Mon Dieu que c'est sombre. Mais vraiment sombre ! Enfin, ça, vous le savez, et si vous ne le saviez pas, un simple regard à la pochette vous le prouve direct : une stèle, un monument funéraire situé en Italie, pris en photo par Bernard-Pierre Wolff. Mettre un monument funéraire aussi austère (un gisant bien pompeux), avec un lettrage, pour le titre, aussi austère aussi, d'entrée de jeu, ça refroidit les ardeurs. Closer, sorti en 1980, est le deuxième album de Joy Division, et leur dernier. Non pas que le groupe se soit séparé dans la haine après le disque, mais qu'ils n'avaient pas le choix : Ian Curtis, leur fragile, frêle et épileptique chanteur, s'est donné la mort par pendaison, peu de temps avant la sortie de l'album, qui est donc posthume le concernant. Ca aussi, ça refroidit. D'ailleurs, ça l'a bien refroidi, Curtis, de se pendre (humour noir, je sais). Toujours est-il que Closer est un disque totalement culte, révéré un peu partout dans le monde et dans la Nièvre, en partie à cause de son statut de disque mortifère, sorti après le suicide du chanteur, un chanteur qui, rétrospectivement, en sachant sa fin prochaine, semble assez apaisé parfois, en paix avec lui-même, comme résigné, aussi. Et si ce n'est pas forcément le cas, on en a quand même bien l'impression ! Le groupe était constitué aussi de Bernard Sumner (Bernard Albrecht de son vrai nom) à la guitare, de Peter Hook à la basse et de Stephen Morris à la batterie. Les trois survivants fonderont New Order, groupe de new-wave mythique, peu après la mort de Ian, sur les cendres de Joy Division. Le producteur est légendaire aussi, Martin 'Zero' Hannett, producteur aussi des cultissimes Basement 5 (1965 - 1980, album magistral et méconnu de 1980) de Dennis Morris rockeur et photographe jamaïcain. Le même producteur que pour Unknown Pleasures (1979), le premier album de Joy Division, lequel est plus rock que Closer.
Closer dure 44 minutes, pour 9 titres, et est assez dans le style deux faces/deux visions de la chose. En effet, si la face B est contemplative, lente, dépressive aussi, la face A, très noire aussi quand même, est très rock, musclée, à la Unknown Pleasures (et parfois même plus violente encore : Colony). L'album s'ouvre en force avec les 6 minutes apocalyptiques d'Atrocity Exhibition, morceau possédant le même titre qu'un roman destructuré de J.G. Ballard (La Foire Aux Atrocités), mais je ne pense pas que les deux oeuvres soient en lien quand même, c'est une coïncidence de titre. Guitare fantastique agrémentée d'un effet pales d'hélicoptère, le même effet qui réapparaîtra dans le jeu de guitare de Tom Morello (Rage Against The Machine) 12 ans plus tard ! Le chant de Curtis est sombre, voix grave, froide comme un glaçon, désespérée et résignée, Asylums with doors open wide, where people have to pay to see inside... This is the way, step inside, ce mantra, reste longuement en mémoire. Le morceau est hypnotique. Isolation, avec sa production faiblarde (volontaire ?) et ses claviers dissonants (volontaire !), est hélas trop courte, même pas 3 minutes, mais que c'est puissant... Passover est la première incartade dans ce qui sera la face B de l'album, on est dans la dépression la plus absolue, difficile d'écouter ce morceau en société sans que l'on vous regarde, vous qui avez mis ce morceau, l'air de dire mais qui est-tu pour écouter pareille chose ? Instrumentalisation magnifique (la basse, la guitare...), chant prenant, happant. Colony, avec sa guitare tronçonneuse (encore plus fort que Shadowplay d'Unknown Pleasures !) est le morceau le plus rock de l'album, mais A Means To An End, qui achève la face A avec un mantra inoubliable (I put my trust in you) et une guitare qui ne l'est pas moins, est aussi très mouvementé. Arrivé à la fin de la face A, on retourne le disque en se demandant à quoi ressemblera la suivante...
Hé bien, c'est la nuit après le jour ! Heart And Soul, avec sa basse hypnotique, est tétanisante et on ne peut plus contemplative, le chant de Ian Curtis est également, il faut le dire, très éloigné de son style habituel, sa voix est plus calme, neutre, moins profonde que d'ordinaire, comme apaisée. Heart and soul, one will burn... Sublime, mais très dépressif ! Cet album est tellement sombre qu'il en fout presque les chocottes des fois, tout en, paradoxal mais vrai, apaisant aussi, parfois. Twenty-Four Hours est le morceau rock de la face B, et quand je dis ça, c'est juste pour essayer de le distinguer des trois autres, car il est quand même loin d'égaler Colony dans le registre de la sauvagerie rock. Excellent morceau qui est tout de même le moins puissant de la face B, c'est dire ! Puis deux déflagrations cold-wave, dépressives, à vous faire rentrer prématurément dans vos ultimes chiottes en sapin doublées de plomb : The Eternal et Decades. La première est une longue (6 minutes environ, tout comme Decades...et Heart And Soul !) procession type funéraire, le chant de Curtis est vraiment apaisée, on le sent prêt à partir, à quitter le monde des vivants, à franchir le pont où l'attendent les fantômes, comme le dit le fameux 'carton' du Nosferatu de Murnau. Le piano est juste inoubliable, prenant, glacial aussi, mais littéralement, hein... Ce morceau, en gros, pue la mort, la fin de toutes choses. Inoubliable. Decades, avec ses claviers dissonants et son chant à nouveau profond (Here are the young men, a weight on their shoulders...), achève le disque avec puissance et élégance mortifère. Egalement inoubliable, et assurément le meilleur de l'album (avec The Eternal). Mais en gros, le meilleur de Closer réside dans tout, absolument tout l'album. Un disque comptant parmi les plus sombres de l'histoire, et pas seulement parce que son chanteur s'est tué avant sa sortie. Même sans ça, Closer est d'une noirceur absolue, effrayante par moments. Et un chef d'oeuvre, mais ça, vous l'aurez pigé, hein ?
FACE A
Atrocity Exhibition
Isolation
Passover
Colony
A Means To An End
FACE B
Heart And Soul
Twenty-Four Hours
The Eternal
Decades