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Attention, préparez-vous au choc. Non, je n'exagère pas, ce disque est un choc. A vous qui pensez que les Simple Minds, ce groupe écossais fondé en 1977, n'a fait que de la pop tendance new-wave/FM (ils furent, dans la période 1982/1989, les rivaux de U2, qui finirent par gagner la course au succès), je vous propose séance tenante de jeter une oreille, voire même les deux, sur ce disque sorti en 1980, leur troisième album : Empires And Dance. Ce disque est d'une noirceur absolue, et souvent flippant, tout du long de ses généreuses 46 minutes (pour 10 titres). Par la suite, dès 1981 (et la paire d'albums Sons And Fascination et Sister Feelings Call, désormais commercialisés ensemble sur le même disque, mais sortis séparément à l'époque), les Minds passeront à de la pop/rock bien formatée FM. Des albums tels que New Gold Dream ('81§'82/'83/'84) (1982), Sparkle In The Rain (1984), Once Upon A Time (1985) ou Street Fighting Years (1989) offriront des classiques, des tubes, et surtout Once Upon A Time. Mais sur leurs trois premiers albums, Life In A Day (1977), Real To Real Cacophony (1979) et Empires And Dance, les Minds sont tout sauf commerciaux. Ils font, au contraire, de la new-wave arty, tendance expérimentale et même cold-wave. Ce troisième album est produit par John Leckie, est sorti sur le label Arista Records, et ne sera pas un gros succès (de même que les deux singles sortis par la suite), mais il est, avec le temps, devenu, chez les fans, un grand classique, et est même, probablement, le sommet du groupe.

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Les Simple Minds à l'époque de l'album ; Jim Kerr en haut à gauche

Un disque assez didactique, rien que la pochette donne le ton, on y voit une vue lointaine de l'Acropole à Athènes, avec, au premier plan, une statue un peu usée d'un militaire. Au départ, j'ai pensé que c'était Atatürk, libérateur de la Turquie (vu qu'une chanson de l'album s'appelle Constantinople Line...), mais je me suis rapidement rendu compte que ce n'était pas le cas. Puis, j'ai pensé à Hitler, mais non, ce n'est pas lui. Un colonel de la dictature grecque ? Oui, mais lequel ? En fait, après lecture d'un article sur un site de fans du groupe, il s'agit tout simplement d'un militaire américain de l'Air Force, et cette photo provient d'ailleurs d'un magazine que Jim Kerr (chanteur du groupe) aurait vu au cours d'un voyage en avion. La photo lui a plu (sans doute était-elle une publicité) ! Au verso, une photo du groupe, avecun effet vaguement 'négatif'. A l'intérieur du livret, et j'imagine aussi à l'intérieur de la pochette vinyle, une photo noir et blanc bizarre qui semble représenter le visage de Kerr, en gros plan, avec un effet flou ; la photo met mal à l'aise, on a l'impression de regarder un visage humain en apparence, mais pas vraiment, il y à un truc qui met mal à l'aise (les yeux), sans doute est-ce l'effet donné à la photo plus que le modèle (surtout si c'est Jim Kerr !)... Je n'ai pas trouvé de photos sur le Net pour cette image, j'ai donc scanné mon livret, la photo est juste en-dessous de ce paragraphe.

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Intérieur de livret (et de pochette ?)

Le disque a eu droit à deux singles, donc, qui n'ont pas bien marché, mais sont cependant deux chansons très connues chez les fans du groupe et de new-wave : I Travel et Celebrate. Deux chansons assez remuantes, qui font danser, mais qui sont, aussi, tout sauf gaies. La première ouvre le bal avec une efficacité redoutable (à noter que la chanson Ghostdancing que le groupe fera en 1985 sur Once Upon A Time possède un style de chant très similaire !), Cities, buildings falling down/Ideal homes falling down... Le chant de Kerr est concerné, acharné, robotique aussi, tout sauf joyeux, on n'est pas ici dans le style de I Promised You A Miracle (1982) ou (Don't You) Forget About Me (1984) ! Le groupe se permet une petite allusion à Brian Eno et à son album Ambient 1 : Music For Airports, allusion bien audible dans la chanson (Airports playing Brian Eno), mais tronquée dans l'insert des paroles (textes imprimés selon le même procédé de lettres à l'envers que sur la pochette), on lit 'Bi some Lo' à la place de 'Brian Eno', sans doute pour des problèmes de droits, pour éviter les futures emmerdes juridiques... Cette allusion n'est cependant pas méchante, elle est neutre. En revanche, la critique de l'Europe de 1979/1980 est évidente : Europe has a language problem/Talk talk talk, talk talking on/Incentral Europe/Some men are marching/Marching on and marching on. Celebrate, quant à elle, avec son tempo martial, est une chanson à la fois dansante et très sombre, crépusculaire, elle fout limite mal à l'aise (We can live, I can live, celebrate, celebrate). Entre ces deux chansons, Today I Died Again, inspiré en partie par le Bhagavad-Gîtâ (un des textes fondateurs de l'Hindouïsme) apparemment (cependant, la chanson est juste inspirée par ce texte, elle ne parle pas de ce qui est raconté dans le texte), est une chanson très arty new-wave, synthés prenants, voix en écho, ambiance très pesante. Le titre de l'album est directement puisé dans ses paroles : Back to a year, back to a youth/Of men in church and drug cabarets/Is this the age of empires and dance ? Et après Celebrate, on a les 7 minutes tétanisantes, assurément le sommet de l'album, de This Fear Of Gods. Là, les mots me manquent. Basse puissante, synthés fantastiques délivrant un thème minimaliste et inoubliable (5 notes qui se répêtent), chant en écho, assez menaçant, et paroles, parfois, très dures (et cryptiques) : Violence and vivisection... De quoi parle cette chanson rarement jouée live (pendant la tournée de l'album, et c'est tout) ? Difficile à dire. Elle met mal à l'aise, avec son alternance entre oppression glauque (les couplets, la mélodie synthétique) et la violence de quelques refrains (aux paroles minimalistes : Gods...Gods...This fear of Gods..., proclamé d'une voix pleine de reverb par un Jim Kerr impressionnant). La face A se finit sur ce morceau tétanisant qui aurait été inspiré par la lecture de nouvelles de Jorge Luis Borges ou Lovecraft. Juste pour l'atmosphère !

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La face B offre, elle, 6 titres (qui sont, pour certains, plus courts). Capital City, elle, qui ouvre la B, est quasiment aussi longue que This Fear Of Gods : une minute de moins, en gros. Mélodie étrange, vaguement asiatique, et assez glauque aussi, elle à un je-ne-sais-quoi qui, comme pour Today I Died Again, Celebrate ou plusieurs des morceaux suivants, met mal à l'aise. Les paroles, encore une fois, sont spéciales. A noter qu'en 1980, le groupe, pour plusieurs concerts, ouvrait pour Peter Gabriel, en première partie, et ils commençaient leurs concerts par Capital City, chanson que l'ex-chanteur de Genesis (alors en pleine période Biko, chanson que les Minds reprendront en 1989 !) n'aimait pas, il trouvait qu'en ouverture de concert, ça foutait le bourdon plutôt qu'autre chose ! Un petit peu longue, cette chanson n'est pas le sommet de l'album, mais elle est quand même excellente. Constantinople Line, qui se passe à bord de l'Orient-Express, est meilleure. I see a land as we crawl by night/I see a face in this window in front/The East is calling, I'm feeling nervous/I love the western style and change. Mélodie assez remarquable, vaguement orientalisante, un petit peu glauque, on sent un malaise quelque part, encore une fois, quelque chose cloche, dans ces mélodies. Twist/Run/Repulsion, qui suit, est un morceau terrifiant. Alternance entre chant psychotique d'un Kerr au bout du rouleau et passages lus d'un texte de Nicolas Gogol (La Perspective Nevski), en...français, par une certaine Chantalle Jeunet, une amie française du groupe. Mais était-il sûr d'être bien réveillé ? Se pouvait-il que celle pour un céleste regard de qui il était prêt à donner sa vie, celle qu'il tenait déjà pour une ineffable bénédiction d'avoir pu suivre jusqu'à sa demeure, se pouvait-il qu'elle fut maintenant si bienveillante et attentionnée pour lui ? On entend, par alternance, donc, cette lecture et les paroles de Kerr, avec une mélodie d'une profonde noirceur, très oppressante. Malaise, encore une fois. Puis Thirty Frames A Second, un morceau vaguement dansant mais qui, comme I Travel, est tout sauf gai. Mine de rien, ce morceau semble un petit peu de brise au milieu de la tempête, quelque part...enfin, c'est surtout le cas de l'instrumental Kant-Kino, très court (moins de 2 minutes), qui suit. Là, c'est assez reposant, en tout cas, pas oppressant... et très bon ! On termine par le court (moins de 3 minutes) Room, morceau dont les paroles sont absentes du livret, je ne sais pas pourquoi (manque de place ?), une chanson qui sera souvent jouée live, et dont les paroles devaient, à la base, parler d'une pièce à l'intérieur glauque, du sang maculant le tapis, un corps pendu, un rasoir dégouttant de sang, aussi. Les paroles seront changées, atténuées, mais The razor's song est toujours dans les paroles, en allusion. Une chanson à l'ambiance très oppressante, histoire de foutre le bourdon à l'auditeur en final, mais que c'est puissant, aussi, sans, cependant, aller dans la violence (le morceau est musicalement très calme) !

MINDS 4

Empires And Dance est donc un disque d'une profonde noirceur, un album glauque, terminal, rempli de chansons assez fortes, This Fear Of Gods, Twist/Run/Repulsion, Room, I Travel, Celebrate, Constantinople Line, Today I Died Again. Un album au demeurant peu connu, sauf des fans du groupe. Un disque qui ne marchera pas fort, et qui sera, aussi, mal distribué par Arista, ce qui gênera encore plus le succès. Avec le temps, c'est un disque qui offre toujours énormément de choses, on le redécouvre sans cesse, et à mes oreilles, c'est probablement un des meilleurs albums de new-wave (cold-wave, ici, mais new-wave à la base) qui soit. Et le meilleur album d'un groupe qui passera, ensuite, à de la pure pop (avec succès pour la période 1982/1989, qui offre d'excellents albums) ! Un disque difficile, sombre, dépressif, violent par moments, très oppressant, mais une totale réussite !

FACE A

I Travel

Today I Died Again

Celebrate

This Fear Of Gods

FACE B

Capital City

Constantinople Line

Twist/Run/Repulsion

Thirty Frames A Second

Kant-Tino

Room