Jeff Beck est un ancien Yardbirds. Comme Jimmy Page. En sachant ça, on ne s'étonnera pas que Jimmy Page, quand il a fondé Led Zeppelin en fin 1968 début 1969, ait emprunté, recyclé, chouravé (choisissez le terme qui vous plaît le mieux et envoyer se faire foutre les autres) des idées, riffs, issus du répertoire des Yardbirds. Problème : ces riffs ne sont pas forcément de lui, il ne le sont pas, en fait ! Mais de Jeff Beck, qui était au sein des Yardbirds avant lui. Par exemple, l'intro du Since I've Been Loving You de Led Zep, sur le troisième album du groupe (de 1970), est totalement plagiée sur celle du New York City Blues des Yardbirds, datant de 4 ans plus tôt. Sans oublier Dazed And Confused... Pour Jeff Beck, bouillant guitariste, le pire dans tout ça n'est pas forcément que Page lui ait piqué des idées, mais que Led Zeppelin soit un si monstrueux succès. Un peu avant le premier Led Zep, Jeff Beck a sorti le premier disque de son Jeff Beck Group, Truth, un grand disque de blues-rock endiablé (Blues Deluxe) sur lequel Page joue d'ailleurs sur un titre, en invité, avant qu'il ne devienne puissant avec Led Zep, mais le monde ne saura pas bien accueillir le disque et, quelques mois plus tard, n'aura d'oreilles que pour Page et son Led Zeppelin, et Beck se retrouve comme un con. Pour son producteur, Mickie Most, il faut chiquer au Led Zeppelin, faire un disque à la Led Zeppelin.
Beck, Wood, Stewart
Alors Beck, sa guitare et son Group (Rod Stewart, futur Faces, au chant, Ron Wood, futur Faces et Stones, à la basse, Tony Newman à la batterie - il remplace Micky Waller, le premier batteur du groupe - et Nicky Hopkins au piano), décident de tout fracasser. Le groupe entre en studio en avril 1969. A Londres, aux studios De Lane Lea, notamment. Du 3 au 19 avril. En tout, 7 titres sont finalisés, mis sur le disque. Le disque, sous une pochette réutilisant un tableau de René Magritte (La Chambre D'Ecoute), ve qui sera vu comme une allusion aux Beatles, sort en juin (après le premier Led Zep, forcément, mais bien avant le second, datant aussi de 1969). 30 minutes. Une bombe d'une extrême fulgurance, considéré comme un des premiers albums de pur hard-rock, et même de heavy metal, au monde. Le disque s'appelle Beck-Ola, parfois appelé aussi Cosa Nostra - Beck-Ola (verso de pochette). Le titre est une allusion à la marque de jukeboxes Rock-Ola. Jeff Beck l'indique au dos de pochette : Aujourd'hui, avec toute cette compétition, il est quasiment impossible de sortir un disque avec de la musique totalement originale et différente du reste, et nous ne l'avons pas fait. Mais, en revanche, notre objectif était de faire la musique la plus lourde possible. A vous de voir, donc, si ça vous convient (évidemment, le texte est en anglais, voir plus bas). Malgré ces accents purement zeppeliniens, cette guitare qui vient se fracasser contre la voix de Stewart (qui, si on excepte ses premiers albums solo comme Gasoline Alley ou Every Picture Tells A Story, n'a jamais aussi bien chanté qu'ici), cette rythmique butante, malgré cette production bluesy efficace, Beck-Ola sera un bide commercial. Pendant ce temps, Led Zeppelin cartonne. Beck est colère.
Verso
Pourtant, il y à de quoi bander en permanence pendant 30 minutes, sur ce disque : de l'ouverture All Shook Up (reprise d'Elvis Presley, comme Jailhouse Rock plus loin) à l'instrumental final de 7 minutes Rice Pudding (Hendrix piochera le riff pour son In From The Storm, voir le live d'Hendrix à Wight 1970, Blue Wild Angel), tout est monstrueux ici, même l'autre instrumental, à base de piano, et totalement apaisant, Girl From Mill Valley (signé Hopkins, seul moment de douceur sur le disque). Spanish Boots est une tuerie avec un solo de basse mortel de Ron Wood, ce mec est un bon guitariste, mais est encore meilleur en tant que bassiste, son premier instrument, il est passé à la guitare par la suite. The Hangman's Knee est un blues-rock tenace et purement zeppelinien à la The Lemon Song, une chanson ultra percutante, Plynth (Water Down The Drain) n'a qu'un seul défaut, se finir au bout de 3 petites minutes. Sinon, des cinq petites notes sautillantes de piano de l'intro au bon gros riff qui déboule juste après, ce morceau n'est que monstruosité heavy metal avant l'heure. Jailhouse Rock est sans doute le morceau un peu anodin de l'album, une reprise du King, sympathique comme tout, mais pas aussi mortelle que les autres morceaux. Attention, ça reste quand même bien bourrin et efficace, mais force est de constater quand même que comparé au reste, et surtout à la face B dans sa globalité, c'est moins fort. On ne compte cependant plus les groupes qui aimeraient faire une reprise aussi efficace de cette chanson assez galvaudée, car tellement entendue, tellement reprise...
Au final, ce disque est juste mortel, sous sa pochette subtile réutilisant une oeuvre de Magritte. Manque de bol, Beck-Ola ne marchera pas trop, et le Jeff Beck Group splittera peu après. En plus, le comble, c'est que le groupe était programmé pour le festival de Woodstock (sur les premières affiches, il est indiqué), mais ne pourra pas le faire, pour des soucis assez cons : problèmes d'égo entre les différents membres. Rod Stewart, crédité sur la pochette (en français dans le texte) en tant qu'extraordinaire chanteur, commence à prendre la grosse tête, il veut son groupe (avec les Faces, dont Wood fera partie, resucée des Small Faces, il l'aura très bientôt). Nicky Hopkins semble moyennement à son aise dans le JBG (il est victime de plaisanteries sardoniques sur scène : Wood balancera de la cendre de clopes sur l'épaule de Nicky pendant un concert, et à la fin du concert, elle sera toujours là, pas bougé, histoire de prouver que Nicky ne se remue pas trop pendant les concerts, ce qui, pour un concert de rock...). Et, un jour, Beck en a assez et décide de brutalement tout stopper. Le JBG n'ira pas à Woodstock. Dommage, car on imagine en rêvant ce que ça aurait donné, le Jeff Beck Group au festival. Le disque aurait sans doute mieux marché par la suite. Ca aurait fait de la publicité en plus pour Beck. Après tout, Led Zep n'a pas fait Woodstock (je ne me souviens plus su on leur avait proposé et que leur manager, l'impétueux Peter Grant, avait refusé, ou si on ne leur avait tout simplement pas proposé d'y participer, en revanche)... Enfin, ne pas aller à Woodstock n'a pas empêché Led Zeppelin de cartonner. Alors que pour le Jeff Beck Group, ce fut le cas ! Quels scoumounards... Et pour en revenir à Beck-Ola, quel monstre de skeud ! Si vous aimez Led Zep et Humble Pie, vous adorerez les 30 minutes de ce disque !
FACE A
All Shook Up
Spanish Boots
Girl From Mill Valley
Jailhouse Rock
FACE B
Plynth (Water Down The Drain)
The Hangman's Knee
Rice Pudding