Cet album, je le connais depuis plusieurs années (trois ans, en fait), mais, aussi curieux que ça puisse paraître, c'est seulement il y à quelques jours que je me suis rendu compte que j'avais oublié de l'aborder ici. Pire : vu le nombre d'articles (plus de 5000), j'étais persuadé de l'avoir abordé ici, il a fallu que je fasse une conne de recherche interne pour me rendre compte que non. Donc, je rattrape cette lourde, grossière erreur, d'autant plus que cet album, je l'adore. Mais d'abord, est-ce que vous connaissez Heldon ? C'est un groupe français de musique électronique et ambiant, fondé par Richard Pinhas (guitariste obsédé par Robert Fripp, de King Crimson) en 1974. Le nom du groupe est tiré d'un roman de l'écrivain de SF Norman Spinrad, Rêve De Fer, roman dystopique cauchemardesque sensé avoir été écrit par un Adolf Hitler qui aurait été écrivain au lieu d'avoir été ce qu'il a été en réalité (il s'agit d'un roman dans un roman, quoi) et qui se passe dans un univers nazi du nom de Heldon. Pinhas est fan de SF et de philosophie, et ses idées politiques sont clairement gauchistes : le premier album du groupe (qui, en fait, est un peu comme King Crimson : une entité changeante tournant autour de Pinhas plutôt qu'un vrai groupe) s'appelle Electronique Guérilla, en 1974 et est sorti sur son propre label, Disjuncta. Le deuxième album sort en 1975 sous une pochette étrange : lettrage gothique pour le nom du groupe, lettres en grec pour le titre, et une photo mythique de Mai 68, un jeune manifestant se faisant courser par un CRS levant sa matraque.
Pinhas et Grunblatt
L'album s'appelle Allez Teïa, jeu de mots sur le mot grec "aletheia", qui signifie "vérité". Il est entièrement instrumental. Heldon, sur ce deuxième album, est constitué de Pinhas (guitare, mellotron, ARP, VCS3, boucles sonores) et de Georges Grunblatt (même chose !), et l'album a été enregistré à Paris. C'est un album assez étonnant, dédié notamment à Fripp, Eno, Philip K. Dick, Norman Spinrad (crédité seulement à son prénom), Jimi Hendrix, Genghis Khan... Considéré comme un des meilleurs albums de rock français (ce n'est cependant pas du rock), Allez Teïa est un disque qui rappellera les deux albums de Fripp et Eno (c'est à dire (No Pussyfooting) et Evening Star) à ceux qui les connaissent, c'est à dire les doux-dingues grands fans de ces deux immenses musiciens qui prennent comme principe de tout écouter de ce qu'ils ont couché sur vinyle. C'est en tout cas un disque du même genre, pas rock du tout, pas violent, pas stressant, un album qui, en une petite quarantaine de minutes (pour 7 titres), offre des boucles sonores enivrantes et hypnotiques, aux titres souvent référencés (Moebius est titré ainsi, vraisemblablement, en hommage au dessinateur de BD, In The Wake Of King Fripp se passe de commentaire concernant son titre, Omar Diop Blondin, lui, morceau dédié à Fripp et Eno, porte le nom d'un révolutionnaire gauchiste sénégalais ayant, dans son pays, après Mai 68, défié le pouvoir en place de Senghor et est mort en prison, suicide par pendaison, en 1973, mais on criera, parfois, à l'assassinat politique. A noter que son nom est en fait Omar Blondin Diop. Michel Ettori tire son nom d'un guitariste français ayant joué dans Weidorje, l'éphémère groupe de zeuhl fondé par Bernard Paganotti (basse) après qu'il ait quitté Magma, groupe ayant collaboré, il me semble, avec Heldon.
Allez Teïa est un disque remarquable, curieux, envoûtant, avec ses drones de mellotron, ses boucles de guitare, ses ambiances parfois sombres (St-Mikael Samstag Am Abends), son artwork cryptique, ses références multiples (Magma, Eno, Fripp, la SF dure, la philosophie, l'extrême-gauche)... Disque très difficile à se procurer en vinyle d'époque (en partie parce que sorti sur un petit label, vendu sans doute à peu d'exemplaires ; l'album n'a pas été un triomphe commercial, au contraire, c'est un album assez peu connu), il a été heureusement réédité en vinyle en 2018 par Bureau B, un label spécialisé dans l'ambient, vu qu'il a aussi réédité quelques albums de Cluster, groupe allemand auquel on peut pas mal penser, aussi, à l'écoute de cet album d'Heldon. Personnellement, je sais que ce n'est pas forcément un disque qui plaira à tout le monde (bien que, musicalement, ce n'est pas extrême du tout, ça s'écoute facilement), mais moi, j'adore vraiment et je recommande ! Une des nombreuses raisons d'être fier du rock français dans les années 70 ; il n'y à bien qu'à l'époque qu'on pouvait faire pareil album, quand on y réfléchit bien...
FACE A
In The Wake Of King Fripp
Aphanisis
Omar Diop Blondin
Moebius
FACE B
Fluence :
a) Continuum Mobile
b) Disconction Inclusive
St-Mikael Samstag Am Abends
Michel Ettori