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Chez Columbia/CBS, maison de disques de Bruce Springsteen, ce disque sera surnommé, avant sa sortie, l'album du suicide commercial. Et il faut dire qu'il y avait de quoi, même si l'album sera un succès et que CBS, au final, sera plutôt content de l'avoir sorti. Ce disque, sorti en 1982 sous une très austère pochette noire et rouge (gros lettrage), c'est le sixième album de Bruce Springsteen, et il l'a enregistré tout seul, chez lui, avec une guitare acoustique, un harmonica, sa gueule et un tape-recorder basique. L'album s'appelle Nebraska. Amateurs de gros son rock, passez votre chemin, Nebraska, sans doute le meilleur album de Springsteen avec Darkness On The Edge Of Town de 1978 (je les met à égalité), est entièrement acoustique, lo-fi, et triste à en couiner comme un chiot affamé lorgnant une écuelle de Woufwouf se trouvant de l'autre côté du fleuve. Springsteen sortait alors du mémorable double album The River (1980, gros succès, bien rock), et deux ans plus tard, sortira un Born In The U.S.A. très rock et musclé, au succès prodigieux. Coincé entre ces deux monstre sacrés, Nebraska semble vraiment à part. Springsteen mettra 13 ans (1995) avant de refaire un disque similaire, le très bon The Ghost Of Tom Joad. Ce disque (Nebraska, hein), c'est 40 minutes de douleur, de noirceur, de tristesse, de sobriété, aussi.

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On notera que l'agencement des deux faces est assez bizarre : pourquoi avoir collé 6 titres (sur les 10) sur la face A et seulement 4 sur la B, en sachant que la face B ne dure qu'un petit quartd'heure part rapport aux 25 minutes de la A ? En répartissant mieux (5 titres par face), on aurait eu une face de 22 minutes et une de 18, ce qui, on en conviendra, est mieux équilibré. A moins que ça ne s'explique par le fait que Born In The U.S.A., la fameuse chanson qui sera un hit pop/rock monstrueux deux ans plus tard, était à la base prévue pour être sur Nebraska, en mode acoustique (le E-Street Band, qui ne joue pas sur Nebraska, convaincra le Boss de la mettre de côté pour plus tard), et sans doute avait-elle été placée sur la face B et retirée au dernier moment, avant la conception de la pochette (qui est dingue de sobriété). Ou bien ça n'a rien à voir et c'est juste un plantage, ou bien c'est pour faire parler le ClashDo (dans ce cas, c'est réussi)... Toujours est-il que ce mauvais équilibre entre les faces est un peu con, mais musicalement, on s'en fout. Et puis il faut dire aussi que finir la face A sur State Trooper et son ambiance suicidaire (dans les deux sens du terme : le morceau est sous influence Suicide, et il n'est vraiment pas guilleret mis à part ça), c'est mieux que de commencer la face B avec State Trooper et son ambiance suicidaire (dans les deux sens du terme : le morceau est sous influence Suicide, et il n'est vraiment pas guilleret mis à part ça ; heu, je ne me répête pas, là ?) !

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Poster promotionnel pour l'album

Un morceau bien cintré que ce State Trooper, avec les cris impromptus du Boss, dans le final, du pur Suicide (la première fois que j'ai écouté ça, j'ai sursauté ; les autres fois aussi, mais à degré moindre), une chanson qui parle d'un homme roulant à vive allure sur l'autoroute du New Jersey, une nuit pluvieuse, dans la crainte de se faire arrêter par un policier de l'Etat. On apprend qu'il n'a pas de permis de conduire, pas de papiers, rien, et qu'il est, en revanche, conscient des choses qu'il a fait (qu'a-t-il fait, on ne le saura pas). Cette chanson assez pesante trouve son répondant deux chansons plus loin avec Open All Night (matez les paroles, on a des lignes qui reviennent), laquelle est aussi enlevée que State Trooper (ma préférée de l'album, je pense) est lente et hypnotique (la guitare acoustique ressemble aux claviers pourris de Suicide). L'album parle souvent de crimes, de tueurs, de violence : Johnny 99 parle d'un homme qui, un soir, pète un plomb et tue un mec avec son fusil, et il est condamné à 99 ans de prison, une bonne manière (mais il y en à d'autres décrites dans la chanson) de le surnommer Johnny 99 ; le long (5,40 minutes, morceau le plus long de l'album) Highway Patrolman parle d'un flic de la route dont le frangin Frankie est, selon lui, un mauvais garçon, un délinquant récidiviste, un voyou qui, un jour, fera une grosse connerie. Mais le mec aime son frère, hé, normal, c'est son frère après tout. A la fin, on apprend que Frankie a commis l'irréparable. Le flic le poursuit sur la route jusqu'à un panneau annonçant la frontière avec le Canada à 5 miles. Le flic fait demi-tour, laissant son frangin franchir la frontière, coupable d'un crime, en cavale, mais il n'a pas le coeur d'arrêter son frère. Moralité : les liens du sang... Enfin, Nebraska parle d'un fait divers abordé au cinéma dans Badlands de Terrence Malick : la cavale meurtrière, dans les années 50, du jeune Charles Stark-Weather qui, au Nebraska, a tué une dizaine de personne sur la route, il avait embarqué avec lui sa copine, une adolescente pas vraiment consciente de la situation. Stark-Weather a été électrocuté.

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Verso de pochette vinyle et CD

Le reste de l'album est plus calme. Pas joyeux (même si Reason To Believe et Used Cars semblent moins sombres que le reste), maison n'y parle pas de tueur en cavale, de flic de la route et d'un conducteur paumé... Atlantic City est une chanson mémorable sur les paumés et ce Las Vegas de la Côte Est (choeurs sublimes du Boss dans les refrains), une chanson qui sortira en single si je ne m'abuse (et je ne pense pas m'abuser), Mansion On The Hill et My Father's House sont poignantes (surtout la seconde, dontle final est vraiment triste : le mec se rend dans la maison de son père, il ne l'a pas vu depuis des années et veut renouer le contact, mais son père n'habite plus là...), Used Cars, courte (3 minutes), est assez sympathique et mélancolique, Reason To Believe est une petite note d'espoir en final d'album... Dans l'ensemble, la face B est moins sombre, moins dépressive (malgré My Father's House) et, aussi, moins grandiose (malgré la même chanson que je viens de citer). Ce petit quart d'heure est moins fort que les 25 minutes de la face A, il faut dire aussi que la face A offre Nebraska, Atlantic City, Mansion On The Hill, Johnny 99, Highway Patrolman et State Trooper. Enfin bon, dans l'ensemble, cette face B est tout de même excellente, et Nebraska, dans l'ensemble, est un grand cru du Boss, un de ses tous meilleurs albums, et même son meilleur à égalité avec Darkness On The Edge Of Town de 1978 comme je l'ai dit en intro d'article. Un disque sombre, triste, dépressif, pas vraiment commercial, mais qui sera cependant un beau succès critique et public. Pas aussi cartonneur que l'album suivant (Born In The U.S.A., en même temps), mais une vraie bonne surprise montrant que Springsteen savait aussi se faire acoustique et sobre, lui qui, sur ses précédents albums, envoyait pas mal, niveau gros rock ! Bref, un chef d'oeuvre !

FACE A

Nebraska

Atlantic City

Mansion On The Hill

Johnny 99

Highway Patrolman

State Trooper

FACE B

Used Cars

Open All Night

My Father's House

Reason To Believe