Dire que ça a été vendu sous l'étiquette punk à sa sortie en 1977... Alors que, franchement, ce disque n'a pas grand chose de punk. Sa production ? Elle est signée Glyn Johns, tout de même, le mec a bossé avec Led Zep, les Stones, les Who, pas un débutant ! Son style musical ? 8 chansons dont certaines dépassant les 5 minutes, pas très punk tout ça, et musicalement, qui plus est, on évolue plus vers un rock influencé par le saxophoniste de jazz John Coltrane que vers les Sex Pistols ou les Ramones... Le chant n'est pas punk, sauf, à la rigueur, les moments un peu agressifs (peu fréquents) et les choeurs (et encore, ils font glam, parfois, aussi). Non, la seule chose vraiment punk ici, c'est la pochette, ce visuel, cette photo aux couleurs vaguement crasseuses, cet artwork très sobre et proche de l'amateurisme. Sinon, ce disque est le premier d'un groupe de rock américain, issu de la scène new-yorkaise, et fondé en 1974, un groupe du nom de Television. Un groupe de proto-punk, comme les Modern Lovers, les Talking Heads ou Patti Smith. Television est, sur ce premier album sorti en 1977, enregistré en 1976/1977, constitué de Tom Verlaine (chant, guitare), Richard Lloyd (guitare), Fred Smith (basse, rien à voir avec le Fred Smith de MC5 qui épousera Patti Smith et est mort en 1994) et Billy Ficca (batterie). De gauche à droite sur la pochette, Smith, Verlaine, Lloyd, Ficca. A la base, le groupe avait en son sein, à la basse, Richard Hell, ami d'enfance de Verlaine (qui a puisé son nom de scène d'après le fameux poète français qu'il affectionne). Ce dernier, qui quittait généralement le groupe dans lequel il était au bout de 6 mois, est parti, rapidement, pour entrer dans les Heartbreakers de Johnny Thunders, et, ensuite, est parti des Heartbreakers pour fonder son propre groupe. SES propres groupes, en fait ! Dont les Neon Boys, Voidoids (Blank Generation)...
Verso de pochette vinyle
Mais retour à Television. Leur premier album date de 1977, donc, et s'appelle Marquee Moon. Avant ça, deux ans plus tôt, au même moment que Patti Smith et son single Hey Joe/Piss Factory, le groupe se fera repérer par un single autoproduit (comme le single de Patti), Little Johnny Jewel. Une chanson hélas absente de l'album (sauf sur certaines rééditions CD), et franchement imparable. Imparable aussi est ce disque de 44 minutes, Marquee Moon, disque majeur de 1977 et des années 70, un disque pour amoureux de la guitare, une cathédrale sonore absolue parfaite de bout en bout et renvoyant les autres groupes estampillés, eux, punk, chercher des fleurs sous la pluie. 8 titres, rien à rejeter, rien, strictement RIEN. Certes, le chant de Tom Verlaine est assez horripilant par moments, et selon votre humeur ; il est aigu, nasillard, narquois, haut-perché, pas le plus délicat ni le plus appréciable, mais il fait partie de l'aventure (Adventure sera d'ailleurs le nom du deuxième album, bien raté, du groupe, en 1979). Un groupe mythique, ce Television. Téléphone s'est-il appelé ainsi en hommage au groupe de Verlaine, fondé un peu avant eux ? Ou bien n'est-ce qu'une coïncidence ? Passons. Une seule écoute de ce disque vous suffira sans doute pour que vous ayez envie, ensuite, de vous le refoutre sur votre platine ou dans votre chaîne hi-fi, tellement il est attachant et bluffant. Démarrant par deux hymnes rock sautillants (See No Evil, Venus) qui foutent la patate et s'imposent d'entrée de jeu comme une des meilleures paires de chansons d'introduction d'album, le disque plonge ensuite dans une Friction tétanisante, laquelle est sans doute le morceau le plus qualifiable de punk, à la rigueur, de l'album. Quel riff ! Le chant de Verlaine est hargneux. Les paroles, roublardes : You can tell 'bout my dick...ction (jeu de mots, hein).
Et que c'est pas fini, comme Brel le chante dans Ces Gens-Là : Marquee Moon surgit. 10,30 minutes (au lieu des 9,58 créditées sur toutes les éditions). Tuerie. Boucherie. Charcuterie. Traiteur. Boulangerie. Poissonnerie. Cordonnerie. Sauvagerie. C'que vous voulez. Mais sachez que ça envoie du lourd ! Un riff bien grandiose et décalé, des paroles totalement loufdingues, une ambiance coltranienne de folie, des duels de guitare, des soli d'enfer (qui sont crédités sur la pochette, pour chaque morceau : ici, Lloyd fait le premier, et Verlaine le second)... Aucun répit durant les 10 minutes, qui ne sont pas punk, mais vraiment rock ! La face B s'ouvre sur le fantastique Elevation. Une chanson qui vous embarquera très haut dans les cieux, à tutoyer Dieu, clairement. Quelles parties de guitare, vraiment... Guiding Light suit, une pure merveille aussi douce que son titre ('Lumière qui guide') le laisse présumer, encore une fois un solo tout simplement beau à pleurer dans son paquet de céréales le lundi matin quand on est collégien. Oui, le chant de Verlaine reste assez irritant, mais il est, aussi, sublime, ce qui est très paradoxal. Je n'imagine que difficilement les chansons de Marquee Moon chantées par un autre. Prove It est une chanson qui m'a longtemps résisté, je la trouvait exubérante (elle l'est vraiment) et assez moyenne, je la voyais comme, clairement, le point faible de l'album. Alors, force est de constater qu'en effet, c'est la moins fulgurante des 8 de l'album, mais est-elle mauvaise ? Oh fatche de cong, bien sûr que non ! C'est sur ce titre que Verlaine semble le plus énergique, dans le sens éxubérant, plein de vitalité et d'insouciance. Entre ce morceau et See No Evil, en fait. Et on a, en final, Torn Curtain, finale anthologique, guitare lacrymale, chant bluffant, ambiance parfaite, ce 'rideau déchiré' (le titre, traduit) est un final grandiose, rien d'autre à dire.
Marquee Moon est, au final, un régal, trois quarts d'heure de pur rock sous influence Coltrane (si Coltrane avait fait du rock, ça aurait ressemblé à ça). Un disque majeur, quintessentiel, cultissime, le genre d'album à posséder absolument chez soi, à écouter séance tenante si jamais vous ne le connaissez pas encore, un disque fulgurant, parfait de bout en bout. Tom Verlaine fait preuve d'une maîtrise hallucinante de la guitare, et Richard Lloyd lui aussi n'est pas un manchot, ça s'entend (ses soli sont fantastiques comme ceux de Verlaine, pareil). Rythmique parfaite, aussi. A noter, en final, que le morceau-titre a été enregistré au cours d'une prise que le batteur pensait être une répétition. Il l'a jouée à fond, mais en ne sachant pas que les bandes tournaient, pensant que le groupe la réenregistrerait en la fignolant encore un peu plus par la suite. De ce fait, le morceau sonne vraiment live et sincère, et s'impose définitivement comme le sommet de ce sommet du rock !
FACE A
See No Evil
Venus
Friction
Marquee Moon
FACE B
Elevation
Guiding Light
Prove It
Torn Curtain
non mais qu'est-ce que vous attendez ? lol