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Envie d'une banane ? Alors ce disque vous tend les bras. C'est le premier album du Velvet Undergound, groupe américain mythique fondé en 1966, créé de toutes pièces par Andy Warhol (qui manage, et produit de loin, il n'a pour ainsi dire jamais rendu visite au groupe en studio, déléguant tout à Tom Wilson), et ce premier album, enregistré en 1966 et sorti en début d'année 1967 sous cette pochette mythique dessinée (et c'est fièrement indiqué) par Warhol, s'appelle connement The Velvet Underground & Nico. Parce qu'en plus du Velvet, que je vais détailler juste après cette phrase passionnante (j'insiste), Warhol a débauché une mannequin allemande du nom de Christa Päffgen, alias Nico, beauté blonde scandinave, une Walkyrie qui chante sur trois titres. Andy Warhol voulait qu'elle chante, de sa voix rauque et d'outre-tombe, sur tous les titres, mais le guitariste et chanteur du groupe, un certain Lewis Reed, refusera et offrira seulement trois titres à Nico, dont c'est l'unique collaboration en album studio avec le groupe. Le groupe, donc : Lewis 'Lou' Reed au chant et à la guitare ; John Cale à la basse et au violon, à la viole aussi ; Sterling Morrison à la guitare rythmique ; Maureen 'Moe' Tucker à la batterie (une des rares batteuses du rock ; enfin, il y en à d'autres, comme Meg White ou Karen Carpenter, mais c'est au final peu courant). Et Nico qui chante sur trois titres. L'album, de titres, en offre 11, pour un total généreux de 48 minutes, durée au final peu courante pour un disque de l'époque, sauf éventuellement dans le jazz.

VU 3

Morrison, Nico, Tucker, Cale, Reed (au premier plan)

The Velvet Underground était un groupe à part. Ayant eu pour ainsi dire aucun succès à sa sortie, ce premier album a ensuite obtenu une réputation totalement culte, on dit que chacun des acquéreurs de l'album, à l'époque, a ensuite monté son groupe. C'est probablement faux, mais ce qu iest sûr, c'est que des vocations ont sans aucun doute éclaté suite à l'écoute de ce disque qui ne ressemble à aucun autre de la même époque. Psychédélique, ce disque est rempli de classiques (Lou Reed, dès le début de sa carrière solo, ne se gênera jamais, et il a raison vu qu'il est l'auteur des titres, de puiser dans le répertoire du Velvet pour ses concerts ; Nico fera de même en chantant souvent ses chansons du Velvet en concert solo). Le disque est une sorte de bottin des perversions modernes, on y parle de sexe déviant (sadomasochisme), de came, de violences, de folie... L'ambiance de l'album est indescriptible. Commençant par un Sunday Morning qui semble parfaitement convenir pour un dimanche matin pluvieux (doux, mélancolique...instantanément culte et attachant, c'est un classique), l'album se finit sur les 7,40 minutes du tintamarre noisy European Son, quasiment instrumental, dont les Stooges semblent s'être fortement inspirés pour leur L.A. Blues (album Fun House de 1970), un morceau bruitiste, violent et, lui aussi, mythique. Le groupe assure à fond sur le disque, peu de prises ont sûrement été nécessaires tant le rendu est live, on a l'impression que le groupe joue tout d'affile, d'une traite, comme un concert sans bruit de public. Faut dire que le Velvet a eu de quoi rôder ses titres : en 1966, Warhol fait monter le groupe pour une séries de spectacles associant art visuel et musique, le spectacle s'appelait (c'est très warholien, vous allez voir), l'Exploding Plastic Inevitable. Les réactions furent diverses et variées : soit on applaudira ce mélange entre rock et Marquis de Sade, entre art visuel et art sonore ; soit on détestera. Cher, la fameuse chanteuse, dira, après avoir assisté à un spectacle de l'Exploding Plastic Inevitable, que si un jour cette musique remplacera quelque chose, alors ça sera un remplaçement du suicide. Dans la pochette de l'album, on a quelques coupures de presse concernant l'Exploding Plastic Inevitable (il n'y à pas la citation de Cher), on sent bien, en les lisant, que ce spectacle (dont est issu la photo de dos de pochette) a marqué.

VU 2

Intérieur de pochette vinyle (ici une édition collector vu la couleur du disque), le livret CD est identique

Au sujet de cette pochette, plutôt de cette photo de verso de pochette montrant le Velvet en pleine action (et, en-dessous, cinq photos individuelles, signées Paul Morrissey, un des membres de la Factory de Warhol et futur réalisateur de films de Warhol), signalons qu'il y aura un procès avec un éphèbe de la Factory qui exigera qu'on vire son visage de la pochette. Lequel visage est placé en incrustation sur le fond orangé, au niveau de la tête de Lou (pour le voir, si vous possédez une ancienne édition vinyle une édition CD pas trop récente - la mienne est de 1996, et on peut le voir dessus -, retournez la photo, vous verrez ce mec, bras tendus au-dessus du visage). Je possède une réédition vinyle (éditée par 4 Men With Beards) de l'album, le mec a été viré ! C'était pour l'anecdote, voyez d'ailleurs la photo originale plus bas... Sinon, à l'intérieur, on a donc des coupures de presse, plus des photos des membres, individuellement (Lou, déjà avec ses lunettes ; Cale et Nico, déjà posant ensemble (ils feront une trilogie d'albums ensemble, des albums de Nico, mais Cale les produit ou joue dessus) ; Maureen et son petit minois ; Morrison et ses lunettes, aussi ; et Warhol arborant ses lunettes noires et des percussions, alors qu'il ne joue absolument pas sur le disque).

VU 1

Dos de pochette

Bon, revenons à l'album, musicalement parlant. Il est parfait. Il s'ouvre donc sur une douceur folk douce-amère, et s'achève sur un déluge noisy du plus bel effet. Et le reste ? Après Sunday Morning, on a le classique absolu I'm Waiting For The Man, qui parle d'un camé attendant fébrilement l'arrivée de son dealer, pognon en poche, prêt pour la transaction. Guitare bien sonnante, chant cynique et déjà inimitable d'un Lou Reed qui, par la suite, sonnera rarement aussi puissant (sauf sur sa période dorée 1972/1974 et sur Coney Island Baby de 1976), un Lou qui, justement, jouera souvent ce titre en live en solo. Mythique. Puis le premier titre chanté par Nico, Femme Fatale. Sa voix est si grave, si profonde, que le son est parfois grésillant (problème de micro, d'enregistrement ; toutes les éditions de l'album sont similaires de ce côté) ! La chanson, avec les choeurs de Cale, est une merveille douce-amère, mélodie inoubliable, chant rauque, teutonique (l'accent germanique de la belle Walkyrie apporte un charme supplémentaire), une chanson sensationnelle. On peut dans un sens regretter que Nico ne chante pas sur tout le disque quand on l'entend chanter sur cette chanson et les deux autres qu'elle interprète sur le disque, sans vouloir non plus critiquer Lou Reed, qui est ici, comme je l'ai dit, au sommet sur ses titres. On passe à Venus In Furs, inspirée par le roman du même nom de Leopold von Sacher-Masoch (inventeur du masochisme et grand-oncle de Marianne Faithfull). Une chanson hypnotique (le violon de Cale...), un autre terme convient-il mieux ? Mélodie entêtante, chant parfait et lancinant (I am tired, I am weary, I could sleep four thousand years...), une de mes grandes préférées de l'album. Je suis un tantinet moins fanatique de Run Run Run (malgré un solo démentiel prouvant que Lou assure à la gratte), un morceau plus rock et classique, mais c'est du lourd, et The Velvet Underground & Nico n'a rien de mauvais en lui. La face A s'achevant en apothéose par les quasiment 6 minutes du deuxième morceau chanté par Nico, All Tomorrow's Parties, réputé être la chanson préférée d'Andy Warhol. Si c'est le cas, il avait du goût, l'esthète. C'est la meilleure des trois chansons interprétées par Nico, ce qui n'enlève rien aux deux autres. Une mélodie lancinante (quel piano !), le chant est 'outretombesque' mais aussi très puissant, on a une ambiance légèrement orientalisante (un peu comme sur Venus In Furs). Le morceau finit la face A en force, et je pense sincèrement que c'est le sommet de l'album.

VU 4

Au premier plan : Warhol. Puis le Velvet et Nico, et deux que je ne connais pas, au fond à gauche (de la Factory ?)

Pourtant, la face B s'ouvre sur les 7 minutes grandioses d'Heroin, morceau que Lou, en live et en solo, fera durée du double (enfin, quasiment : 13 minutes) sur son Rock'n'Roll Animal de folie (1974). La version live que je viens de citer est gothique et impressionnante, ambiance messe noire, mais la version originale est si chargée en ambiance hypnotique qu'il n'y à limite pas besoin de se shooter à la horse pour en ressentir les effets : on écoute le morceau, on est en transe. Le violon de Cale, la guitare lancinante de Reed (celle de Morrison, aussi). Les paroles sont, pour l'époque, scandaleuses. When I put the spike into my veins... Une chanson grandiose et mythique. Après, on a un petit répit très rétro, une chanson sympathique mais aussi la moins marquante (il en faut bien une) de l'album, There She Goes Again, chanson amusante, assez kitsch mais loin d'être mauvaise. Et ensuite, Nico nous offre sa troisième (et dernière) chanson sur le disque : I'll Be Your Mirror. Trop courte (2 minutes et quelques), elle est sublimissime, je ne vois pas quoi dire d'autre. Quelle chanson... La douceur qu'il s'en dégage est imposante... Warhol voulait que le vinyle possède un locked groove (sillon bloqué) à la fin, afin que la chanson se répête inlassablement, jusqu'à ce que l'auditeur se lève et bouge le bras de la platine, mais ça ne se fera pas. Sinon, il paraît que cette chanson fut la plus difficile à enregistrer pour Nico, qui avait plus l'habitude de chanter fortement, alors que ce morceau exigeait au contraire de la délicatesse. Mission accomplie, le chant est vraiment doux... Plus doux que celui de Lou sur The Black Angel's Death Song, sans doute ma préférée sur l'album, un morceau étrange, cryptique même (de quoi parle la chanson ? Il y à plusieurs sens...), et très oppressant. Les shhhhhhhhhhh de Cale, impromptus, faisant penser à une cocotte-minute en train de cracher sa vapeur dans un micro (j'y peux rien si je pense à ça !), son violon strident et agressif (pauvre violon, maltraité ainsi...mais c'est magnifique, aussi), le chant cynique de Lou... The Black Angel's Death Song est un morceau grandiose et, je crois, un peu sous-estimé. Sacrificial remains make it hard to forget... Une claque ! Ensuite, j'en ai parlé plus haut, le final noisy European Son, qui achève le disque en cacophonie grandiose.

VU 5

Pour finir, on peut donc parler de classique, de monument, de disque culte et de chef d'oeuvre pour parler de ce premier opus du Velvet Underground. Disque de malades (pour l'époque, parler de came d'une manière aussi trash et crue que dans Heroin et I'm Waiting For The Man, parler de déviances sexuelles comme dans Venus In Furs, faire des chansons aussi décapantes que The Black Angel's Death Song et European Son, c'était quelque chose), grand disque, The Velvet Underground & Nico est un album culte, de sa pochette à ses titres. A noter, pour finir, que la pochette, en vinyle (premières éditions), pouvait se peler, pour la banane, laissant apparaître une chair rose (allusion phallique évidente). Aussi, les tous premiers exemplaires américains avaient/auraient eu, apparemment, du LSD dans l'intérieur de la banane, du moins, à ce que j'ai toujours entendu et/ou lu à ce sujet, mais je ne sais pas si c'est vrai ou une légende urbaine. Ca en rajoute au mythe autour de l'album, qui n'a de toute façon pas besoin de ça pour être mythique et génial ! Essentiel, donc.

FACE A

Sunday Morning

I'm Waiting For The Man

Femme Fatale

Venus In Furs

Run Run Run

All Tomorrow's Parties

FACE B

Heroin

There She Goes Again

I'll Be Your Mirror

The Black Angel's Death Song

European Son