Bruce Springsteen a, en 1984, cartonné avec Born In The U.S.A. mais son successeur, Tunnel Of Love (1987), tout en ayant bien marché, a sans doute un peu déçu son monde. J'ai eu l'occasion d'en reparler en août dernier, de cet album de 1987 desservi par une production qui, à l'époque, était totalement normale et acceptable, mais qui a pris un sérieux coup dans l'aile depuis et fait que l'on ressort peu souvent ce disque. Dans ma chronique, je disais qu'autrefois, je n'aimais pas du tout ce disque, ma première chronique le concernant le rangeait dans les ratages, mais qu'au final, à force d'écoutes, et mes goûts musicaux ne cessant de s'affiner, d'évoluer (je n'écoute plus guère Iron Maiden, que j'adorais autrefois, que je ne déteste pas maintenant, mais je n'ai plus envie d'écouter ce groupe depuis deux-trois ans, ça reviendra peut-être), Tunnel Of Love est devenu un de mes chouchous du Boss, rien de moins. C'est exactement la même chose qui est arrivée pour les deux albums suivants du Boss, lesquels avaient autrefois (2014) été abordés en un seul article les regroupant, ce n'est désormais plus le cas car cet article ne concerne que le premier, et un article sur le suivant va suivre dans quelques jours. Mais ces deux albums sont indissociables car enregistrés et surtout sortis en même temps (sortis le même jour : 31 mars 1992). Autrefois, ils étaient rangés dans les ratages, eux aussi. Vous pouvez le constater, ce n'est plus le cas, le tag a disparu, la catégorie a changé. Oui, maintenant, j'ose le dire, j'aime beaucoup, vraiment beaucoup Human Touch et Lucky Town.
On reparlera du second bientôt, donc ici, il ne sera question que de Human Touch. Long de 58 minutes, il offre 14 titres enregistrés entre 1989 et 1991, sans le E-Street Band, qui n'avait déjà pas participé à tout Tunnel Of Love. L'album est sorti sous une pochette qui ne donne absolument pas envie et fait penser à un bootleg, une compilation budgétaire ou à un album d'un artiste de troisième zone n'ayant eu que peu de budget pour son disque. Lettrage énorme et rouge, criard, une photo zoomée du bras du Boss tenant sa guitare contre sa hanche (au dos, tenant son manche par les deux mains contre son corps), ça fait vraiment cheap. C'est totalement en raccord avec le contenu musical, l'album et son successeur (mais surtout celui-ci, les gens s'accordant à trouver que le suivant est un peu meilleur) sont quasi unanimement considérés comme la pire période de Springsteen, qui a tenté, ici, des chansons légères, sans prise de tête, et ça n'a pas marché. Ou alors il était en perte d'inspiration, asséché après deux décennies qui l'ont imposé comme Jon Landau, son producteur, disait de lui, l'avenir du rock. Ou bien, dernière hypothèse, la mienne, mais probablement pas la bonne (mais j'aime penser à ces deux albums de la sorte), peut-être que Human Touch et son successeur (après, promis, on parle de la musique dessus), le Boss en avait marre qu'on voit en lui le Boss, justement, et tel Bob Dylan en 1970 avec Self Portrait, il a essayé de briser son statut en faisant du rock heartland sans envergure, loin de ce que l'on attendait/espérait de sa part (déjà, le précédent avait un peu frustré), en espérant que les gens comprennent qu'il n'est qu'un musicien de rock, pas un dieu, afin de tomber de lui-même de son piédestal. Ca avait marché pour Dylan, dans un sens. Si c'est ce qu'il a voulu, ça a marché : pendant les années 90, malgré un The Ghost Of Tom Joad acoustique remarqué en 1995, le Boss sera ringardisé.
Mais comme je l'ai dit, ce n'est probablement pas l'hypothèse la plus certaine. En fait, le Boss avait sans doute envie de faire du rock un peu plus léger, et devant l'accumulation de chansons enregistrées, il a décidé, conjointement avec Columbia Records, de sortir deux disques, le même jour, comme les Guns'n'Roses le firent en 1991 avec Use Your Illusion. Mais j'aime bien mon hypothèse, elle permet de relativiser un peu. Parce que si on met de côté le morceau-titre, I Wish I Were Blind et Man's Job, on a, ici, vraiment, du rock heartland sans prise de tête, sans envergure, du sous-Springsteen ou sous-Mellencamp/ Ce qui ne m'empêche pas, finalement, après moult écoutes, d'adorer cet album qu'autrefois, trop exigeant avec mon Boss, je détestais. Oui, c'est évident, Human Touch n'est pas du grand Springsteen. C'est du Boss secondaire, il ne faut pas commencer sa découverte de la discographie de Bruce par lui et son successeur/accompagnateur (peut-on parler de successeur quand l'album suivant est sorti le même jour, numéro de série quasi identique à un chiffre près ?), mais je peux vous assurer que malgré la présence de trucs aussi insignifiants et ratés que 57 Channels (And Nothin' On), Pony Boy et Cross My Heart, cet album est parfaitement écoutable. Des morceaux qui fonctionnent bien en fond sonore, en accompagnement durant un trajet en voiture, des chansons certes pas immortelles, mais agréables comme Soul Driver, Gloria's Eyes, With Every Wish ou The Long Goodbye, en plus des autres citées plus haut (Human Touch est une des meilleures du Boss, clairement). Ce disque, le Boss l'a enregistré avec notamment Jeff Porcaro de Toto, Roy Bittan du E Street Band (le seul du Band ici présent), Randy Jackson, David Sancious (qui fit partie de la première mouture du E Street Band), Patti Scialfa (femme du Boss depuis 1991). De solides musiciens (Porcaro, qui devait jouer durant la tournée, mourra d'une attaque cardiaque, en été 1992), qui assurent, et la production, bien dans l'esprit de l'époque (le son est clair, rock, pur et dur, au-revoir les sonorité de Tunnel Of Love), est une des meilleures choses du projet. Au final, Human Touch est certes secondaire, mais pourri ? Finalement, non, pas du tout ! Quant à Lucky Town, on en reparle ici, prochainement...
FACE A
Human Touch
Soul Driver
57 Channels (And Nothin' On)
Cross My Heart
Gloria's Eyes
With Every Wish
Roll Of The Dice
FACE B (première édition vinyle ; la réédition est sur deux disques)
Real World
All Or Nothin' At All
Man's Job
I Wish I Were Blind
The Long Goodbye
Real Man
Pony Boy
Mais ça n'en fait pas un "mauvais" disque.
Sinon, je trouve que ton "ringardisé" est un petit peu exagéré.
Oui, il rentre dans le rang et est moins exposé.
Mais il y a quand même Streets Of Philadelphia, le buzz autour de la reformation du E Street pour les inédits du best of, puis celle de 1999...
Il ne tombe pas aussi "bas" que le Dylan ou le Young des années 80, oh non.
Sinon, le morceau-titre est mon premier souvenir conscient de BS.
Gamin, j'entendais BITUSA, Dancing In The Dark ou Brilliant Disguise à la radio, mais passivement.
Human Touch, c'est la première fois où je me dis "c'est bien, ça !".
L'ambiance, la voix, je suis absolument sous le charme.
Au moment de la sortie du best of en 95, j'étais mûr.