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Sans doute pour essayer d'atténuer le choc que la séparation des Beatles a dû être pour lui (et ce, malgré le fait qu'il en ait été en partie à l'origine, ayant annoncé son départ du groupe par voie de presse en avril 1970 au moment de la sortie de son premier opus solo), Paul McCartney n'a pas cessé de bosser à partir de cette déclaration de presse. McCartney en 1970, Ram enregistré entre 1970 et 1971 et sorti un an après le premier album, en 1971 donc (ces deux albums ont été accueillis comme l'annuelle épidémie de gastro par une presse déchaînée), et juste après Ram, voilà-t-y-pas que l'ex-Beatles crée un nouveau groupe : Wings. Ce groupe, Macca l'imagine avec lui-même au chant et à la basse, sa femme Linda aux choeurs et claviers (elle ne savait pas en jouer de manière professionnelle ? Pas grave ! Elle apprendra), le batteur Denny Seiwell (qui a joué sur Ram) et, à la guitare et aux choeurs, un ancien membre des Moody Blues et de l'Air Force de Ginger Baker, un certain Denny Laine. Ces quatre-là vont donc, à la surprise générale, fonder ce nouveau groupe qui, personne ne pouvait s'en douter, tiendrait quasiment 10 ans (séparation en 1980). Wild Life, sorti en fin d'année 1971, et enregistré en un temps record, sera leur premier album. Les deux premiers opus solo de Macca ont été mal accueillis par la presse ? Wild Life a été la-mi-né, détruit par la presse, on parle d'une vraie fatwa, un des pires accueils jamais faits à un album d'un ex-Beatles, quel qu'il soit, avec les Dark Horse et Extra Texture de Harrison et le Some Time In New York City de Lennon et Ono (quant à Ringo, je ne préfère même pas parler de comment ses albums de la période 1976/1983 ont été reçus).

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En même temps, ce premier cru des Wings n'avait pas grand chose pour aider le succès : une pochette certes super jolie mais sur laquelle Paul n'est pas immédiatement visible, vu qu'il est situé au même niveau que ses trois compères, tous assis sur une branche d'arbre placée au-dessus d'une rivière, dans un décor forestier et très nature (tous sont pieds-nus, entourés de colombes, Macca joue de sa guitare et est à moitié dans la flotte) ; aucun nom sur le recto (il y avait peut-être un sticker à la base, ceci dit, mais avec le nom du groupe, pas celui de Macca), et le nom de McCartney n'apparaît que discrètement au verso, inséré dans un court mais amusant texte signé Clint Harrigan (alias Macca sous un faux-nom, mais personne ne le savait alors ; c'est le nom du 'journaliste' ayant signé l'interview de 1970 au cours de laquelle Paul annonçait son départ des Beatles, bref, c'était une auto-interview). On a aussi un dessin rigolo mais pas particulièrement réussi, représentant le groupe, avec des paires d'ailes. Il y à 8 titres sur ce disque (en fait, 10, mais deux sont des intermèdes non-crédités), aucun ne sortira en single. L'album dure 38 minutes et sa production est très brute de décoffrage, j'ai précisé plus haut que Wild Life a été enregistré à toute berzingue et ça s'entend. Par la suite, les albums des Wings seront remplis de fioritures de production (orchestres, cuivres, effets sonores), ici, il n'y à rien de tout ça, c'est le groupe qui joue, Macca qui chante (Linda aussi, de temps en temps), et that's all, folks. Avec tout ceci (aucune promotion via un single, aucun nom reconnaissable sur la pochette à moins de prendre le temps de lire le texte, une pochette jolie - sans doute sous influence de celle du premier Lennon, de 1970 - mais sur laquelle on ne distingue pas immédiatement Macca, et aucun nom sur le recto, sans oublier la production très directe et la mauvaise presse dont Macca était déjà l'objet à l'époque), on ne s'étonnera donc pas du bide commercial et de la mauvaise, très mauvaise réception de l'album dans la presse.

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A l'heure actuelle difficile à trouver (pas réédité en CD depuis les années 90, cet album et le suivant, ainsi que London Town et Back To The Egg, restent, pour Macca, à ressortir dans son Archive Collection qui tarde à se poursuivre) en CD, Wild Life mérite-t-il autant de haine ? Sincèrement, si on ne peut pas parler de chef d'oeuvre, si cet album ne fait pas partie des meilleurs des Wings et de Paul tout court, la réponse est tout de même non. Mais alors, un bon gros non bien massif ! Certes, il faut s'accrocher, cet album est abrasif, il n'est pas commercial, et Macca dire un jour, au sujet de ce disque, qu'il faut vraiment, mais alors vraiment aimer ce qu'il fait pour aimer cet album. On y trouve à peu près de tout : du rock bien furax en ouverture avec Mumbo, morceau totalement loufdingue enregistré à la va-comme-je-t'arrache-les-poils-du-cul-avec-une-pince-à-sucre, le morceau (et donc l'album) s'ouvre sur un loop de bande et Macca qui braille Take it, Tony !, à l'intention de l'ingénieur du son, avant de commencer à brailler son texte de sa plus belle voix anti-McCartneyienne. Difficile de se dire que c'est Paul qui chante, mais c'est bien le cas ! Le morceau est du rock garage de la plus belle eau-de-vie frelatée à 60°, le groupe est en surchauffe, je crois que c'est Macca qui joue de la batterie sur ce titre, au passage, mais je n'en suis pas sûr. Bip Bop, qui suit, est un autre délire, acoustique et folk celui-là, un morceau que Macca, je crois, ne peut plus blairer depuis et qui inspirera à Voulzy et Souchon le J'Ai Dix Ans de Souchon (la mélodie). Là aussi, difficile de se dire que c'est Paul qui chante, ce qui est cependant le cas. L'album s'ouvre sur deux titres vraiment étranges. Love Is Strange, une reprise d'un vieux standard, est ici un reggae, oui, un reggae, qui met du temps avant de laisser le couple Macca chanter. Très joli, au demeurant. Wild Life, plus de 6 minutes, achève la face A sur une ode aux animaux, le couple a toujours été pour le bon traitement des animaux (voir la chanson Looking For Changes, en 1993) et des végétariens de longue date, avant que ça ne devienne hype de l'être. La chanson est une complainte interprétée de manière déchirante par un Paul très concerné, c'est lent, triste, sublime. Et trop méconnu.

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Quasiment aussi longue, Some People Never Know, qui ouvre la face B, est interprétée en duo par les Mac, qui forment vraiment, vocalement, un très beau couple. La chanson est peut-être un peu trop longue, elle tourne un peu en rond, mais n'est pas désagréable pour autant. I Am Your Singer, en grande partie interprétée par Linda, est bien plus courte, un peu grésillante dans sa production, et dans son genre, bien meilleure que les autres chansons que Linda chantera seule (Cook Of The House en 1976, Seaside Woman en 1977, parue en single sous le pseudonyme Suzy & The Red Stripes, mais en réalité interprétée par Linda et les Wings). Une petite chanson calme, douce comme une pluie d'été. Bip Bop Link est le premier intermède, moins d'une minute, instrumental, non-crédité (sauf sur le CD) mais bien présent. Tomorrow est le morceau le plus connu de l'album (avec Bip Bop), une belle chanson qui aurait mérité de sortir en single, sans doute aurait-elle marché et le destin de Wild Life aurait peut-être été un tantinet différent. Ou pas. Belle petite chanson sans grande surprise, mais vraiment jolie. Tout comme Dear Friend, 6 minutes dédiées à Lennon. On le sait, entre les deux anciens complices, il y avait de l'eau dans le gaz à tous les étages en 1971. Lennon n'a pas aimé le Too Many People (sur Ram), qui avait en effet quelques allusions caustiques dans ses paroles. Lennon, sur Imagine, répliquera avec un How Do You Sleep ? encore plus méchant qu'un compte-tendu de Yann Barthès sur une émission de Cyril Hanouna (sans oublier un détail de la pochette de Imagine - une photo glissée dans la pochette - qui parodiait cruellement celle de Ram). Sentant bien que tout ça finira mal si ça continue, Macca, avec Dear Friend, chanson délicate et mélancolique, joue l'apaisement total. Et ça marchera : Lennon n'insistera pas dans sa charge (il avouera par la suite avoir regretté sa chanson), les deux finiront par avoir de bien meilleures relations (mais tout de même des relations amitié/méfiance, il faut le dire) jusqu'à la fin de John en 1980. Je ne dirai pas que c'est grâce à cette chanson qui achève Wild Life (enfin, juste après, on a, en final, Mumbo Link, deuxième et dernier intermède, tout aussi court et instrumental que le précédent), mais ça a joué tout de même. Pour finir, ce premier cru des Ailes n'est donc pas un album grandiose, mais il ne mérite vraiment pas la volée de bois vert qu'il s'est pris sur le coin de la gueule depuis sa sortie. Il sonne vraiment très bien en 2018, je trouve, il sonne sans doute mieux qu'à l'époque, en fait. A réhabiliter, et à quand la réédition CD, bon Dieu ? Paul, tu te sors les doigts, oui ?

FACE A

Mumbo

Bip Bop

Love Is Strange

Wild Life

FACE B

Some People Never Know

I Am Your Singer

Bip Bop Link

Tomorrow

Dear Friend

Mumbo Link