J'ai beau chercher, je ne trouve pas beaucoup d'autres exemples aussi marquants que celui de cet album pour montrer à quel point un groupe majeur peut, du jour au lendemain, s'effondrer comme un château de cartes à Saint-Barth un jour de cyclone. Led Zeppelin avec In Through The Out Door, peut-être, ou Iron Maiden avec Virtual XI. Mais le cas de Creedence Clearwater Revival est d'école. En 1971 ( en début d'année), juste après la sortie de Pendulum en décembre 1970 en fait, Tom Fogerty (guitare rythmique et frangin de John, le leader), claque la porte, il en a marre du groupe, il se barre. Le groupe se retrouve en trio pour assurer la tournée de promotion de l'album (qui sera illustrée, en 1973, par Live In Europe), le fait qu'il n'y ait désormais plus que la guitare lead de John Fogerty ne semble au final pas tant les gêner que ça, même si, à l'écoute du live, on sent qu'il manque quelque chose, c'est évident (en 1980, un autre live sortira, de la période du groupe au complet, c'est flagrant). Le groupe se doit de sortir un nouvel album, cependant, s'il veut rester dans la course. Au printemps 1971, le groupe enregistre deux titres, qui seront joués live (on les entend sur le live sorti en 1973) et sortiront en respectivement face A et B d'un single (qui, d'ailleurs, ne marchera pas dans les charts, première alerte) : Sweet Hitch-Hiker et Door To Door. La deuxième de ces chansons est écrite et interprétée par le bassiste, Stu Cook. L'autre est de Fogerty, qui ne semble pas en forme olympique, même si cette chanson restera au final la meilleure de l'album.
Le reste des chansons (il y en à 10, pour 28 minutes seulement !) sera enregistré l'année suivante, en janvier 1972, et l'album, Mardi Gras, sous sa pochette représentant une danseuse bohémienne brandissant un tambourin, sortira en avril. Le single Sweet Hitch-Hiker n'ayant pas très bien marché, la presse attendait le nouvel album, le premier du groupe en tant que trio, et le premier produit par le trio et pas par Fogerty seul (depuis le deuxième album, car le premier était produit par leur manager Saul Zaentz, qui les arnaquera quelque peu), avec circonspection. Personne ne pouvait se douter que Creedence se séparerait quelques mois plus tard, mais il est vrai que Mardi Gras possède des indices de dissolution, principalement dans le fait indéniable que, ça y est, John Fogerty a perdu la main. Sur les 10 titres, il n'en interprète que 4, donc la reprise (la seule reprise de l'album) de Hello Mary Lou, particulièrement ratée. Il chante et écrit Sweet Hitch-Hiker, Lookin' For A Reason et Someday Never Comes, qui, le single excepté, ne valent vraiment pas grand chose, il semblait fatigué, le pépère, ou alors le départ de son frangin l'a plus touché que ce qu'il pensait. Le reste de l'album est partagé entre Cook, qui a écrit et chante Door To Door, Take It Like A Friend et Sail Away, et Doug Clifford (batterie) qui a écrit et chante Need Someone To Hold (co-écrite avec Cook), Tearin' Up The Country et What Are You Gonna Do. Je ne sais pas ce à quoi devait penser Fogerty en enregistrant ses parties de guitare sur ces 6 titres qui totalisent 15 minutes sur les 28 de l'album, mais ça ne devait pas être la fête du slip.
Le fait est que les trois chansons de Clifford sont abominables (je ne sais pas si vous avez entendu l'unique album solo que Clifford sortira, en septembre 1972, Cosmo, mais c'est épouvantable, même lui le dit, et il a toujours refusé que l'album soit édité en CD), il est certes un bon batteur, mais ne sait pas chanter, c'est tout aussi évident. Les chansons de Cook ne sont pas terribles, Door To Door ça peut aller, mais les autres...Enfin, il chante un peu mieux que son pote batteur barbu, c'est déjà ça. Quant aux chansons de Fogerty, elles sont vraiment, même Sweet Hitch-Hiker, inférieures à son niveau d'écriture habituel (vocalement, rien à dire, c'est Fogerty). Mardi Gras, album des plus démocratiques, est donc une belle merde, un album qui attendra 2008 pour connaître une édition CD remastérisée, il faudra avant ça se contenter d'une édition CD basique, sans bonus-tracks, avec un son plutôt mince. Vu le niveau de l'album, on n'espérera de toute façon pas (et mieux ! on ne la demandera pas) une édition collector triple CD + DVD + vinyle réédité, le tout dans un fourreau argenté, pour ses 50 ans en 2022. C'est déjà bien beau que l'album existe en CD, tant il ne demande qu'une chose : être charitablement oublié. Cet album n'est donc destiné qu'à une seule catégorie de personnes : les fans de Creedence Clearwater Revival qui, en achetant ce disque, complèteront leur collection, même si ça leur laissera un gros goût de merde dans la bouche et des regrets quant à l'achat (heureusement, en CD, il n'est pas vendu cher). Les autres ? si vous ne connaissez pas encore CCR, ne commencez pas par là ! Et oubliez l'existence de cet album, ça vaudra mieux.
FACE A
Lookin' For A Reason
Take It Like A Friend
I Need Someone To Hold
Tearin' Up The Country
Someday Never Comes
FACE B
What Are You Gonna Do
Sail Away
Hello Mary Lou
Door To Door
Sweet Hitch-Hiker
