SANTANA 1

 Ce disque est le deuxième de Santana, et est sorti à point nommé. Il date de 1970, et en 1970, Santana est déjà quelque chose de bien prometteur : un an plus tôt, non seulement leur premier album (Santana) se vendra très bien, avec Evil Ways, Waiting et Soul Sacrifice, mais le groupe se produira au mythique festival de Woodstock et sera, clairement, un des groupes/artistes s'en étant le mieux sorti. Ce fut, en fait, avec Joe Cocker et Crosby, Stills, Nash & Young, une des révélations du festival. Leur version de Soul Sacrifice est à tomber le cul par terre dans un buisson ardent. Après un tel coup d'éclat, le groupe est attendu comme (Lionel) Messi pour le deuxième album, le toujours difficile à faire deuxième album, comme on dit. Peu avant d'entrer en studio, Carlos Santana (guitare, percussions) recevra un coup de fil de Miles Davis, qui l'encouragera, lui apportera son soutien et son amitié. Comme Carlos le dit dans les notes de pochette de la réédition CD, il a lui-même, par la suite, fait la même chose en appelant Kirk Hammett, de Metallica, se souvenant que l'appel de Miles, du grand Miles, lui avait fait beaucoup de bien. Point commun, d'ailleurs, entre cet album de Santana, qui s'appelle Abraxas, et Miles Davis : la pochette est signée Abdul Mati Klarwein, qui, la même année 1970, a signé la pochette du Bitches Brew de Miles Davis (et fera celle de son Live-Evil en 1971). Un détail du verso de pochette d'Abraxas, une des trois prêtresses (celle du centre), est aussi, en plus grand, au verso de la pochette de Bitches Brew ! C'était pour l'anecdote sans lien avec la musique. Sinon, Santana n'a pas changé de personnel depuis le premier album : Carlos à la guitare et au chant, Gregg Rolie aux claviers et au chant, Jose 'Chepito' Areas aux percussions (timbales et congas), Dave Brown à la basse, Michael Shrieve à la batterie et Mike Carabello aux percussions (congas). L'album, enregistré au Wally Heider Recording Studio de San Francisco, est produit par Fred Catero et le groupe, Dave Brown est un des deux  ingénieurs du son (avec John Fiore) en plus d'être bassiste, et, au dos de pochette, on a une citation d'un roman d'Herman Hesse untitulé Demian, citation ayant été l'inspiration pour le titre de l'album : We stood before it and began to freeze inside from the exertion. We questioned the painting, berated it, made love to it, prayed to it : we called it mother, called it whore, called it our beloved, called it Abraxas...

SANTANA 2

Verso de pochette

En 36 minutes (pour 9 morceaux), Abraxas, sous sa magnifique et chatoyante pochette, est une réussite majeure de Santana, un des meilleurs albums du groupe. L'album sera super bien accueilli, et sera un succès important, grâce notamment à une chanson qui sortira en single (je l'ai, d'ailleurs ! J'ai découvert Santana par le biais de ce 45-tours paternel, dans mon enfance), Black Magic Woman/Gypsy Queen. La version single, plus courte, est juste titrée Black Magic Woman (Gypsy Queen est la seconde partie, instrumentale). Cette chanson n'a pas été écrite pour Abraxas, ni par Santana : c'est une reprise d'une chanson de Fleetwood Mac période Peter Green, ce dernier était un ami de Carlos. La reprise par Santana est si monstrueuse qu'on en oubliera que c'était une reprise, justement (de même que lorsque Billy Paul reprendra le Your Song d'Elton John, beaucoup de personnes ont un temps pensé que c'était en fait Elton qui avait repris Billy Paul !), et elle sera un cheval de bataille permanent en concert, un morceau de choix, toujours joué, toujours avec bonheur. La seconde partie, Gypsy Queen, est aussi une reprise, un instrumental saisissant qui prouve la maîtrise totale à la guitare de Carlos Santana. Avant ce doublé (sur une seule plage audio), l'album s'ouvrait sur un instrumental remarquable, Singing Winds, Crying Beasts, un morceau rempli de percussions sobres et élégantes et avec une guitare sublime et un orgue parfait de Rolie. Et après Black Magic Woman/Gypsy Queen, on a une autre réussite majeure qui aidera au succès de l'album, une reprise (de Tito Puentes), Oye Como Va, un classique parmi les classiques, un morceau latino évidemment interprété dans la langue de Cervantès. Encore une fois, guitaristiquement parlant, c'est du lourd. La face A se finissait en apothéose avec un Incident At Neshabur qui, en live (voir le triple Lotus de 1974), atteindra parfois des proportions gigantesques (sur Lotus, donc : 16 minutes de folie !), un instrumental grandiose. On le voit la face A de l'album ne souffre d'aucun défaut.

SANTANA 3

Intérieur de pochette

La face B non plus. Elle s'ouvre sur le court (moins de 3 minutes) et efficace Se A Cabo, morceau quasi intégralement instrumental si on excepte la répétition du titre dans le final. Une sorte de mini-jam latino/rock du feu de Dieu, qui fout en transe et ouvre admirablement bien la seconde face. Mother's Daughter est un morceau plutôt rock, chanté, la guitare y est tapageuse mais on sent aussi une certaine dimension pop. Sortie en single, ce morceau aurait pu très bien marcher.C'est, en tout cas, un de mes préférés de ce remarquable deuxième album. On passe à un instrumental, le dernier de l'album, Samba Pa Ti. En live, voir encore une fois Lotus, ça sera le plus souvent totalement merveilleux. Ce morceau est un régal de douceur, Carlos y livre un solo (tout le morceau en est un) langoureux, tendre, suave, c'est encore une fois une preuve indéniable du talent monstrueux de ce guitariste... On passe ensuite à un autre morceau très rock après Mother's Daughter : Hope You're Feeling Better. Ce fut pendant longtemps mon préféré d'Abraxas, un morceau fantastique et très énergique, enlevé, rock plus que latino. Une furie absolue. El Nicoya, lui, est un morceau ultra court (1,30 minute) latino, en espagnol, qui achève l'album sur des percussions limite tribales et des paroles hispaniques assez peu nombreuses et surtout en vocalises. Une bonne manière de finir l'album !

SANTANA 4

Au final, Abraxas est un album certes court (les 36 minutes passent vraiment trop vite), mais parfait, un des meilleurs albums de Santana. Le groupe parviendra, jusqu'à 1974 et Borboletta, à signer de grands disques, avec un pic absolu en 1972/1973 (Caravanserai et Welcome), mais à partir de 1976 et d'Amigos, la qualité baissera progressivement, malgré un Moonflower démentiel en 1977. La suite sera franchement insipide (Inner Secrets, Shango, Zebop !...). Si vous cherchez du bon Santana, tout est recommandable du premier album à Borboletta, plus Moonflower (à ne pas louper, celui-là !), et Abraxas, leur deuxième opus, est clairement dans le quinté de tête !

FACE A

Singing Winds, Crying Beasts

Black Magic Woman/Gypsy Queen

Oye Como Va

Incident At Neshabur

FACE B

Se A Cabo

Mother's Daughter

Samba Pa Ti

Hope You're Feeling Better

El Nicoya