Dans la famille Winter, je demande le frangin, le jeune (deux ans de moins que son frangin plus connu que lui) : Edgar. Né avec la même particularité physique que son grand frère Johnny, Edgar Winter est, comme lui, un fou de musique : rock, blues, soul, jazz, bluegrass... Les deux frangins ont participé ensemble à Woodstock en août 1969, prestation absente du film et des deux albums de bande-son/compilation originaux parce qu'elle était trop longue. Chacun des deux frères a lancé sa carrière solo en 1969, Johnny avec Johnny Winter (abordé ce matin !), qui n'était pas son premier opus, mais fut son premier à sortir mondialement, et à connaître du succès (ce fut, sinon, son deuxième album en tout). Edgar avec cet album, son premier-premier pour le coup, un album du nom d'Entrance. On peut regarder les pochettes des deux albums, et constater : celle de Johnny est sur fond noir, et montre le bluesman de trois-quarts. Celle de l'album d'Edgar le montre, de face, sur fond blanc. Un peu antinomique. Mais, en même temps, même si les deux frangins se sont toujours bien entendu, ont souvent collaboré (en live, en studio), ont même commencé ensemble en duo, on ne peut trouver albums plus distincts l'un de l'autre que le premier opus de Johnny et le premier opus d'Edgar. Multi-instrumentiste de génie (claviers, saxophone, guitare...j'en passe), Edgar livre, avec cet Entrance au titre bien trouvé, un album résolument autre. Une sorte d'album à la Todd Rundgren (avec qui il collaborera souvent) à une époque où le même Rundgren n'avait pas encore vraiment commencé sa carrière solo (ou alors, discrètement).
Verso vinyle
D'ailleurs, au sujet de Rundgren, il faut que je dise ici qu'une petite partie de la mélodie du premier morceau d'Entrance d'Edgar Winter (le morceau s'appelle aussi Entrance) ressemble assez à un des morceaux de l'album A Wizard/A True Star que Todd Rundgren fera en 1973 (et sur lequel joue Edgar, sur certains morceaux, mais Todd joue quasiment de tout sur ses albums) : Tic Tic Tic, It Wears Off pour être précis. Todd a indéniablement entendu Entrance, et a repris une partie de la mélodie du morceau-titre. Ce n'est pas vraiment du plagiat, Toddy-O ayant réussi à faire autre chose avec cette bribe de mélodie. Mais la première fois que j'ai écouté Entrance, ça m'a sauté aux oreilles (je connaissais déjà l'album de Rundgren à ce moment, évidemment, sinon comment aurais-je pu me rendre compte de la similitude des mélodies ?). Entrance, sinon, est un disque bien difficile à décrire. Ce n'est pas du rock, mais une sorte de jazz-rock, parfois expérimental mais pas trop, assez étrange, allant dans tous les sens. Jouant essentiellement du saxo et des claviers, chantant aussi (une belle voix), Edgar livre ici un disque relativement long (48 minutes, 12 morceaux ; à noter que la réédition BGO de l'album, sortie en 2005 et proposant l'album en pack 2 CD avec l'album suivant d'Edgar - Edgar Winter's White Trash - , ne crédite pas le huitième titre, une reprise de Tobacco Road, alors qu'il est bel et bien le huitième titre de l'album ; et le premier de la seconde face ; sur le vinyle, ce n'est d'ailleurs pas clairement indiqué non plus, Tobacco Road étant indiqué comme étant le titre de la seconde face), divisé en deux faces bien distinctes. La première, longue de 7 titres, porte même le sous-titre de Winter's Dream, et propose les morceaux sans aucune pause entre eux, une longue suite d'environ 23/24 minutes. Autant le dire, c'est parfois un peu lourd à digérer, cette première face étant la plus inclassable du lot, la plus jazzy/soul, assez éthérée des fois, assez zappaesque dans d'autres (toutes proportions gardées). Mais Entrance, le long Fire And Ice ou Back In The Blues sont d'excellents moments.
Affiche promotionnelle
Je suis cependant bien plus amateur de la seconde face, avec notamment une remarquable reprise de Tobacco Road (un morceau de J.D. Loudermilk, standard du blues, qu'Edgar transcendera en live : sur Roadwork, le double live de 1972 fait avec son groupe Edgar Winter's White Trash, ce morceau occupe toute une face, avec 17 minutes hallucinantes au compteur ! Ici, il n'en dure que 4), Jimmy's Gospel ou A Different Game, sur lequel Edgar en fait cependant sans doute un petit peu trop, vocalement parlant. D'ailleurs, dans l'ensemble, Entrance en fait sans doute un petit peu trop, en tout : production assez imposante, interprétation vocale parfois un peu trop enthousiasmée, durée assez généreuse (quasiment 50 minutes), accumulation de genres (jazz, blues, soul, rock, expérimental, difficile de s'y retrouver), on sent qu'Edgar Winter a voulu tout donner d'un coup, l'air de dire je sais faire ça, et puis ça aussi, et même ça, j'aime ce genre de musique, et celui-là aussi, j'aime aussi ça, sans se retenir, sans vouloir en laisser un peu pour la suite. D'ailleurs, la suite sera assez différente : Edgar Winter's White Trash, son album suivant, en 1971 (premier des deux albums, l'autre étant le live Roadwork, fait avec son groupe, au sein duquel se trouvent le guitariste et chanteur Rick Derringer et le chanteur et saxophoniste Jerry LaCroix), sera totalement différent, un album de rock teinté de soul gospellienne (Save The Planet) et de funk, un disque très accessible enregistré par un groupe assez complet (avec Edgar, ils sont sept en tout, comme Chicago de la même époque, dont la musique est similaire, en plus jazzy que rock cependant). Pour en revenir à Entrance, ce premier album d'Edgar n'est donc pas parfait, mais il est cependant à écouter pour ce qu'il est, un petit OVNI musical, assez chargé, mais montrant cependant très bien qu'Edgar est aussi talentueux que son glorieux frangin (lequel, lui, s'est limité à la guitare et au blues-rock), aussi digne d'intérêt. L'album déplaira peut-être à certains, j'avoue que la première écoute me fut difficile, ce n'est qu'au bout de plusieurs écoutes que j'ai commencé à apprécier le disque. Mais ce fourre-tout luxuriant est indéniablement un disque courageux, osé (c'est un premier album, après tout ; et sur la pochette, le regard quelque peu austère et suffisant d'Edgar veut bien dire ce qu'il veut dire : je suis fier de ce disque, et en effet, il l'est et a raison de l'être), certes pas très accessible parfois, mais on ne saurait mettre en doute le talent d'Edgar et sa volonté d'aller au-delà des carcans musicaux (l'album est autoproduit par ses soins, d'ailleurs). Même s'il se calmera par la suite, tout du long de sa carrière, plus accessible et sobre que cet Entrance vraiment à part.
FACE A (Winter's Dream)
Entrance
Where Have You Gone
Rise To Fall
Fire And Ice
Hung Up
Back In The Blues
Re-Entrance
FACE B
Tobacco Road
Jump Right Out
Peace Pipe
A Different Game
Jimmy's Gospel