Eno et David Byrne. Quand deux musiciens de cette trempe collaborent, ça donne quoi ? Un chef d'oeuvre. Rien de moins. Mais ce n'est pas la première fois que les deux collaborent, et pas la première fois qu'ils accouchent d'un chef d'oeuvre. Brian Eno, le non-musicien comme il se définit lui-même, a découvert les Talking Heads, groupe mené par le chanteur et guitariste David Byrne, en 1976, au moment où ce groupe commence à se faire connaître via ses prestations scéniques au "C.B.G.B.", fameux night-club new-yorkais. Les Heads viennent de la scène punk sans en être, comme Blondie, Patti Smith, Television et Pere Ubu. Le premier album du groupe, Talking Heads : 77, produit par le frangin de Bon Jovi (hé oui), sort en 1977, Psycho Killer, avec son refrain et son bridge en français, casse la baraque à frites. L'attitude scénique du plutôt névrosé Byrne (mimiques hallucinantes, gestuelle d'épileptique se prenant un cours-jus dans les bras, le mec devait perdre des litres de sueur à chaque concert ; voir le film musical de 1984 Stop Making Sense, immense, pour en juger) n'est pas de celles qu'on feint d'ignorer ou de minimiser. Eno lance un appel du pied au groupe via sa chanson King's Lead Hat, sur Before And After Science (son dernier album 'rock', qui ne l'est qu'à moitié) en 1977, le titre de la chanson étant une anagramme du nom du groupe. En 1978, il saute le pas : il propose ses services de producteur au groupe, qui accepte. Trois albums seront faits, en 1978, 1979 et 1980 : More Songs About Buildings And Food, Fear Of Music (le meilleur) et Remain In Light (le plus vendu des trois), sur lequel Eno compose et pose des voix aussi.
Fourreau de la réédition CD
Entre mi 1979 et mi 1980, soit à peu près pendant la période qui donnera Remain In Light, Eno et David Byrne vont collaborer plus activement, à deux (le batteur des Heads, Chris Frantz, joue sur le disque, mais aucun autre membre du groupe, ni Jerry Harrison, ni la bassiste Tina Weymouth) et ça donnera My Life In The Bush Of Ghosts, album étonnant qui tire son nom d'un roman de Amos Tutola paru en 1954. Pour des raisons diverses (l'album est gorgé de samples, sa production a été assez compliquée rapport à ça), l'album ne sortira qu'en 1981, année qui verra aussi le premier album solo de Byrne (The Catherine Wheel, bande originale d'un spectacle de danse) sortir (et sur lequel Eno joue). Eno et lui ne recollaboreront pour un album qu'en 2008. My Life In The Bush Of Ghosts, réédité en CD avec 7 bonus-tracks crédités comme étant la face C de l'album (histoire de dire qu'il ne faut pas négliger ces bonus-tracks, qui font passer l'album de 39 à 60 minutes), est un album étrange. Un de ses morceaux, le premier de la face B, Qu'ran, sera, en 1986, viré, définitivement, de l'album et remplacé par Very, Very Hungry. Pourquoi ? Qu'ran contient des samples de chants coraniques. Une association islamique britannique portera plainte auprès de Byrne et Eno pour blasphème, et les deux compères, ne voulant pas foutre la merde, décideront de retirer définitivement le morceau dès la future réédition de l'album. La présence, à la base, de ce morceau n'est pas anodine : plusieurs morceaux (Regiment, A Secret Life, The Carrier) contiennent des samples de musiques ou de vocaux orientaux, en arabe, des chants libanais par Samira Tewfik ou Dunya Yunis. D'autres contiennent des samples de voix d'animateurs de radio (America Is Waiting), ou d'évangélistes radiophoniques (Come With Us), même un exorciste (The Jezebel Spirit) !
Pas de chant à proprement parler, on n'entend ni la voix de Byrne ni celle d'Eno. Les deux se contentent d'être musiciens, jouant à peu près de tout (ils sont tous deux crédités à la guitare, basse, claviers, batterie), mais s'étant tout de même entourés de plusieurs musiciens : Chris Frantz et John Cooksey (batterie), James Mingo Lewis (stick), Steve Scales (percussions), Busta Jones (basse), Bill Laswell (idem)... Cet album, qui vous semblera sans doute un peu étrange et abrasif à la première écoute (même un fan des Talking Heads, qui sait déjà que Byrne était intéressé par la world music - voir des chansons telles que I Zimbra ou Born Under Punches (The Beat Goes On) - sera interloqué par la première écoute), mais qui vous révèlera ses mystères au fur et à mesure, est un joyau brut. Une des meilleures oeuvres discographiques de la part d'Eno (musicien qui, vraiment, est très très haut dans mon Panthéon musical, après Bowie et les Beatles, mais juste après), et une preuve de plus du talent de Byrne. L'album fut très bien accueilli à sa sortie, malgré qu'il ne soit absolument pas commercial, ne renfermant aucun hit, aucune chanson digne de ce nom, juste 11 plages musicales remplies de samples et d'expérimentations arty/world. Des artistes tels que Kate Bush et Rick Wright (claviers de Pink Floyd) s'avoueront sans problème complètement estomaqués par la puissance de ce disque. C'est assurément une des plus grandes et des plus importantes oeuvres musicales de ces 40 dernières années.
FACE A
America Is Waiting
Mea Culpa
Regiment
Help Me Somebody
The Jezebel Spirit
FACE B
Qu'ran/Very, Very Hungry
Moonlight In Glory
The Carrier
A Secret Life
Come With Us
Mountain Of Needles
Bonus-tracks CD (FACE C comme indiqué au verso) :
Pitch To Voltage
Two Against Three
Vocal Outtakes
New Feet
Defiant
Number 8 Mix
Solo Guitar With Tin Foil