DYLAN 1

Après une dizaine d'années de vie commune, Bob Dylan et sa femme Sara Lownds Dylan crisent, en 1974. Robert Zimmerman se retrouve plein de rancoeur, de fiel, d'amertume, de colère, de douleur, de tristesse, ce quasi-divorce d'avec Sara, celle pour qui il avait écrit le majestueux Sad Eyed Lady Of The Lowlands en 1966, le mine. Je dis 'quasi-divorce', car ils divorceront en 1977, mais leur mariage battait sérieusement de l'aile en 1974. Cette même année, il fait une tournée avec The Band (le double live Before The Flood), et sort un Planet Waves (avec The Band aussi, d'ailleurs) plutôt convaincant. Il se rend à New York afin de perfectionner son niveau en...peinture (vocation artistique que Dylan aurait mieux fait de tuer dans l'oeuf, quiconque ayant vu les pochettes de son Self Portrait ou du Music From Big Pink du Band le confirmera), avec Norman Raeben, un peintre réputé de l'époque. Il y reste deux mois, et tout en apprenant à bien maitriser l'art pictural, commence à penser à de nouvelles chansons, qu'il écrit à son retour au Minnesota, où il vit (et d'où il vient, il est né à Duluth, dans cet Etat). Une fois une dizaine de chansons écrites et composées, il retourne à la Gross Pomme, en milieu septembre, afin de les coucher sur bande. L'album est enregistré rapidement, facilement, Dylan abandonne une des chansons (Up To Me) car le disque aurait été trop long, et ne restent que 10 titres.

DYLAN 4

Mais Dylan ne se sent pas fier de l'album, et décide de réenregistrer, à Minneapolis, la moitié de l'album, avec des musiciens assemblés à la hâte par son frangin David. Apparemment, Dylan trouvait le résultat trop monotone, et, ainsi, Idiot Wind, Lily, Rosemary & The Jack Of Hearts, Tangled Up In Blue, If You See Her, Say Hello et You're A Big Girl Now sont refaites. L'album, à ce moment précis, était pressé, sur le point d'être commercialisé !! Il aurait même été rapidement mis en vente, avant d'être retiré et remplacé par la version définitive, sur laquelle ne sont pas crédités les musiciens de Minneapolis (pour des raisons de temps et de budget, la pochette était déjà faite et elle ne sera jamais modifiée), on imagine donc qu'un premier pressage 1974 de Blood On The Tracks (car tel est le titre de l'album, évidemment) est rarissime et vaut son paquet de couilles de yéti ! Pour info, les musiciens des séances de Minneapolis sont Kevin Odegard (guitare), Chris Weber (idem), Billy Peterson (basse), Gregg Inhofer (claviers), Bill Berg (batterie), Jim Tardoff (banjo) et Peter Ostroushko (mandoline), il est grand temps de les citer pour leur rendre hommage. Les autrs musiciens, ceux des cinq autres titres et des séances new-yorkaises, sont Eric Weissberg (banjo, guitare), Tony Brown (basse), Charlie Brown (guitare), Buddy Cage (steel-guitar), Barry Knorfeld (guitare), Richard Crooks (batterie), Tom McFaul (claviers), et, évidemment, au chant, guitare, harmonica et claviers : Bob Dylan.

DYLAN 2

Verso de pochette, avec un dessin de Dylan

Blood On The Tracks, enregistré entre septembre et décembre 1974, sort définitivement en janvier 1975. Sous une pochette violette et un titre sanglant ('du sang sur les pistes'), avec un dessin de Dylan moche comme un cul de taureau et surtout un long texte du journaliste Peter Hammill (homonyme du leader de Van Der Graaf Generator) au dos. Le ton est donné avec son titre, l'album ne sera pas joyeux, il sera même, en fait, d'une noirceur absolue, teintée de tristesse, mais surtout, de colère. Dylan en veut à Sara, il se calmera sur l'album suivant (Sara, sur Desire, magnifique chanson d'apaisement et d'amour qui aurait été enregistrée en la présence de Sara), mais en attendant, il sort les crocs. Même si plusieurs interprétations sont possibles, difficile de ne pas penser à la situation tendue du couple Dylan en écoutant You're A Big Girl Now, If You See Her, Say Hello, You're Gonna Make Me Lonesome When You Go et surtout Idiot Wind. Rien que les titres de ces chansons disent tout : 'Maintenant, tu est une grande fille'...'Si tu la vois, dis-lui bonjour'..."Tu me rendras esseulé quand tu t'en iras'... 'Vent stupide'... Idiot Wind, surtout, 7 minutes de fiel, de pluie acide, aussi méchant que des retombées nucléaires sur une crêche... Les paroles sont incroyablement salopardes : Idiot wind, blowing every time you move your mouth/Blowing down the backroads headin' south/Idiot wind, blowing every time you move your teeth/You're an idiot, babe/It's a wonder that you still know how to breathe ('Un vent idiot souffle à chaque fois que tu bouge ta bouche/Il souffle direct du bas vers le sud/un vent idiot souffle à chaque fois que tu remue les dents/tu est une idiote, bébé, c'est à se demander si tu sais encore comme respirer'). D'une voix blanche de colère. Heureusement, Dylan se rattrape dans le dernier couplet, dans lequel il se critique aussi vertement, se filant une part de responsabilité aussi : Idiot wind, blowing through the dust upon our shelves/We're idiots, babe/It's a wonder we can even feed ourselves ('Un vent idiot souffle à travers la poussière au-dessus de nos étagères/nous sommes idiots, bébé, c'est à se demander si nous pouvons encore nous nourrir par nous-mêmes').

DYLAN 5

Rempli de classiques dylaniens, ce disque est une de ses plus grandes, de ses plus majeures réussites, 51 minutes absolument fantastiques. Ce n'est cependant pas mon préféré du Barde (qui est Desire de 1975, sorti en janvier 1976), mais c'est probablement son meilleur, même si Blonde On Blonde, The Freewheelin' Bob Dylan, Highway 61 Revisited (et Desire) sont tout près de lui en terme de qualité. Mais face à ce 'sang sur les pistes', que dire ? Dès l'ouverture, ce magistral Tangled Up In Blue (la quintessence dylanienne des années 70 pour moi, devant mon album préféré Desire), le charme opère, que cela soit la première ou la douze millième écoute de l'album. Early one mornin' the sun was shinin'/I was layin' in bed... Une chanson admirable, probablement ma préférée de l'album, et pourtant, croyez-moi, Blood On The Tracks en regorge, de grands moments, Idiot Wind bien sûr, Simple Twist Of Fate, You're A Big Girl Now, Shelter From The Storm, If You See Her, Say Hello... sans oublier le long (8,50 minutes !) Lily, Rosemary & The Jack Of Hearts, que sa longue durée ne rend pas faiblard pour un sou. Ce n'est pas le sommet absolu de l'album ni de Dylan (de même que les 11 minutes de Joey, sur Desire, ne sont pas le meilleur moment de l'album), mais il serait criminel de l'ignorer et de passer à côté. Mon regret est de ne pas avoir trouvé, sur le Net, de clips de chansons de l'album dans leurs versions originales (il n'y à que des versions live et surtout, car elles sont en majorité sur TonTuyau, de reprises par des amateurs), excepté celle, miracoloso, de Tangled Up In Blue...

DYLAN 3

Chef d'oeuvre absolu de folk, Blood On The Tracks est un régal de noirceur dépressive (pas toujours, cependant : Lily, Rosemary & The Jack Of Hearts, Meet Me In The Morning ne sont pas tristes), de fiel, de colère blanche, de tension et de tristesse. Un disque parfait, aucune mauvaise chanson, même si j'avoue que je suis un peu moins fan de Buckets Of Rain ('des seaux de pluie') que du reste, ça reste cependant une très belle chanson qui achève plutôt bien le bal. Dans l'ensemble, ce disque fait partie des essentiels absolus de Dylan, et est même un des albums les plus recommandés, avec Highway 61 Revisited, pour découvrir l'oeuvre du folkeux de Duluth, Minn., même si, en fait, pas mal d'albums peuvent être recommandés pour une première approche. Mais c'est toujours bien de découvrir un artiste par le biais de son meilleur album, ça donne généralement envie de pousser plus loin la découverte. Si vous ne connaissez pas encore Bob Dylan, écoutez ce disque, ça devrait vous plaire, à moins d'être totalement réfractaire au folk et à la voix de Daffy Duck enroué (clairement pas son atout majeur, mais il le sait très bien et ses fans aussi) du Barde. Quant à ceux qui connaissent Dylan, je sais qu'ils connaissent ce disque ; le contraire serait plus qu'improbable, il serait tout simplement inexcusable !! Je finirai ma chronique en citant la première, et fameuse par ailleurs, phrase du texte d'Hammill accompagnant l'album : In the end, the plague touched us all. A la fin, la peste nous a tous atteints.

FACE A

Tangled Up In Blue

Simple Twist Of Fate

You're A Big Girl Now

Idiot Wind

You're Gonna Make Me Lonesome When You Go

FACE B

Meet Me In The Morning

Lily, Rosemary And The Jack Of Hearts

If You See Her, Say Hello

Shelter From The Storm

Buckets Of Rain