Place maintenant à un mètre-étalon de la chanson françouaise : Gérard Manset, alias tout simplement Manset (n'aimant pas son prénom, il ne s'est pas gêné pour créditer certains de ses disques à son nom de famille seul) ! Je n'ai limite pas envie de préciser, ici, qu'il n'y aura que les albums studios officiels : Manset a sorti peu de compilation, et aucun live, ne s'étant jamais produit sur scène ! Allez, on démarre (au fait, l'illustration ci-dessus est issue de l'album 2870, on la trouve dans la pochette) :
Gérard Manset (1968) : Jamais édité en CD comme une bonne partie de la disco de Manset, ce premier opus est un de ses Graals en vinyle, un des plus difficils à dénicher, jamais à prix sympa (ou alors, c'est qu'il y à embrouille sur l'état du disque...). L'album sera ultérieurement réédité avec un changement de tracklisting, et une autre pochette aussi. Ici, on trouve déjà quelques chansons mémorables : Animal On Est Mal (qui sortira en single pendant les évênements de Mai 68, et foirera assez totalement, les gens avaient autre chose à foutre qu'à se concentrer sur une chanson aussi étonnante), Je Suis Dieu, La Femme Fusée, Tu T'En Vas... Pas De Pain sera retiré de la réédition dont je viens de parler.
La Mort D'Orion (1970) : Champagne : en 1996, Manset consentira enfin à sortir ce disque en CD, c'est un des rares opus du bonhomme, datant d'avant l'ère du CD, à exister sous ce format. Manset en profitera pour le remanier un chouïa, virant une ligne de texte d'une chanson (Ils). Un album étonnant, constitué d'un long morceau-fleuve éponyme sur la face A (24 minutes ; 22 en CD, Manset ayant aussi remanié un brin La Mort D'Orion !), conceptuel, une histoire sinistre et quelque peu de SF ; et, sur la face B, des chansons indépendantes, comme Vivent Les Hommes ou Ils. Ambiances sinistres, pesantes, austères, rien que la pochette donne le ton. Pas à écouter en dînant ou le matin au réveil, mais c'est, sinon, un album majeur, incroyable. Certes, par moments, c'est un peu académique (les paroles, certains rimes, tournures de texte ; Manset lui-même se le reprochera), mais quel joyau ! On notera une illustration jaune et noire assez angoissante, flippante même, dans le livret...
Gérard Manset 1968 (1971) : Tout simplement la réédition de son premier album, avec un léger changement de tracklisting (un titre ou deux en plus, comme Golgotha, un autre ou deux qui partiront). Jamais repris en CD comme l'original.
Long Long Chemin (1972) : Je ne vais pas y aller par quatre chemins : c'est le meilleur album de Manset (qui, apparemment mécontent de l'album, en détruira les bandes matrices en 1988, condamnant ainsi irrémédiablement l'album à ne jamais sortir en CD, à ne jamais être réédité, il le fut en 1978, mais depuis, rien). Très difficile à trouver, surtout à bon prix (au minimum, une quarantaine d'euros le vinyle), ce disque appelé, officiellement, Manset 1972, surnommé l'album blanc (sa pochette) ou Long Long Chemin (sa première chanson), est immense. Beau à pleurer (Jeanne, chanson de 10 minutes sur la Pucelle d'Orléans, me filera toujours des frissons, L'Oiseau De Paradis est sublime), musicalement marquant, ce disque sera apparemment enregistré dans une mauvaise ambiance, Manset ne s'étant pas très bien entendu avec les musiciens, qui le raillaient à cause de sa voix chevrotante, de son côté obscur, ses textes intellectuels, ses mélodies trop chiadées. Au final, ce disque ne mérite qu'une chose, chose qui, hélas, n'arrivera, je le crains, jamais : une sortie CD, et une reconnaissance du grand public (pour la critique, ça fait longtemps que c'est fait).
Y'A Une Route (1975) : Un de ses plus connus, il sera quasiment intégralement repris en CD (Un Homme Etrange sera évincé, et deux autres titres seront sur la première édition CD, de 1988, mais viré de celle de 1999 et remplacés par des morceaux issus d'autres albums, Manset, ayant le contrôle total de son oeuvre, en fait hélas ce qu'il veut, et ce qu'il veut est assez sujet à caution, des fois, voir le traitement subi par l'album précédent, et le suivant...). Il contient le classique Il Voyage En Solitaire, sa chanson la plus connue, qu'il interprétera à la TV à l'époque (une de ses rarissimes apparitions à la TV), et qui sera reprise notamment par Bashung en 2008. Il contient aussi Y'A Une Route, qui a donné son surnom à l'album, qui s'appelle officiellement Manset 1975. Sans oublier Attends Que Le Temps Te Vide, On Sait Que Tu Vas Vite, C'Est Un Parc...avec sa mythique pochette montrant un Manset barbu-chevelu (mais de dos) sur un des quais de la gare Saint-Lazare, Y'A Une Route est un grand cru, très accessible.
Rien A Raconter (1976) : Officiellement baptisé Manset 1976, il est appelé Rien A Raconter (du titre de la seconde chanson de l'album) par les fans. Sur les 8 titres, deux (Les Vases Bleues, Rouge-Gorge) seront placés sur des CDs, mais pour le reste, rien. Dommage, pire que dommage même, tant cet album à la pochette similaire à celle de l'album de 1972 (ce n'est sans doute pas anodin) est immense : Le Moment D'Être Heureux, Cheval Cheval, La Pie Noire, Ailleurs sont inoubliables. Tout le disque l'est, d'ailleurs. Encore un grand album hélas oublié à cause de Manset lui-même (mais en même temps, à l'époque, ce disque ne marchera pas)...
2870 (1978) : Voici 2870. Une des plus étranges pochettes d'albums de Manset (signée Hipgnosis, on ne s'en étonnera pas), et le visuel en haut d'article en fait partie : La pochette contient une autre pochette cartonnée, avec deux photos (dont la photo du haut, donc), à l'intérieur de laquelle on a encore une pochette, plus fine, avec les paroles (et dans la pochette, enfin, le disque !). Un album-matriochka, dans un sens, une vraie oeuvre d'art que je suis fier d'avoir en vinyle. 6 titres, dont un (Jésus) qui ne sera jamais mis sur CD. Les autres, si, mais l'album ne sera pas édité en CD tel qu'il est, les morceaux seront placés sur des versions CD de Y'A Une Route, ou Royaume De Siam, notamment, pu...ain de Manset... Bon, l'album, sinon, est grandiosissime. On y trouve un long morceau-titre de quasiment 15 minutes, surchargé de guitares électriques, c'est l'album progressif de Manset. On y trouve le superbe Le Pont, un Jésus aux paroles cinglantes envers le héros de la chanson, on y trouve aussi Un Homme Une Femme, Amis, Ton Âme Heureuse. Rien de follement joyeux ici, autant le dire, ce disque à la pochette froide est un des plus sombres de Manset. Un de mes préférés, et sans doute son second meilleur derrière l'album de 72. Indépassable dans son genre, et quasiment indépassable chez Manset.
Royaume De Siam (1979) : Un des meilleurs albums de Manset, qui vient clore ici une décennie parfaite (de La Mort D'Orion en 1970 à ce disque de 1979, rien à dire, tout est parfait). Disque plus court que de coutume (31 minutes, 8 titres, dont 3 ne seront jamais placés en CD, et parmi eux, Seul Et Chauve et Balancé, qui sont immenses), et encore une fois parfait. Royaume De Siam, La Mer N'A Pas Cessé De Descendre, La Neige Est Blanche, la pochette même, tout est sublime sur ce Royaume De Siam que je suis, encore une fois, fier et heureux d'avoir en 33-tours. Culte.
L'Atelier Du Crabe (1980) : Plusieurs grandes chansons de Manset ici : Le Masque Sur Le Mur, Les Îles De La Sonde, Les Rendez-Vous D'Automne, Manteau Rouge. On a aussi Marin'Bar (considéré par Manset comme trop tubesque, la chanson est en effet un hit mineur, sorti en single à l'époque ; pas du tout une grande chanson, assez irritante). 8 titres en tout, dont 2 qui ne seront pas repris en CD. L'Atelier Du Crabe fait bien démarrer la nouvelle décennie pour Manset, le disque, accessible, est une sorte de Y'A Une Route de 1980, un de ses plus connus et appréciés des fans. Pas de moi (pas un de mes préférés, pas un des meilleurs selon moi), même si je l'aime beaucoup et le trouve vraiment super bon. La pochette, en revanche, comme bien des pochettes suivantes, est horrible et ne donne pas spécialement envie de s'attarder sur le disque, ce qu'il faut, pourtant, faire si possible.
Le Train Du Soir (1981) : Sur les 6 titres de cet album, trois (Les Loups, qui est très rock ; Pas De Nom, qui est, avec son claveçin, étrange ; et Pas Mal De Journées Sont Passées) ne seront jamais repris en CD. Contenant en son sein le grandiose et long (12 minutes : les trois quarts de la face B !) Marchand De Rêves, cet album n'en demeure pas moins une relative déception, c'est même indéniablement le moins bon des albums de Manset (ce qui ne signifie pas qu'il soit mauvais ou moyen, il est même très bon, mais si on le compare aux autres...). On notera un reggae (Quand Les Jours Se Suivent), oui, vous avez bien lu, un reggae. Le morceau-titre est faussement gai et enjoué, ce disque étant, dans l'ensemble, assez sombre. Pochette austère représentant un avion soviétique crashé dans la nature en Asie (sauf erreur de ma part, au Laos), photo prise par Manset lui-même. Impossible de dire qui joue sur le disque : comme bien souvent (2870, Royaume De Siam...), Manset ne crédite rien de rien.
Comme Un Guerrier (1983) : Quand le disque sortira en CD en 1988, tout y sera repris, tout des 8 titres, champagne ! Mais par la suite, au fil des rééditions, Manset y virera un morceau, le très bon Maubert. On ne se refait pas... Comme Un Guerrier, connu aussi sous le titre L'Enfant Qui Vole (les deux titres sont aussi ceux de deux des chansons de l'album), est une belle amélioration par rapport au précédent opus. Manset fera encore mieux par la suite, l'album est vraiment bon, mais il ne fait pas partie des sommets. Ceci dit, la chanson-titre, L'Epée De Lumière, L'Enfant Qui Vole, sont superbes.
Lumières (1984) : A partir de ce disque, Manset, pour les versions CD, ne touchera à rien, grand bien lui en a été fait. Lumières existe donc en CD (en même temps, il ne doit pas être fastoche à trouver en 2015...) en intégralité. C'est un des meilleurs albums du mec, et sans doute son meilleur de la décennie, un album qui aurait d'ailleurs dû s'appeler Obscurité ou Ténèbres plutôt, car il est vraiment sombre. Et austère, à l'image de sa pochette quelque peu mystique, à la Joy Division période Closer, et montrant un jeune enfant de choeur. 6 titres, quasiment autant de merveilles : Finir Pêcheur, Entrez Dans Le Rêve, Un Jour Être Pauvre, et les 12 inoubliables minutes de Lumières, traversées par une chorale d'enfants et un texte lancinant et répétitif, hypnotique. Un sommet.
Prisonnier De L'Inutile (1985) : A peine plus léger que Lumières. Un disque quasiment aussi grandiose, avec Chambres D'Asie, Prisonniers De L'Inutile, Est-Ce Ainsi Que Les Hommes Meurent ? (allusion plus qu'évidente à Aragon et son Est-ce Ainsi Que Les Hommes Vivent ? qui fut chanté par Ferré, Lavilliers et Philippe Léotard). Là aussi, il existe entièrement en CD, même si le trouver aujourd'hui en commerce, à bon prix, relève de la gageure (sauf en occasion). Un excellent cru de Manset, à la pochette moins réussie que le contenue, mais marquante.
Matrice (1989) : Salué par la presse à sa sortie, gros succès aussi, cet album est marqué par son temps : sa production a pris un coup dans l'aile. Mais Matrice, très rock, est mis à part ça une totale réussite, un chef d'oeuvre de rock français avec notamment Banlieue Nord, Avant L'Exil, Camion Bâché, Matrice, Solitude Des Latitudes, Toutes Choses...Filles Des Jardins, aussi, et j'ai, ainsi, tout cité, l'album ne possédant que sept titres ! Un de mes grands préférés de Manset, rien que pour Banlieue Nord et Avant L'Exil, mais pas grâce à sa pochette !
Revivre (1991) : On entre dans la période la moins connue de Manset : les années 90. Pas la moins bonne, loin de là : ce Revivre peu connu est presque aussi remarquable que Matrice, et contient en son sein des chansons magistrales, comme Tristes Tropiques, Capitaine Courageux ou Territoire De L'Infini, ainsi que le morceau-titre (l'album contient aussi 7 titres, comme Matrice et, au final, pas mal d'albums de Manset sont peu généreux en nombre de morceaux !). Un Manset à découvrir une fois que l'on connaît les meilleurs opus (années 70, Matrice, Lumières), et en tout cas, pas un album à négliger.
La Vallée De La Paix (1994) : Encore moins connu, c'est même probablement le Manset le plus méconnu, ce n'est pas peu dire. Je ne sais pas vraiment quoi en penser : c'est un très très bon album, mais aucune chanson ne surnage du lot (il y en à 8), toutes sont belles (Paradis, La Terre Endormie), aucune plus que les autres. Un disque un peu oublié, comme le précédent et le suivant, un disque qui ne sera pas un gros succès à sa sortie, qui doit être, également, difficile à trouver, mais si vous aimez suffisamment Manset pour avoir tenu jusque là la lecture de cet article, vous devriez apprécier.
Jadis Et Naguère (1998) : Pendant longtemps, ce fut un de mes préférés, rien que pour Quand Il Etait Gosse, Vahiné Ma Soeur et A Quoi Sert Le Passé ?, trois immenses chansons. L'album est peu généreux : pour environ 45 minutes, il ne renferme que 7 titres, certains de plus de 6 minutes, sous une pochette des plus étranges et austères. Peu de succès à sa sortie (1998, année de Fantaisie Militaire, de Moon Safari...un disque aussi intérieur, aussi peu commercial que Jadis Et Naguère, sorti avec peu de promotion, n'avait que peu de chances), et il ne fait pas partie, généralement, des Manset les plus appréciés des connaisseurs. En ce qui me concerne, j'aime vraiment beaucoup ce Jadis Et Naguère qui, pourtant, ne paie pas beaucoup de mine à première vue !
Le Langage Oublié (2004) : Le retour après six ans de pause pendant lesquelles il sortira un ou deux best-ofs (et republiera en CD certains de ses albums, en les remodifiant notamment). Le Langage Oublié est une belle petite réussite, un disque, de plus, assez généreux, 54 minutes pour 10 titres, certains font plus de 5 minutes. Peut-être pas son meilleur album, mais à ce niveau, quand on parle de Manset, on sait que ça ne veut pas dire grand chose... Ici, rien que pour Le Coureur Arrêté, le morceau-titre, Dans Les Jardins Du XXIème Siècle et Demain Il Fera Nuit, il faut écouter ce disque. D'autant plus qu'il est plus facile à trouver que les autres (c'est aussi le cas des suivants), rapport au fait qu'il est relativement récent !
Obok (2006) : Titre d'album étonnant, pochette ne donnant pas envie, mais il ne faut pas s'y fier, Manset est un habitué en la matière. Obok, Fauvette, L'Enfant Soldat, La Voie Royale, Ne Les Réveillez Pas sont de remarquables chansons. Je suis personnellement moins accro (ce terme est un peu fort pour le coup) à Obok qu'aux deux albums qui le sandwichent dans la disco de Manset, mais j'aime quand même beaucoup cet opus de 2006 (et je suis de toute façon bien plus accro à la période 1970/1980 et aux albums de 1985 et 1989/1991 qu'aux albums de 1994/2008 en général !).
Manitoba Ne Répond Plus (2008) : Dernier album en date (depuis, un double album est sorti, Un Oiseau S'Est Posé, constitué de nouvelles versions de certaines de ses chansons, reprises par d'autres ou avec d'autres, une sorte de nouveau best-of, rien d'inédit dessus, je ne l'aborde donc pas). Sous sa pochette un peu bizarre et austère (une pièce de puzzle ?) et son titre en allusion probable à la BD (un album de la série Jo, Zette & Jocko, dessinée par Hergé, partage son titre avec lui, en rajoutant 'Le') se cache un album vraiment remarquable, comprenant notamment Comme Un Lego, que Manset, la même année, offrit à Bashung pour son Bleu Pétrole. La version Manset est elle aussi sublime, je préfère la version Bashung, mais de peu. Sinon, Dans Mon Berceau J'Entends, Le Pavillon De Buzenval, O Amazonie sont des chansons superbes.