Elton John devient vraiment important en 1972 avec Honky Château, album fantastique enregistré au Château d'Hérouville, en France, et contenant Rocket Man (I Think It's Gonna Be A Long, Long Time) et Mona Lisas And Mad Hatters. Un an plus tard, il signe, toujours à Hérouville, Don't Shoot Me, I'm Only The Piano Player (avec Crocodile Rock) et, encore une fois au Château, le double Goodbye Yellow Brick Road, dont j'ai parlé récemment, qui est clairement son meilleur album, avec tellement de classiques dessus qu'il faudrait tout citer de ses 17 morceaux ou presque. Un an plus tard encore (1974), il décevra son monde avec Caribou, et malgré un succès quand même important, entre un petit peu en dépression. Il mettra d'ailleurs plusieurs mois à accoucher de l'album suivant, ce disque, qui sortira en 1975, et s'appelle Captain Fantastic & The Brown-Dirt Cowboy. Sous une pochette pour le moins grandiloquente (et le titre de l'album l'est aussi !) se cache un disque au fort succès commercial, considéré par de nombreux fans comme un des albums majeurs de Sir Reginald (son vrai prénom), et, surtout, un disque totalement à l'opposé de sa pochette. Bien que très glam par moments (on y retrouve d'ailleurs les musiciens de la période 1972/1974 : Dee Murray à la basse, Nigel Olsson à la batterie, Davey Johnstone à la guitare ; et Ray Cooper aux percussions ; Elton, évidemment, tient tous les claviers), cet album, le dixième d'Elton et son neuvième album studio, est très sobre, et, surtout, personnel. Autobiographique.
Une des photos de l'intérieur de pochette (notez la pose sexy-boy de Bernie Taupin, torse-nu sous une sorte de voile ou filtre à la David Hamilton !)
En 47 minutes, Captain Fantastic & The Brown-Dirt Cowboy parle des débuts dans la musique d'Elton John et de son ami d'enfance et parolier Bernie Taupin. Le titre de l'album est une allusion directe au duo : Elton est le Captain Fantastic, et Bernie, le Brown-Dirt Cowboy, alias le Kid. Elton, en 2006, fera une sorte de suite à ce disque, The Captain & The Kid, qui sera franchement pas mal. Album-concept, Captain Fantastic & The Brown-Dirt Cowboy parle donc des débuts difficiles, période vaches maigres, du duo, dans les années 60. L'album offre peu de tubes (en fait, un seul), et au cours de la tournée promotionnelle de l'album, Elton le jouera dans son intégralité, à la surprise des fans décontenancés qui s'attendaient à une sélection des meilleures chansons de l'album au milieu de classiques des anciens albums ! Les rééditions CD offrent d'ailleurs, en bonus-tracks, soit un concert de l'époque, soit, pour la version simple, des reprises de Lucy In The Sky With Diamonds des Beatles et de One Day (At A Time) de Lennon solo, jouées au cours des concerts en plus de l'album. Revenons, justement, à l'album. Pas difficile de voir de quoi parle telle ou telle chanson : Writing s'interroge (Will we still be writing tomorrow ? mais oui, Elton, mais oui) sur le talent du duo, sur l'utilité, pour eux, de continuer alors que le succès peine à arriver (il arrivera en 1970 avec Your Song).
Pochette dépliée
Captain Fantastic & The Brown-Dirt Cowboy (From the end of the world to your town !, ligne de texte par ailleurs reproduite en haut à gauche de la pochette, dans le macaron bleu) parle vraiment des débuts d'Elton et Bernie, qui se produisaient dans de petites salles dans le coin où ils vivaient. (Gotta Get A) Meal Ticket parle des vaches maigres, difficile de boucler les fins de mois, de se nourrir convenablement... Someone Saved My Life Tonight, elle, parle d'un évênement plus personnel de la vie d'Elton : un mariage raté, en 1969, le poussera à tenter de se foutre en l'air. Long John Baldry, un chanteur qui connaissait Elton, lui remontera le moral et, en gros, lui sauvera la vie par ses paroles (ambiance Non, Jef, t'es pas tout seul ou Allez pleures pas, Manu, y à des larmes plein ta bière). Cette chanson est le tube de l'album, une des meilleures d'Elton, et un critique rock de l'époque, Jon Landau, dira à son sujet : aussi longtemps qu'Elton John nous livrera au moins une chanson du niveau de Someone Saved My Life Tonight sur un de ses albums, on saura alors qu'on peut toujours compter sur lui. Manque de bol pour Elton et Landau, cet album est, avec le suivant (Blue Moves, double en 1976), le dernier grand disque de l'Âge d'Or d'Elton, mais ça, on ne pouvait pas s'en douter...
Difficile de croire au talent d'Elton quand on regarde cette photo, et pourtant...
Aucune mauvaise chanson ici, autant le dire. J'ai mis du temps (beaucoup de temps !) à aimer ce disque, mais aujourd'hui, clairement, je le tiens pour un authentique chef d'oeuvre, juste en-dessous de Goodbye Yellow Brick Road et du même niveau qu'Honky Château (que je réaborderai ici bientôt). Mais la première écoute que j'ai eue du disque, en 2006, fut ultra décevante. Si on excepte la chanson-titre et Someone Saved My Life Tonight, je n'avais tout simplement pas aimé le disque (ma précédente chronique, ici, sur l'album, était d'ailleurs un peu mitigée). J'ai ensuite mis...trois ans avant de le réécouter, et ma seconde écoute fut à peine meilleure que la première. Puis, récemment, je l'ai réécouté, encore quelques...trois ans après (trois écoutes en six ans, vraiment peu ! Je vais rattraper le retard, ceci dit, je crois), et là, ce fut le déclic. Le côté introspectif, autobiographique, de l'album, qui m'avait jusque là vraiment totalement échappé (lorsque je l'ai écouté, je voulais surtout écouter un disque de la trempe musicale de Goodbye Yellow Brick Road, bref, un disque de glam/pop/rock, pas une collection de chansons intimistes sur la vie de jeune adulte d'Elton, ça, je m'en contrefoutais), m'a sauté aux yeux. Et tout le disque a pris son sens, et ce sens a bouleversé ma vision de l'album. Désormais, je l'aime vraiment, je l'adore presque, ce Captain Fantastic & The Brown-Dirt Cowboy. Curtains est bouleversante, We All Fall In Love Sometimes aussi, Tell Me When The Whistle Blows est sublime (et assez enlevée, comme (Gotta Get A) Meal Ticket), Tower Of Babel assure... A noter que l'album était commercialisé avec deux livrets, un pour les paroles (reproduit dans le livret CD, avec les illustrations et photos, et aussi les paroles de Dogs In The Kitchen, chanson ne se trouvant pas sur le disque), et un contenant des photos, articles de presse, un comic-book sur les débuts d'Elton, et des dessins et notes diverses, un scrapbook comme il est indiqué sur la première page (ce second livret n'est pas reproduit dans le livret CD) ! Possédant le vinyle, je possède aussi ces deux livrets, mais c'est une anecdote sans utilité. Pour en revenir à l'album en guise de conclusion, c'est un disque majeur à écouter absolument, surtout si vous aimez le boulot d'Elton John, ici à son zénith pour probablement la dernière fois (Blue Moves, double album suivant, est très bien, mais un peu long et inégal) !
FACE A
Captain Fantastic & The Brown Dirt Cowboy
Tower Of Babel
Bitter Fingers
Tell Me When The Whistle Blows
Someone Saved My Life Tonight
FACE B
(Gotta Get A) Meal Ticket
Better Off Dead
Writing
We All Fall In Love Sometimes
Curtains
J'ai un peu de mal avec cet album... mais j'aime quand même !