Un fan de Miles Davis, qui possède pas mal d'albums du Maître, se dira, en lisant le tracklisting de cet album qui n'est pas de Miles, et sur lequel Miles ne joue pas : tiens ! mais il semblerait bien que trois des morceaux, soit la moitié de l'album, fasse aussi partie de l'album Water Babies que Miles a sorti en 1976 ! Et il aura raison. Mais deux choses : d'abord, l'album de Miles, bien qu'enregistré en 1968/69, est sorti en 1976 (et c'est une compilation, en fait, pas un album studio tel quel), et l'album que j'aborde aujourd'hui date, lui, de 1969. Ensuite, il s'agit bien des mêmes morceaux, mais pas dans les mêmes versions. Voilà. Sinon, voici un album de Wayne Shorter, saxophoniste ayant notoirement oeuvré chez Miles, et qui fera partie de l'aventure Weather Report à partir de 1970. D'ailleurs, un des membres du Weather Report d'origine, le bassiste/contrebassiste Miroslav Vitous, est au nombre des musiciens de cet album sorti en 1969, enregistré avec, aussi, notamment, le guitariste John McLaughlin, le batteur Jack DeJohnette et Chick Corea (tous ont fait partie de l'écurie Miles), album qui s'appelle Super Nova et compte assurément parmi les albums de jazz les plus beaux, intenses, parfaits que je connaisse. Airto Moreira (percussions), Maria Booker (chant sur un titre), Walter Booker (guitare, mari de la précédente), Sonny Sharrock (guitare) font également partie des musiciens de ce disque enregistré en deux jours (pas d'affilée : le 29 août et le 2 septembre 1969), ce qui ne s'entend pas du tout.
Tous les morceaux (il y en à donc 6, pour un total de 38 minutes) sont signés Wayne Shorter (saxophone soprano), à l'exception du morceau le plus long (9,45 minutes), Dindi, signé Antonio Carlos Jobim, fameux compositeur brésilien. Se prononçant 'Jin-Jee' comme indiqué sur la pochette, ce morceau magistral bénéficie de la participation de Maria Booker au chant, des vocalises sublimes et touchantes, on a l'impression, et ce n'est pas qu'une impression d'ailleurs, que la chanteuse a pleuré d'émotion durant sa prestation. Au dos de la pochette de l'album on a un texte, signé d'un DJ (pas un bidouilleur de sons techno, hein, mais un animateur radio, disc-jockey selon le premier sens du terme) californien, spécialiste du jazz vraisemblablement, et il est explicitement dit dans ce texte (reproduit dans le livret du CD) que Shorter a consciencieusement laissé sur l'album cette prise lacrymale de Dindi, car l'émotion y était vraiment intense, totale, quasi insoutenable (un crescendo dans l'émotion qui mène, ben, aux larmes de l'interprète), alors qu'il aurait très bien pu refaire le morceau, ou tout du moins les vocaux de Maria Brooker. Ca apporte une vraie touche de sincérité à un album au demeurant remarquable, de sa pochette (très dans l'air du temps) à ses morceaux, que toute personne ayant entendu Water Babies de Miles connaît cependant, du moins la moitié d'entre eux : Water Babies, Capricorn et Swee-Pea (qui, sur l'album de Miles, est orthographié Sweet Pea).
Sorti sur le mythique label Blue Note, Super Nova est, c'est son seul défaut selon moi, court. Devant une telle magnificence auditive, une durée de 38 minutes est limite un affront, quand on pense que certains albums de jazz dépassaient les 50 minutes (la même année, le Filles De Kilimanjaro de Miles en faisait 55), et que les albums de jazz, en général, comptaient souvent parmi les plus longs de leur époque. Mais on se console en se disant que tout est immense ici (en même temps, c'est aussi le cas de l'album de Miles...), la production est remarquable, les musiciens, loin d'être des manchots on en conviendra (McLaughlin, Shorter, DeJohnette, Moreira, Vitous, Corea, ici à la seconde batterie et vibrations), assurent totalement, et l'ensemble des 6 morceaux de ce Super Nova sont sublimes, même si Dindi remporte la palme de chef d'oeuvre de ce monument du jazz. Bref, chronique courte, désolé, mais devant tel album, on ne peut que s'écraser et écouter, religieusement, et taiseusement, ce qui ne peut être décrit !
FACE A
Super Nova
Swee-Pea
Dindi
FACE B
Water Babies
Capricorn
More Than Human
