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Autant dire que je l'attendais, celui-là... Et la soirée ne pouvait être qu'historique. La première visite des Corbaques en France depuis 12 ans, une des plus belles salles de Paris (la plus belle ?), l'été renaissant, tout était au rendez-vous. Un sentiment d'euphorie gonflé au houblon et à l'annonce inattendue de la paternité d'un de mes comparses du soir. 19h30, le boulevard Rochechouart est noir de monde, les filles sont belles, et la grand-messe va bientôt commencer.

Bien sur, ce ne sont plus les Zénith remplis des années 90, ni même l'Olympia de 2001. Mais à vrai dire, je m'en fous. Au moins, on ne va pas se retrouver au beau milieu de touristes. En entrant dans le hall de la salle, je visualise le topo : un public cool par définition. On trouve du biker, du hippie débonnaire, du jeune stylé mais rock n' roll, du bon gros geek musical connaisseur, des Américains en goguette. La vue d'un stand Heineken me fait tirer du gosier. En un pareil soir, ils auraient pu proposer de la bière de meilleure qualité, quand même ! Tant mieux en un sens, je traine mes deux compagnons vers la salle malgré leurs protestations bulleuses... C'est qu'il est bientôt 20 heures, et je sens l'odeur du sang. L'attaque risque d'être du genre blitzkrieg.

 

Bonne pioche, Leslie ! A peine nos positions établies, la musique d'ambiance stoppe brutalement. Le décorum est divin. La Cigale est la salle révée pour ce type de concerts. Les Crowes nous accueillent avec tapis persans, encens... Manque plus que les narguilés et les shiloms ! Mais déjà des ombres percent... Et les voici ! Le discret Adam McDougall va s'installer derrière sa mitraille de claviers, le petit nouveau Jackie Greene à la guitare porte un improbable (et bien moche) T-Shirt "Le charme discret des modernistes", le jovial Sven Pipien à la basse... Et sous des acclamations redoublées, le seul héritier valable de John Bonham (avec Grohl), l'immense Steve Gorman derrière les fûts. Et enfin... les Brothers Of A Feather, les Abel et Cain les plus célèbres du rock avec les Gallagher et les Davies. Rich Robinson, guitar-hero taciturne qui a gardé sa beauté pré-raphaélite malgré les années et les excès. Et son frère, le Rod Stewart de Géorgie, le Cosmic Hippie, Chris Robinson, statue christique, déguingandée et barbue. Déjà je me sens défaillir, j'ai attendu depuis si longtemps...

 

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Les paris allaient bon train avant le concert sur le déroulement du show : laid-back comme leurs derniers albums (le concert de Bruxelles était de ce genre) ou rock à l'ancienne ? Perso, tout me va. Balancez la sauce, les mecs !

Et PAN ! C'est parti pour 20 minutes de frénésie boogie. Jealous Againdébute les débats en mode stonien et roots. La foule est déjà réceptive et enthousiaste, ça sent très très bon... A peine le temps de respirer (non même pas en fait, pas de pause...), Thick n' Thin nous déboule sur le râble. Version speedée et jubilatoire, les fourmis dans le jambe et les vapeurs de tord-boyaux dans un clandé d'Atlanta, Hot Southern Nights...

Chris, goguenard, nous souhaite la bienvenue, Welcome To The Rock n' Roll Show !. On sent l'envie de bien faire, Robinson a durablement vécu à Paris dans les années 2000, 12 ans d'absence...

Le laminage boogie se poursuit avec un enchainement foudroyant et bien rodé (normal, c'était déjà le cas sur disque...) Hotel Illness/Black Moon Creeping. Les cris d'enthousiasme redoublent sur les salves d'harmonica. On sent confusément qu'on entendra pas beaucoup de morceaux de Warpaint et Before The Frost...

Impression confirmée par une séquence surprenante et plus obscure, apaisée aussi : le Magic Rooster Blues tiré du live des frères Robinson en solo, et une reprise méconnaissable et fantastique du Medicated Goo de Traffic.  "Come on, babe ! It's good for you, that same ole-fashioned medicated goo...", tu m'étonnes John ! La tension redescend ostensiblement dans le public, l'heure est désormais à l'écoute et au recueillement. Et encore, on ne savait pas encore ce qui allait suivre...

Greene et Rich prennent la main, avec l'aide de McDougall. C'est parti pour 25 minutes en apnée. On a eu le droit à un enchainement de "Southern Harmony", et là c'est au tour d'"Amorica" ! Ballad in Urgencys'achève comme prévu sur le solo de claviers... Jusqu'ici, tout va bien. Ils vont quand même pas oser ? Et ben si, même pas peur ! Le vieux cheval de bataille cosmique est de sortie. Wiser Time est dantesque, une joute de guitares et de claviers à la mort. La version enfle, enfle, s'envole haut, très haut, convoquant les fantômes de Duane A. et des Skynyrd. Le quart d'heure est déjà dépassé... Après 17 minutes tétanisantes, plus de son. Un rugissement féroce s'échappe des 1200 cages thoraciques en sueur. La vieille salle de bal est sur le point de succomber définitivement.

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Rusés comme des singes, les Crowes sortent les mandolines et les guitares acoustiques pour calmer le jeu. She Talks To Angels est l'occasion de chanter à gorge déployée. On a beau s'y attendre, cette chanson reste toujours aussi belle. Downtown Money Waster joue quant à lui la carte The Band, égrillard et foutrement roots. Le groupe nous travaille au corps depuis maintenant 1 heure 20, c'est le moment de porter l'estocade...

Et quelle estocade... Soul Singing/Remedy/Thorn In My Pride, prends ça dans les dents et bouffe de la soupe ! Les lights tamisées laissent la place à une lumière orange incandescente, les frères Robinson devinent désormais ce qui se joue devant leurs yeux. Ils découvrent un public parisien surchauffé comme j'en ai jamais vu à Paris. A partir de là, nos deux frères ennemis sont tous sourires, MÊME ENTRE EUX ! Ils iront jusqu'à une accolade émue et sincère... L'enchainement de hits remplit son office, l'ambiance ne chutera plus jusqu'à la fin. D'excellent, ce concert va basculer dans l'historique... Le Thorn In My Pride est insoutenable de beauté, un quart d'heure d'émotion et de rage (cette jam stonienne ahurissante en son milieu) qui s'achève sur un final quasi-gospel chanté à l'unisson par Pipien, Greene, et les Robinson. Sur ce, le groupe prend congé. "Rock n' roll music for real rock n' roll people, right on ! RIGHT ON ! merci beaucoup !"

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Il ne faut pas attendre longtemps pour les voir revenir. Les rappels sont souvent constitués de reprises, et les paris vont bon train. Manassas ? Gram Parsons ? Little Feat ? Stones ? Beatles ? Ry Cooder ? En voyant Chris empogner une gratte et Rich s'approcher du micro, on se regarde d'un air entendu. Oh, sweet nuthin'... Oui, ça sonne légèrement improbable sur le papier, mais les Crowes reprennent une chanson du Velvet Undergound ! Pas la plus extrème, certes, mais quand même. Face à son gigantesque chanteur de frère, Rich ne démérite pas. Il a une voix magnifique et posée, parfaite pour ce titre mélancolique et un peu fatigué. Encore une fois, des choeurs à 4 voix absolument divins... Quel groupe...

Bon, c'est pas tout ça mais un rappel, ça doit exulter aussi, non ? Ben tiens, mon cousin ! Steve Gorman lance une ruade de batterie, et les grattes embrayent sur le groove torride de Hard To Handle. ça danse, ça sue, ça se trémousse de partout. Les refrains sont scandés au bord de l'exultation pure. L'orgue empiète peu à peu sur le groove, ça vire un peu au vaudou... La tournerie prend forme, un thème familier se met en place... Et sans transition, ils basculent une version du Hush de Billy Joe Royal (mais en mode Deep Purple) qui vire au tour d'honneur. Sourires extatiques sur tous les visages... Après un retour sur HTH, ils prennent congé une seconde fois sous un vacarme démentiel.

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Cette fois-ci, ça semble bien fini. Déjà quelques spectateurs nous passent sous le nez pour se diriger vers la sortie. Pauvres fous... Les roadies commencent à éteindre les amplis, on nous fait signe que bon, va falloir songer à décaniller. NON ! Tel des Mirabeau rock, nous en décidons autrement. "Nous sommes ici par la volonté du peuple rock, et nous n'en sortirons que par la force des guitares électriques !". 1 minute, 3 minutes, 4 minutes... ça hurle, ça tape des pieds, des mains, un vrai tohu-bohu ! De guerre lasse et sourire en coin, un roadie se dirige vers le côté de la scène en direction des coulisses genre "vous n'y échapperez pas, les mecs !"

Et ils n'y échapperont pas...

Visiblement touchés, ils reviennent une deuxième fois. Un drapeau US/Peace Sign vole sur la scène, Chris en couvre un ampli... Un couple d'Américains derrière moi n'en revient pas, c'était leur 26e concert du groupe et ils n'ont JAMAIS vécu pareil moment. Et ils tombent directement dans les vapes quand le groupe mitraille en guise d'adieu un Jumpin' Jack Flashkérosène et supersonique. On se pince, on en pleure, on se sent vivant par tous nos pores. Après plus de deux heures, c'est malheureusement fini. Nous retrouvons dans le hall un public hagard, pantelant mais ravi. Il sera dur de redescendre d'ailleurs...

The Black Crowes est toujours un des meilleurs groupes rock de scène qui soit. Que cela soit hurlé sans répit.

C'est presque aussi bon que le sexe, croyez moi.

Plus jamais 12 ans d'absence, messieurs. C'est trop cruel... Et mille fois, MERCI, MERCI pour ce que vous êtes.

 

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