Allez, un p'tit Dylan pour aider le mois de mai à se finir tranquillement. Mais en voyant quel album de Dylan j'ai décidé d'aborder (de réaborder, plutôt), je pense que le mois de mai va regretter de ne pas être déjà le mois de juin. On le sait, Dylan n'a pas fait que de grands albums. Loin de là. Il a même connu des années 80, disons, compliquées (malgré la présence de deux excellents opus durant cette décenie, Infidels et Oh Mercy ; le reste, sincèrement, fait souvent de la peine). Les années 60, hormis le premier album (pas génial, mais il fallait bien démarrer, et puis il allait tellement se rattraper dès le suivant... ce premier Dylan, de 1962, est à ce jour le seul que je n'ai toujours pas abordé, et même que je ne possède pas, moi le Dylanophile), sont intouchables. Les années 70 ont bien mal démarré, mais dès 1974, ça repart comme après une barre de Mars, et ça se maintient en très bonne forme. Ca veut donc dire que le début des années 70, de 1970 à 1973, est à chier ? Bon, pas totalement. Self Portrait (1970) est moyen, bizarre, mais je l'aime bien, et il mérite la réhabilitation. New Morning, même année, est meilleur (mais je l'aime moins ; oui, je sais, je suis bizarre, des fois). Puis le Barde, hormis un single (Watching The River Flow, produit par Leon Russell, très réussi) en 1971, ne fait rien. Il participe au Concert For Bangladesh la même année, c'est tout. Il vit en ermite chez lui avec ses chiards et sa femme. En 1973, il est sollicité par Sam Peckinph pour faire la bande-son du western Pat Garrett & Billy The Kid, dans lequel il joue un rôle secondaire, l'album sort, offre Knocking On Heaven's Door, gros succès. L'album, sinon ? Une bande originale, en bonne partie instrumentale, qui fonctionne bien.
Peu de temps après, David Geffen, un des magnats du monde musical, fondateur du label Asylum Records (Eagles, Joni Mitchell, Jackson Browne, Tom Waits...) et futur fondateur de Geffen Records, propose à Dylan de quitter Columbia, avec qui il arrive en fin de contrat (mais le contrat sera renouvelé, nul doute), pour gagner Asylum. Il lui offre même une villa (qui appartient toujours au Barde) en Californie, à Malibu. Dylan signe. Columbia est furax. Un de leurs plus gros artistes, chez eux depuis son premier album, les quitte ? Attends un peu, mon p'tit père ! semble se dire Clive Davis (président de Columbia de 1967 à, justement, 1973), qui s'exclamerait bien il connaît pas Raoul, ce mec s'il avait été au courant de l'existence des Tontons Flingueurs. En novembre 1973, Columbia sort Dylan, cet album-ci donc, contre l'avis de Dylan, sans lui en parler. Dylan n'a jamais considéré ce disque comme faisant partie de sa discographie, et hormis dans un coffret collector intégrale sorti en 2013, il n'a jamais été officiellement sorti en CD (mais en bootleg, sous le titre A Fool Such As I, si ; je l'ai, je confirme, c'est chez Howling Wolf Records et on y trouve, en bonus-tracks, l'essentiel des sessions Dylan/Cash de 1969 et un titre de la même époque, avec George Harrison, les bonus-tracks totalisent plus de durée que l'album, qui fait 33 minutes). Dylan, c'est quoi ? Et pourquoi le principal intéressé le renie ? C'est un album constitué, intégralement, de chutes de studio issues des sessions Self Portrait/New Morning, 1970 donc (1969 pour les deux derniers, issus des sessions de Self Portrait). Produit par Bob Johnston, sorti sous une pochette sérigraphiée assez hideuse, l'album est unanimement considéré comme le pire album jamais sorti par Dylan, mais comme il n'y est pour rien, ça ne compte pas vraiment, pour certains. Car horrible, cet album l'est, authentiquement, dramatiquement, cruellement. Cet album, c'est la réponse cinglante d'une maison de disques qui se sent trahie par son artiste parti voir ailleurs.
Dylan reviendra, fin 1974, chez Columbia (sans doute la queue basse et le regard penaud), se sentant à l'étroit et quelque peu oppressé chez Asylum, au sein desquels il fera Planet Waves (1974) avec le Band, et surtout le double live (aussi avec le Band) Before The Flood, même année, document illustrant une tournée américaine conjointe avec le Band, sa première tournée depuis 1966. Deux albums que Columbia récupérera dans le catalogue dylanien, d'ailleurs ; plus jeune, je n'avais les albums qu'en CD, et j'ignorais que Dylan avait temporairement quitté la maison-mère pour aller voir ailleurs. Pour en revenir à Dylan, le (très justement) mal-aimé et (très nettement mal fagotté album de 1973, c'est absolument imbitable. Je ne sais pas comment trouver de mots suffisamment forts pour dire à quel point c'est de la merde de chacal faisandée et recouverte de pisse de hyène en chaleur et de vomi de blaireau. Ecoutez le morceau en ligne, Lily Of The West, reprise d'un air traditionnel, et tremblez en pensez aux 8 autres titres, tous des reprises par ailleurs. Je ne sais pas ce que Joni Mitchell a pensé de la reprise que Dylan a fait de son Big Yellow Taxi, mais elle est infâme, horrible (la voix !), honteuse, indigne. Can't Help Falling In Love, la scie dégoulinante d'Elvis Presley, en est hilarante tellement Dylan est à côté de la plaque de fonte. The Ballad Of Ira Hayes, cette chanson sur un soldat native american s'étant brillamment illustré à Iwo Jima et qui ne mérite plus qu'on l'appelle Ira le poivrot ? Johnny Cash l'avait bien chantée, Dylan la viole à sec avec un vilebrequin rouillé. Mr. Bojangles, ce standard, est épouvantablement mal chanté ici (la voix ! encore une fois, la voix ! Quand Dylan glapit Mr Bojangles daaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaannnnnnnnnnnce, on en a limite mal aux dents). Spanish Is The Loving Tongue est ridicule (Dylan la chantera mieux au cours des mêmes sessions, voir le 10ème Bootleg Series), et je préfère ne pas dire ce que je pense de Sarah Jane et Mary Ann. Seul A Fool Such As I est, à la rigueur, mais uniquement les jours de grande marée sur l'Atlantique, écoutable. On peut dire que Columbia a réussi son coup avec ce disque immonde, une tâche d'huile de vidange sur un Boticelli, une trace de freinage à jamais imprimée au fond d'un caleçon Calvin Klein en soie blanche... Dylan n'y est pour rien, certes. Mais s'il n'a pas sorti de lui-même ce disque honni, il les a quand même enregistré, en 1969/70, ces merdes ! Il n'était vraiment pas en forme en 1970, et ça permet de relativiser et de se dire que, décidément, Self Portrait n'est pas si mal que ça, en fait...
FACE A
Lily Of The West
Can't Help Falling In Love
Sarah Jane
The Ballad Of Ira Hayes
FACE B
Mr. Bojangles
Mary Ann
Big Yellow Taxi
A Fool Such As I
Spanish Is The Loving Tongue