Trois albums, trois désastres critiques (et, le premier opus excepté, commerciaux) : on ne peut pas dire que Paul McCartney ait démarré sa carrière en fanfare. 1972 sera une année étrange pour son nouveau groupe (après qui vous savez...), les Wings, dont le premier opus, Wild Life, sorti en fin d'année 1971, sera reçu avec toute la hargne et le mépris que les rock-critics avaient en stock, et ce stock est garanti anti-rupture. Bon, l'album était quand même assez étonnant, enregistré très rapidement, rempli de morceaux assez éloignés du McCartney habituel (Mumbo, Love Is Strange), et puis c'était un disque de groupe. L'absence du nom de Paul sur la pochette, le fait que l'on ne le distingue pas bien au premier regard sur la pochette, et le côté abrasif de l'album entraînera un bide commercial, d'autant plus que les critiques presse seront assassines, comme pour les deux précédents opus solo de l'ex-Beatles. En 1972, Paul et ses Ailes vont surtout enregistrer des singles (trois sortiront cette année-là) et recruter un nouveau membre, Henry McCullough, ancien membre du Grease Band de Joe Cocker (le groupe qui accompagnait Cocker à Woodstock, où le Cocker de Sheffield interprétera notamment With A Little Help From My Friend des...Beatles), un Irlandais qui restera un an environ avec le groupe et est décédé en 2016. McCullough a intégré les Ailes en janvier 1972 et le groupe va entamer une tournée (la première fois, depuis 1966, que Macca fera des concerts), tournée qui les verra jouer dans les universités et les petits clubs. En février, ils enregistrent un single qui va faire polémique : Give Ireland Back To The Irish. Cette chanson parle de la tragédie du 30 janvier 1972 à Londonderry, Irlande du Nord, le fameux Bloody Sunday dont Lennon parlera aussi via deux chansons de son Some Time In New York City en 1972 (dont une qui s'appelle Sunday Bloody Sunday et dont le titre sera repiqué par U2 11 ans plus tard pour leur propre chanson sur le même sujet). La chanson des Wings, entraînante (la face B du 45-tours est une version instrumentale, sans intérêt), sera interdite d'antenne à la BBC pour des raisons politiques (en plus, leur guitariste, McCullough, est irlandais, né en Ulster). En mai 1972, le groupe publie un autre single, Mary Had A Little Lamb, une chanson sympathique et douce que Macca a imaginé pour sa fille (elle s'appelle Mary, et c'était aussi le nom de sa mère à lui), une comptine chantée, pas représentative du tout du son des Wings (on imagine la tronche des musiciens, Linda excepté car c'était pour sa fille que la chanson a été faite, pendant l'enregistrement), une chanson sans danger qui ne marchera pas trop, est quelque peu indigne de Macca on pourrait dire (Little Woman Love, chanson countrysante, est une bonne face B), mais je suis bien content d'avoir le 45-tours.
Verso de pochette vinyle (oui, c'est moins joli que le recto)
Puis en décembre, dernier single, Hi, Hi, Hi (avec le reggae paisible C Moon en face B), un rock bien trépidant qui lui aussi sera interdit d'antenne à la bibissi pour des raisons de suspicion d'allusions sexuelles dans les paroles (pas prouvées, ces allusions). Parallèlement, courant 1972, le groupe fait sa tournée des universités britanniques (Leeds...), et enregistrer plein de chansons pour un nouvel album, faisant aussi des concerts en Europe, notamment en France (Juan-Les-Pins). Chose importante : aucune chanson des Beatles ne sera jouée pendant ces concerts. Pas la queue d'une. L'album studio a été enregistré en plusieurs fois entre mars et octobre 1972, entre Los Angeles et les studios Abbey Road et Olympic de Londres. Il s'appelle Red Rose Speedway, et je l'adore, comme j'adore son titre qui claque et sa pochette montrant un Macca au regard étonné, grosse rose rouge en bouche (et pull infâme) devant une belle moto. L'album est crédité non pas aux Wings mais à Paul McCartney & Wings et il est impossible de ne pas remarquer Macca sur la pochette (Paul a retenu la leçon de Wild Life). A l'intérieur de la pochette ouvrante, un livret agrafé avec les paroles, des tas de photos et des dessins variés et pas forcément tous très jolis (plus des photos rétro). L'album dure 43 minutes, pour 9 titres (ou bien 12, car le dernier morceau est...mais attendez que j'en arrive à parler du contenu musical, les mecs, et vous comprendrez !), et à la base, il aurait dû contenir plus de morceaux pour plus de durée, car Red Rose Speedway a été un temps, double. Sur le papier, du moins. Le groupe avait l'intention de faire un double album de 17 titres (dont deux titres issus d'un concert). 8 des 17 titres prévus se retrouveront sur l'album final. 3 titres se retrouveront, courant 1973, en faces B de singles (Country Dreamer en face B de Helen Wheels - en 1974, ce single -, The Mess (live) en face B de My Love et I Lie Around chantée par Denny Laine en face B de Live And Let Die). Un autre titre sera en face B d'un single de Macca bien des années plus tard (en 1989 : Mama's Little Girl sur la face B de Put It There). Les 5 restants se retrouveront sur des bootlegs, mais jamais officiellement sur un album ou single de Macca avec ou sans ses Wings. Quand l'album sera réédité dans l'Archive Collection de McCartney (il fait partie des albums n'ayant pas encore été réédités, et ça commence à faire long), j'espère que Paul les mettra en bonus.
Intérieur de pochette avec le dos du livret qui était agrafé dedans
Pourquoi, de double sur le papier (une acétate fut gravée en fin d'année 1972, évidemment jamais commercialisée, mais des bootlegs circulent), Red Rose Speedway est-il devenu simple à sa sortie en avril-mai 1973 ? Sans doute que Macca trouvait que l'album ne marchait pas trop en version double. Sans doute sa maison de disques (Apple via EMI/Parlophone) était réticente à sortir un double album quelques mois après celui, qui fut un bide, de Lennon. Toujours est-il que Macca a passé une partie du début 1973 à redisposer les morceaux dans un autre ordre pour en faire un simple et, manquant de matière, le groupe a placé en final un long medley de 11 minutes et autant de secondes proposant 4 chansons dans des versions à peu près complètes. Il n'avait pas peur qu'on compare ça avec le fameux medley de la face B d'Abbey Road, le Paulo. Et la comparaison ne va pas à l'avantage du medley de Red Rose Speedway, clairement le maillon faible de l'album, malgré que sur les quatre parties, au moins deux (Hold Me Tight en ouverture, rien à voir avec la chanson du même nom que les Beatles ont fait en 1963, Power Cut en final, final qui reprend d'ailleurs les mélodies des quatre parties du medley) sont excellentes. Mais les deux autres (Lazy Dynamite dont la mélodie m'a toujours fait penser à la musique des dessins animés télévisuels de Lucky Luke et Hands Of Love) sont d'un niveau indigne de McCartney. Ce medley poussif et inégal achève bien mal un album qui, sinon, est plus réussi que Wild Life et McCartney (si, si), mais moins que Ram et les albums suivants des Wings. A sa sortie, Red Rose Speedway sera un peu mieux accueilli par la presse (mais ça ne sera toujours pas unanime) que les précédents, mais surtout va casser la baraque : il parviendra à faire mieux, en terme de ventes, que les deux compilations des Beatles (les fameux 'double rouge' et 'double bleu') qui venaient de sortir), un vrai triomphe commercial boosté par la présence d'un vrai hit, d'un classique : My Love. Cette chanson en hommage à Linda, qui bénéficie d'un solo de guitare à tomber signé McCullough, sera le premier tube du groupe, et Macca la chante toujours en live. Aucune autre chanson de l'album ne cartonnera dans les charts (mais, en juin, Live And Let Die, chanson du James Bond du même nom, morceau arrangé par George Martin qui a signé la bande-son du film, sort et cartonne bien comme il faut), cependant, il faut le signaler.
Le reste de l'album offre du fantastique et du très très correct. On va commencer par le très très correct : One More Kiss est une petite incartade folk à base de guitare carillonnante, une bluette bien sympathique mais pas inoubliable, ceci dit la mélodie est sublime. Single Pigeon est une chansonnette un peu rétro, courte (moins de 2 minutes) et heureusement car sinon, on se serait lassé. When The Night, qui la suit, est le morceau qui me branche le moins, c'est un peu usant à la longue (à noter que Linda est bien audible sur ce titre, mais là n'est pas la question). Et Loup (1st Indian On The Moon) est un instrumental à la Pink Floyd, étonnant de la part de Macca (on notera que les sillons du vinyle indiquent faussement la fin du morceau trop tôt, il se poursuit sur ce qui, visuellement, ressemble aux premiers sillons de Hold Me Tight), un instrumental qui démarre très bien mais se traîne un petit peu. Mis à part One More Kiss, tous ces morceaux sont sur la face B (le medley aussi), une face B bien moins bonne que la A. Bref, l'album est inégal, je ne vous le cacherai pas. Mais cette face B n'est pas honteuse. Après, la face A souvre sur le très efficace Big Barn Bed (dont on pouvait entendre des bribes dans Ram On (Reprise) sur Ram), morceau jubilatoire ; puis on a My Love, sublime ; puis Get On The Right Thing, morceau choral vraiment génial et méconnu ; et après un One More Kiss un tantinet inférieur (et encore), on termine en beauté sur la régalade absolue Little Lamb Dragonfly, splendeur totale qui aurait mérité plus de considération. Avec une telle face A, pas étonnant de trouver la suite de l'album un peu inférieure (Macca aurait pu mieux réussir l'assemblage des morceaux qu'il a conservés du projet initial en double album). De nos jours, l'album est étrangement sous-estimé, par Macca lui-même d'ailleurs qui, tout en ayant toujours chanté My Love, a comme oublié l'existence de ce disque. Les fans sont souvent partagés : inégal, paresseux, aurait été meilleur en double, etc...Mais Red Rose Speedway conserve un charme indéniable. Un album un petit peu secondaire (et encore), le brouillon avant le chef d'oeuvre. Car quelques mois plus tard, juste après la sortie de Live And Let Die, le groupe (après quelques changements de personnel) va s'envoler pour Lagos, au Nigeria, afin d'enregistrer leur nouvel album, qui sortira en décembre 1973 et va littéralement casser la baraque : Band On The Run. J'y reviens bientôt...
FACE A
Big Barn Bed
My Love
Get On The Right Thing
One More Kiss
Little Lamb Dragonfly
FACE B
Single Pigeon
When The Night
Loup (1st Indian On The Moon)
Medley : Hold Me Tight/Lazy Dynamite/Hands Of Love/Power Cut