Après avoir sorti un premier opus (Pink Flag, 1977, pochette minimaliste) très punk, mis tout de même franchement à part au milieu de toute la production punk d'alors (un disque qui, en 35 minutes enregistrées dans les conditions du live en studio, offre 21 morceaux allant de 28 secondes à 3,50 minutes ne peut pas être qualifié de 'traditionnel'), et un deuxième opus (Chairs Missing, 1978, pochette minimaliste) moins punk mais toujours très étrange (42 minutes, 15 titres), Wire va encore une fois surprendre son monde en 1979 avec ce troisième album (qui sera leur dernier pendant 8 ans !), sorti en 1979 sous une pochette minimaliste et incompréhensible et un titre qui fera s'interroger pas mal de monde : 154. Pourquoi ce titre ? Tout simplement parce qu'au moment de la sortie de ce disque, le groupe avait fait 154 concerts depuis le début de leur carrière. Compte tenu que le groupe existe depuis 1976/1977, et que cet album date de 1979, on peut se dire que ça ne fait pas beaucoup de concerts (Led Zeppelin, en autant de temps d'existence, avait sans aucun doute fait deux fois plus de concerts que Wire). On peut se dire aussi que, pour un groupe punk fondé au moment de la vague de 1976/1977, être toujours en activité, de plus sans aucun changement de personnel (les quatre membres du groupe sur 154 sont les mêmes que pour les deux précédents opus), alors que pas mal de groupes punk n'ont pas tenu très longtemps (trop de groupes fondés en même temps : l'entropie qui guette et frappe), est déjà, en soi, un exploit.
Sous-pochette
Ce qui est surtout un exploit, c'est d'avoir aussi bien réussi sa reconversion. Pink Flag, malgré sa structure totalement barge (je rappelle encore une fois le nombre effarrant de morceaux et la courte durée du truc ? Non, hein ?), était du pur punk qui se branle à 200 à l'heure. Chairs Missing prenait le pari d'aller un petit peu plus loin, moins violent, moins punk, plus mélodique (Outdoor Miner). Ce 154 à la pochette bien abstraite et sans aucune inscription (le titre et le nom du groupe apparaissent sur la tranche, on a les titres des morceaux, il y en à 13 pour environ 44 minutes, sur la sous-pochette, ainsi que les paroles ; aucune photo) est, lui, totalement new-wave, dans l'esprit de XTC (on peut penser à Drums & Wires). Ce n'est plus du punk, et à l'écoute de l'album, rien ne laisse penser que Wire ait été un groupe punk, en fait. Le chant de Colin Newman n'est plus aussi dingue et violent que sur les précédents opus (sur le premier album, il sonnait souvent très énervé, en colère contre pas mal de choses ; sur le deuxième album, il sonnait encore un peu comme ça, de temps en temps, sur les morceaux punks), il est plus sobre, maîtrisé, mélodique. J'ai envie de dire 'normal', mais ça serait réducteur et pas gentil vis-à-vis des deux précédents opus, qui sont remarquables dans leurs genres. L'album s'ouvre sur un I Should Have Known Better qui, malgré son titre, n'est pas une reprise des Beatles, aucune reprise sur l'album, sur aucun des trois albums du groupe d'ailleurs (en revanche, nombreuses sont les chansons du groupe qui seront, elles, reprises par d'autres groupes, Wire étant du genre séminal en terme d'influences).
C'est en revanche une grande chanson méconnue qui ouvre à merveille un disque pas forcément difficile d'accès malgré sa pochette très rebutante (on la voit, on sent que ça va risquer d'être compliqué, comme si la musique était aussi asbtraite que le contenant). Avec parfois des titres assez abscons (The 15th, Map Ref. 41°N 93°W, Single K.O., 40 Versions), les chansons se suivent sans se ressembler, certaines sont mélodiques, d'autres plus complexes et encore légèrement, très légèrement punk dans l'âme, mais si peu, si peu... Rythmiques remarquables, guitares parfois cinglantes et parfois assez pop, chant immense, production imparable, ce troisième opus de Wire, qui sera le dernier pendant de longues années (le groupe ne se reformera qu'en 1985, et ne refera un disque qu'en 1987), est incontestablement un chef d'oeuvre, qui vient d'être réédité en vinyle, ainsi que les autres albums du groupe (les deux précédents, du moins), il y à quelques semaines. Un album prodigieux, intense, exigeant, qui achève à la perfection une trilogie étrange, débutant dans l'extrémisme punk beat pour se finir dans la richesse post-punk expérimentale. Sincèrement, des morceaux tels que On Returning, Two People In A Room ou Blessed State, on en redemande...
FACE A
I Should Have Known Better
Two People In A Room
The 15th
The Other Window
Single K.O.
A Touching Display
On Returning
FACE B
A Mutual Friend
Blessed State
Once Is Enough
Map Ref. 41°N 93°W
Indirect Enquiries
40 Versions
A écouter également le disque bonus avec les démos, et les faces A & B de 45t d'époque.