Il y à peu de temps (mais quand même un bon mois), j'ai enfin abordé le premier opus de Noir Désir ici, leur EP de 1987, et je précisais que le reste de leur discographie allait être abordé ici, car tout n'avait pas été abordé, loin s'en faut. Je rattrape mon retard, au compte-gouttes ceci dit, car à l'heure actuelle, comme je l'ai déjà dit, je n'ai plus trop le temps d'écrire sur Rock Fever (je remercie ici, d'ailleurs, le nouveau chroniqueur, Super Coton Tige, d'écrire et de publier). Voici donc le retour de Noir Désir. En 1987, ils ont livré, sous la houlette du producteur Théo Hakola (un musicien et écrivain américain d'expression francophone, leader du groupe de cold-wave français Orchestre Rouge), qu'ils remercient ici dans les crédits de cet album, un EP du nom de Où Veux-Tu Qu'Je R'Garde, 26 minutes (tout rond) pour 6 morceaux dans l'ensemble remarquables (Lola, Pyromane, La Rage), mais une production assez faiblarde, datée (surtout pour maintenant). Deux ans plus tard, les Bordelais, qu'il serait bon de renommer ici (Bertrand Cantat : chant, guitare, harmonica, textes ; Frédéric Vidalenc : basse ; Srge Teyssot-Gay : guitare, piano ; Denis Barthe : batterie), entrent en studio, à Bruxelles (Studio ICP), sous la houlette de Ian Broudie (et de Phil Délire), afin d'enregistrer leur premier album long-format, un disque qui, bien que nettement plus long que leur EP précédent, ne dure quand même pas très longtemps : 36 minutes, pour 11 titres (dont trois dans la langue de Shakespeare ; sur l'EP, seul Lola était en anglais).
Verso du CD
Sous une pochette étrange et un peu glauque, l'album porte un titre à rallonge : Veuillez Rendre L'Âme (A Qui Elle Appartient), et il renferme un nombre effarant de classiques du groupe : quatre, voire même cinq. Et le reste est au minimum vraiment réussi, et au maximum absolument dantesque. Malgré, là encore, une production qui a pris un coup dans l'aile gauche et même un peu la droite (ce n'est qu'à partir de 1992 et du grungy Tostaky que les albums de Noir Désir bénéficieront d'un son puissant et l'étant toujours autant en 2015). Pour bien apprécier ce disque, il faut mettre le son assez fort, l'album n'a pas été remastérisé depuis sa sortie en 1989... hélas. Bon, musicalement parlant, ce premier vrai opus de Noir Déz' est une authentique tuerie, il faut bien utiliser les mots qui frappent et dire ce qui est. N'importe quel album s'ouvrant sur la doublette A L'Arrière Des Taxis/Aux Sombres Héros De L'Amer (le premier hit du groupe) et se finissant sur The Wound (et sa guitare très cold-wave à la The Cure) mérite d'être écouté, encore et encore, plus de 25 ans après sa sortie. Et en plus, on trouve aussi Le Fleuve, Les Ecorchés, What I Need... Les textes de Cantat (qui chante super bien, même si sa voix prendra encore un peu plus d'assurance par la suite) sont remarquables. En 1989, Aux Sombres Héros De L'Amer, avec son harmonica, son ambiance maritime et ses Aaaalwayyyys lost in the sea repris en choeur par le groupe, sera pris à tort pour une chanson de marins, justement, à la Soldat Louis, alors que ce n'est vraiment pas le cas, la chanson parlant des écrivains, maudits le plus souvent. Rien que le titre est un indice, avec ce jeu de mots, mais les paroles sont sans équivoque (qui ont jeté l'encre ici et arrêté d'écrire), et cette méprise du public et de la presse pour cette chanson énervera pas mal le groupe au final. N'empêche, c'est leur premier tube, et ils n'en auront pas tant que ça au final (L'Homme Pressé, Un Jour En France, Le Vent Nous Portera).
Verso du vinyl
Mais le coeur de l'album est dans Les Ecorchés, qui cite Lautréamont et le Velvet (White Light/White Heat !!!!), dans A L'Arrière Des Taxis qui cite le mythique couple Vladimir Maïakovski/Lili Brick et se paie le luxe d'un solo de guitare survolté et remarquable (et Cantat est vocalement au top, Tant que les heures passent...TANT QUE LES HEURES PASSENT), dans The Wound, morceau anglophone d'une puissance rare, vrai crescendo qui achève l'album en beauté, et dans Le Fleuve, morceau hypnotique (encore plus en live) et indescriptible. Les morceaux restants sont tuants aussi : le virulent La Chaleur, le doux et torturé (oui, il est possible d'être à la fois doux et torturé !) Sweet Mary, les étranges Joey I et Joey II qui parlent d'un condamné à mort (ou d'un bourreau ?), et le génial Apprends A Dormir... Rien à jeter sur Veuillez Rendre L'Âme (A Qui Elle Appartient), ce qui en fait un des meilleurs albums du groupe avec Tostaky et 666.667.CLUB, rien que ça, un de leurs trois meilleurs opus, et même le deuxième meilleur du groupe selon moi après Tostaky. Un des meilleurs albums de rock français depuis les années 70, voire 60, bref, depuis l'existence du rock français, rien que ça, et c'est déjà immense. Album absolument essentiel à tout fan de rock. Peu importe les années, et peu importe les villes, c'est Paris-Ouest ou Berlin, Berlin l'enchanteresse...
FACE A
A L'Arrière Des Taxis
Aux Sombres Héros De L'Amer
Le Fleuve
What I Need
Apprends A Dormir
Sweet Mary
FACE B
La Chaleur
Les Ecorchés
Joey I
Joey II
The Wound