la bande, il est aussi précurseur de ce que sera (Libertés ?) en 1974. Lequel contient au passage l'une des plus violentes charges politiques jamais couchées sur disque. Cet album de 1975, Clash en a parlé comme il le fallait, je ne reviendrai donc pas dessus. Sorti en 1972, Paix n'offre que quatre titres. Mais attention quatre putains de titre de la mort qui tue. Le disque s'ouvre sur Roc Alpin (aussi appelé Rock Alpin, pour le coup, ça ne change rien), un instrumental très speed et folk doté d'instruments originaux qui, je le rappelle (ou le précise) sont tous les fruits de la création de Patrice Moullet. Remarquable morceau. Une très bonne mise en bouche. Mais, attendez, ça va pas tarder à dépoter grave sa race. Jusqu'à Ce Que La Force De T'Aimer Me Manque est elle aussi très speed et très folk. Le chant de Catherine Ribeiro est habité. À la limite de la déclaration...Et là mes petits potes, direction la voix lactée. Voilà que se pointe le premier choc thermique prodigué par l'album : sa chanson titre. La putain de sa grand mère en tutu ! Ce morceau est d'une puissance folle. Une longue cavalcade cosmique et progressive s'étalant sur plus de 15 minutes. Si l'on devait résumer ces 15 minutes de la plus simple des façons, on dirait à coup sûr ceci : 15 minutes de bonheur pur et dur qui, pour ne rien gâcher, tordent méchamment le cou à ceux qui pensent qu'en France, on n'a jamais été foutus de faire du rock. Catherine vous salue bien les blaireaux. Musicalement, c'est juste indescriptible. Et textuellement, on est en plein dans un manifeste pour les droits humains auquel se mêle l'intimité de l'enfance de la chanteuse. Je pourrais tout citer, mais je ne citerai que ceci : Paix à celui qui marche sur les routes jusqu'aux horizons sans fin, paix au cheval de labours, paix aux âmes mal-nées qui enfantent des cauchemars, paix aux rivières, aux mers, aux océans qui accouchent de poissons luisant de gas-oil, paix à toi ma mère dont le souvenir douloureux s'efface auprès de tes enfants, paix enfin à celui qui n'est plus et qui toute sa vie a trimé attendant des jours meilleurs... Prodigieux les gars !

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Et le second choc thermique arrive... Si Paix y allait déjà extrêmement fort en la matière, Un Jour...La Mort, dernier morceau de l'album, fait tout flamber comme un putain de cocktail molotov. Rien que le titre suffit à annoncer la couleur, ça ne va pas être rose pour un sou. Musicalement, on est sur la même formule que Paix. La mélodie est résolument progressive, en deux fois plus puissante. Avec quelques passages vraiment rock. Quant au texte, c'est clairement divisé en trois parties. La première parle du suicide, un thème cher à Catherine Ribeiro puisqu'en 1968, elle avait tenté de se foutre en l'air. Alors, coupant mon emblème, cordon ombilical, j'absorbais trois tubes de somnifères réparateurs... La seconde partie voit des hauts lieux de la politique internationale en prendre plein la gueule : les gouvernements tueurs étaient toujours en place, le napalm brûlait nos maisons et nos champs, les riches s'éclataient devant les classes laborieuses, partout ce n'était que tumultes, cris de guerre, je courais, cherchant à protéger les enfants, les enfants, merde, pourquoi faire des enfants, les écoles maternelles sautaient à la dynamite, les chateaux de cartes espagnols s'écroulaient, victimes de malformations congénitales, seuls restaient debouts, victorieux, les Élysées, les Maisons-Blanches, les Kremlins...À côté de pareilles paroles, même Ferré et Ferrat, pourtant adeptes des charges destructrices passeraient pour des coeurs à gauche, portefeuilles à droite. C'est vous dire. La troisième et dernière partie est un rapport à la maternité. Comment faire des enfants dans un pareil monde ? Redonnez-moi la Vie, la Mort, belle Mort, et je vous ferai un enfant. Le morceau s'achève dans un déluge de cris. Ribeiro imitant ceux de la femme qui souffre en mettant au monde et Moullet imitant les premières pleurs du nourrisson. Et tout ça, ça dure 24 minutes et 30 secondes. Lesquelles sont, vous l'avez deviné, tout bonnement titanesques, ahurissantes. Et, vous avez également compris que c'est là que se trouve le sommet de cet album absolument implacable. Et ce Paix est, devant (Libertés ?), le sommet de Catherine et des Alpes. Ni plus, ni moins. Un des plus grands albums du rock français. Un jour, par hasard, j'ai surpris une conversation entre deux mecs qui parlaient de musique et l'un d'eux a dit ceci mot pour mot : Catherine Ribeiro, c'est un putain de vaccin contre la connerie et c'est aussi l'une des plus belles choses qui soient arrivées à la chanson française. Qu'ajouter de plus à ça ?

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Chronique complémentaire de ClashDoherty

MaxRSS a tellement tout dit au sujet de l'album, plus haut, que je sens que je vais avoir du mal. Très du mal, même. Alors ne vous étonnez pas si cette chronique est, au final, peut-être, plus courte que de coutume, déjà que mes deux précédentes chroniques de ce cycle (déjà des chroniques complémentaires à la suite de celles de MaxRSS ; mais ici, c'est pour la dernière fois) étaient plus courtes que de coutume. J'en suis désolé-navré-tout-meurtri-dans-ma-chair, mais c'est ainsi. Catherine Ribeiro, la grande Catoche, en est ici à son quatrième opus. Son précédent, on s'en souvient vu que c'était il y à peu de temps ici, c'était Âme Debout, sorti en 1971, un disque court (35 minutes) et peut-être moins renversant que les précédents (que le précédent direct, N°2, en tout cas), mais tout de même un excellent album de rock français expérimentalo-folk. L'année suivante, 1972 donc, Ribeiro et son groupe Alpes nous offre le quatrième album. Long de 46 minutes, un des plus étendus du groupe (mais le suivant sera plus long encore), cet album ne renferme que 4 morceaux. Il s'appelle Paix et sa pochette est très bucolique : Catherine et son groupe, posant, paisiblement (vu le titre de l'album, c'est logique), dans la nature, devant ou à côté d'un arbre. Quatre morceaux seulement sur cet album, dont un qui, long de presque 25 minutes, occupe toute la seconde face : Un Jour...La Mort. Rien que le titre en dit long, on sent bien que ça ne va pas être de tout repos (éternel...mwouuaaaaaa ah ah ah ah...hum, pardon), Ribeiro parlant notamment de (son) suicide, car, on l'a déjà dit ici, Max ou moi, au fil des chroniques, mais en 1968, Catherine tentera (par absorption de médicaments) de se foutre en l'air. Elle ratera son coup, heureusement pour elle, et fera peu de temps après la connaissance de Patrice Moullet, son âme damnée de 2Bis puis, immédiatement après, d'Alpes. 

Evidemment, cce long morceau hypnotique, s'achevant en apothéose, est le sommet de Paix, mais le reste ? Le morceau-titre, long d'un quart d'heure, achevant la face A, est presque aussi incroyablement insensé. Le morceau a été composé alors que la guerre faisait rage au Vietnam (au dos de la pochette, sur un unique fond rouge sang, un petit collage de photos, notamment d'une femme vietnamienne et de son enfant dans les bras), ne parle pas forcément de ça, est un morceau universel aux paroles incroyables, à la musique totalement ravagée, expérimentale, indescriptible, Max a bien raison. A côté de ces deux monstres qui à eux seuls formeraient un album complet et viable (un peu moins de 40 minutes à eux deux), les deux autres morceaux, qui ouvrent le disque, 3 minutes chacun, pourraient sembler anodins. Que nenni. Roc Alpin est une ouverture inoubliable, et Jusqu'A Ce Que La Force De T'Aimer Me Manque, quasiment déclamé, est très rock, presque frénétique. Paix est souvent considéré comme le sommet de la discographie de Ribeiro + Alpes. Je serais plus tenté de citer (Libertés ?) de 1975, personnellement, mais c'est un très très grand album, fort, prenant, original, inventif, qui vous déboussolera totalement. On ne sort pas indemne d'un tel triomphe de la volonté. Faire mieux que ce Paix sera dur, très dur... Catherine y arrivera-t-elle ? La réponse, bientôt...

Face A

Roc Alpin

Jusqu'à Ce Que La Force De T'Aimer Me Manque

Paix

Face B

Un Jour...La Mort