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Wire est un des plus étonnants groupes de la scène punk britannique d'époque. N'importe quel groupe ayant pu réussir, sur son premier album, à aligner 21 titres pour 35 minutes mériterait cette distinction. Wire l'a fait, avec Pink Flag (le titre serait une allusion caustique à Pink Floyd, qui partageait avec Wire le même label, Harvest, hébergé par EMI), sorti en 1977, un disque au visuel minimaliste (un terrain de sport avec un grand mat au centre, le drapeau rose a ensuite été rajouté au pochoir) et au contenu vraiment barge : 21 chansons de punk speedé, enregistré essentiellement en live en studio (sauf un titre ou deux) par un groupe probablement dans un état second (alcool, speed). Et ça s'entend et se ressent. Constitué de Colin Newman (chant et guitare), B.C. Gilbert (guitare principale), Lewis (basse) et Robert 'Gotobed' Grey (batterie), Wire n'est en fait pas un groupe de punk, où alors ils en étaient un au début, mais Pink Flag, bien que punk, le groupe s'oriente tout de même vers ce qui deviendra la new-wave. Mais sur Pink Flag, ça va très vite, et beaucoup de morceaux se terminent ultra brutalement, en freinage d'urgence, comme si le groupe voulait tenir la courte durée prévue pour les morceaux et se rendait compte, en les enregistrant, qu'ils risquaient d'être trop longs ; la majeure partie d'entre eux n'atteignent pas les 2 minutes... Sur ce premier album, on avait tout de même des morceaux moins violents, plus mélodiques, plus structurés, qui annoncent leurs albums suivants : Mannequin, Fragile, Strange (le plus long de l'album, mais tout de même inférieur à 4 minutes en durée), Ex Lion Tamer. Et justement, à propos d'albums suivants, voici le deuxième album du groupe, Chairs Missing, sorti en 1978 sous une pochette aussi minimaliste (un pot de fleurs sur une table, dans un décor sobre orné de deux rideaux, il manque des chaises, ah ah) que celle de Pink Flag

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Le titre de cet album vient d'une expression typiquement anglophone (et sans doute argotique) signifiant, grosso modo, 'une case en moins'. En fait, Chairs Missing signifie 'il manque des chaises', mais le sens est le même que notre expression, qui signifie 'un peu con'. Offrant la bagatelle de 15 titres pour une bonne quarantaine de minutes, Chairs Missing ne va pas aussi loin que Pink Flag mais est tout de même un album assez particulier, dont les morceaux sont souvent courts. Outdoor Miner, qui sortira en single dans une version rallongée d'une minute, dure ici 1,45 minute et a déjà tout d'un grand titre (le morceau, à défaut d'avoir été un immense tube, est tout de même le morceau le plus connu de Wire et est, en effet, un hit potentiel, très pop). Le morceau le plus long dure 5,45 minutes (pour Wire, c'est un peu l'équivalent de Echoes !) et se situe juste avant, c'est Mercy, qui ouvre la face B. Pour le coup, c'est peut-être un peu long. C'est la seule chose négative que j'ai à dire sur l'album, car sinon, nom de Zeus, c'est une totale réussite qui laisse pantois. Rien que Practice Makes Perfect (4 minutes), qui ouvre le disque et rappelle beaucoup les Reuters et Pink Flag du précédent album, suffit à ranger ce disque dans les meilleurs du genre. D'abord assez punk dans l'âme (Another The Letter), Chairs Missing plonge lentement mais sûrement dans une sorte de new-wave arty à la Magazine/Devo. Sans oublier les Simple Minds de la même époque, ceux des débuts, de Life In A Day et Real To Real Cacophony. Wire sort totalement son épingle du jeu et s'éloigne de ses compères punks (en 1978, ceux-ci sont parfois en moyenne posture : les Clash sortent un disque un peu décevant, les Ramones commencent déjà à tourner en rond ; les Pistols n'existent plus ; mais Public Image Limited débarque). 

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Sous-pochette (les paroles)

Via des chansons telles que French Film Blurred, Outdoor Miner, Too Late, Marooned, I Am The Fly, From The Nursery et Heartbeat (qui achève idéalement la face A, on a envie de retourner le disque illico), Chairs Missing est un album prodigieux, qui parvient à allier la puissance punk de Pink Flag avec des mélodies et arrangements plus structurés. L'année suivante, le groupe de Colin Newman (pour l'anecdote, ce mec a collaboré avec Bashung en 1989 sur Novice) sortira un disque qui ira encore plus loin que Chairs Missing (puis le groupe s'arrêtera pendant de nombreuses années, ne revenant qu'à la fin des années 80), un album que j'aborde prochainement et qui s'appelle 154. Là, pour le coup, on oublie le punk, on plonge totalement dans le post-punk à la XTC des grands jours. Un grand disque qui n'aurait cependant probablement jamais vu le jour sans ce Chairs Missing de 1978, à la fois brutal et mélodique, un chef d'oeuvre à écouter plusieurs fois, car, moins rentre-dedans que Pink Flag, il nécessite, outre de plutôt connaître Pink Flag, plusieurs écoutes, beaucoup des morceaux étant du genre à se révéler sur la durée. Mais quel album !!

FACE A

Practice Makes Perfect

French Film Blurred

Another The Letter

Men 2nd

Marooned

Sand In My Joints

Being Sucked In Again

Heartbeat

FACE B

Mercy

Outdoor Miner

I Am The Fly

I Feel Mysterious Today

From The Nursery

Used To

Too Late