JM28

A la base, j'avais l'intention d'arrêter mon cycle à l'album qui suit celui-là, bref, à 1979, mais je me suis dit que ça serait trop con d'ignorer les suivants, aussi, le cycle va se prolonger un petit peu. Non, ne me remerciez pas.

Arrêtez, vous allez me faire rougir.

Ca suffit, j'ai dit, surtout qu'en plus, cette annonce, je l'avais auparavant déjà faite dans le cycle. Bon. Vous vous souvenez du précédent album du cycle ? Hejira, oui, pas la peine de le gueuler,  vous avez réveillé mon voisin. Hejira, sensationnel, immense album sorti en 1976, disque conçu comme une sorte de carnet de route, en grande partie écrit durant un périple est/ouest que Joni a effectué à l'époque. Un album qui ne se vendra pas aussi bien que les précédents, mais sera mieux accueilli que le précédent direct (The Hissing Of Summer Lawns, 1975, chef d'oeuvre lui aussi). Après un tel triomphe, Joni va littéralement se lâcher. Lâcher la bride aux chevaux sauvages (je suis poète, aujourd'hui, putain). Proche de la fin de son contrat avec Asylum Records (label de David Geffen ; après la fin de son contrat, elle signera sur le nouveau label du même Geffen, Geffen Records), elle va tout se permettre, ou presque, sur son album suivant, qui sortira en décembre 1977, et a été enregistré au fil de la même année. Un album qu'elle a produit elle-même et qu'elle a enregistré avec notamment Jaco Pastorius, John Guerin, Wayne Shorter, Larry Calrton, Michel Colombier, Don Alias, Alex Acuna, Airto Moreira, et avec, aux choeurs, sur certains titres, J.D. Souther, Glenn Frey (membre des Eagles) et Chaka Khan. 

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Don Juan's Reckless Daughter ("la fille intrépide de Don Juan") est, je dois le dire, double. Enfin, en vinyle, parce que, pour un double album, il est sacrément court : 59 minutes en tout, même pas une heure tapante. Comme si Joni n'avait vraiment pas l'intention de faire un double mais, face à la somme de morceaux enregistrés (plus que pour un album simple, même d'une cinquantaine de minutes - Hejira en durait 52 -, mais pas au point de remplir à mort quatre faces), elle avait, d'un coup, dit stop. Elle aurait pu sortir le tout sous la forme d'un triple face, mais peut-être envisageait-elle les 10 titres de l'album comme une séquence bien particulière, et dans ce cas, un morceau, le quatrième, poserait problème si on voudrait tout répartir, en gardant le même ordre, sur trois faces. Paprika Plains, enregistré avec un orchestre, dure en effet 16,20 minutes, il occupe à lui seul toute la seconde face... Ce morceau en particulier impressionnera tellement un certain Charles Mingus qu'il désirera collaborer avec Joni Mitchell pour un album. Prière d'attendre la prochaine chronique pour en savoir plus sur le sujet. L'album, à sa sortie (et autant son statut de double album que sa pochette un peu étrange et aux couleurs criardes n'aideront pas), ne sera pas super bien reçu par la presse,  mais se vendra correctement, rien n'extraordinaire, mais tout de même, disque d'or en trois mois. La pochette ? Joni pose en robe chamarrée (on y distingue, il me semble, une femme nue et des têtes de morts aux oreilles de Mickey...), l'air totalement débridée, genre femme coincée un peu pompette qui se lâche en soirée. On voit, à ses côtés, un enfant fringué en costard et un black aux allures de pimp, bien fringué aussi. Lequel n'est autre que Joni, visage noirci et vêtements masculins. Joni déguisée en hipster black ! Quand je vous disais qu'elle se lâchait, ici !

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Musicalement, Don Juan's Reckless Daughter, que j'adore quelque chose de bien et que je défendrai toujours (l'album n'est pas toujours bien apprécié tant il détonne par rapport aux autres albums de Joni), mérite plusieurs écoutes. Autant Hejira peut s'apprécier pleinement au premier abord, autant, là, ça sera difficile. L'album s'ouvre sur Overture - Cotton Avenue, sur lequel pas moins de six guitares, accordées différemment les unes des autres, jouent simultanément. On a Talk To Me, très folk/jazz, sur lequel Joni s'amuse, à un moment donné (mais c'est tellement réussi que je me demande si ce n'est pas un effet sonore, en fait...) à imiter un caquètement de poulet ; on a Jericho, sublime, que Joni nous avait déjà proposé, en live, sur le double Miles Of Aisles de 1974, c'était alors une chanson totalement inédite. On a The Tenth World, un instrumental très latino, percussions, vocalises frénétiques, on dirait du Santana, et venant de la part de Joni, même en pensant à ses trois précédents albums sous inspiration jazz/rock, c'est pour le moins étonnant. De même que Dreamland, avec Chaka Khan aux voix, superbe chanson que Joni avait offerte, en 1976, à Roger McGuinn (des Byrds) pour son album solo Cardiff Rose. La version de McGuinn était classique, celle de Joni est débridée, pleine de percussions, et en fait, on n'entend, avec les voix, quasiment que ça. C'est inoubliable. De même que la face D, plus traditionnelle (du genre de Hejira), avec le morceau-titre, Off Night Backstreets, The Silky Veils Of Ardor. Ou cet Otis And Marlena magnifique ouvrant la face C. Vous l'avez sans doute pigé, difficile pour moi de parler de cet album qui serait bien mon préféré de Joni, s'il n'y avait les deux précédents, que je place au même niveau. Mais entre la sensualité de l'album de 1975, la beauté irréelle de celui de 1976 et les atmosphères totalement libres de celui-ci, mon coeur balance tellement que j'en ai la tête qui tourne. Indispensable pour toute personne aimant la musique de qualité et remplie d'originalité et d'aventure. 

FACE A

Overture - Cotton Avenue

Talk To Me

Jericho

FACE B

Paprika Plains

FACE C

Otis And Marlena

The Tenth World

Dreamland

FACE D

Don Juan's Reckless Daughter

Off Night Backstreet

The Silky Veils Of Ardor