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Après le très expérimental Low et le très cold-wave "Heroes", Bowie mettra un an et demi/deux ans avant de finir sa trilogie berlinoise. Entre temps, en 1978, il sort un double live anthologique (Stage) offrant notamment le meilleur des deux premiers opus de la trilogie (version à tomber de Warszawa, Breaking Glass, Blackout, "Heroes" et What In The World). Un an après, il enregistre, aux studios Mountain de Montreux (Suisse), le dernier maillon, Lodger. Toujours aidé de Brian Eno (qui collabore plus que jamais, il est encore plus présent  aux crédits que sur les deux autres volets), Bowie livre ici un disque très court (10 titres pour seulement 35 minutes) et très différent des deux précédents. Lodger ('locataire') est un disque en effet très influencé par la world-music et la pop/rock arty des Talking Heads (qu'Eno a produits). Encore une fois coproduit par Bowie et Tony Visconti, Lodger a été enregistré avec quasiment la même équipe : George Murray (basse), Carlos Alomar (guitare), Dennis Davis (batterie), Eno (claviers, effets sonores), et Bowie tient le piano, synthétiseur, chamberlain, guitare. On a aussi la participation d'Adrian Belew (guitare, mandoline, qui participera à un disque des Talking Heads et fera partie de King Crimson dès 1981), Sean Mayes (piano), Simon House (mandoline, violon), Roger Powell (synthétiseur) et Tony Visconti (mandoline, guitare, choeurs). Et Stan au saxophone.

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Intérieur de pochette vinyle (toutes les illustrations ne sont pas dans le livret CD)

Lodger est un disque très étrange. Difficile à aimer, aussi. Je dois dire que la première fois que j'ai écouté l'album, je l'ai viscéralement détesté, à l'exception de quatre chansons, et sur ces quatre chansons, il y en à deux que je connaissais déjà avant (Look Back In Anger, Boys Keep Swinging). Les deux autres sont D.J. et Fantastic Voyage. Les deux premières citées sont deux classiques, présents sur les best-ofs, sortis en singles, des clips ont été faits. Ce sont deux chansons immenses (surtout la première, qui parle d'un ange tombé sur Terre). A noter que Boys Keep Swinging, dont le clip montre plusieurs Bowies travestis en plusieurs femmes de différents âges, a été enregistrée avec les musiciens ayant échangé leurs instruments (du style Alomar à la batterie...), ce qui peut expliquer le rire entendu au tout début du morceau ! D.J. (il y aura aussi un single et un clip) est la chanson dansante de l'album, une chanson avec l'étoffe d'un tube mondial. Fantastic Voyage, elle, est éthérée, planante, et hélas trop courte (3 minutes, même pas en fait), et c'est probablement le sommet de l'album. Les nappes de claviers sont inoubliables. Le reste de l'album est moins évident. Lodger est en fait à l'image de sa pochette : bizarre. Parlons un peu de cette pochette : elle est à la fois drôle et malsaine. On y voit Bowie, un peu désarticulé, allongé sur une table d'autopsie, en costard, le nez tordu, le regard allumé, les pieds et mains dans tous les sens sauf le bon, un bandage à la main, chemise sortie du fute... Une photo de l'intérieur de pochette montre Bowie en train de se faire préparer pour la photo !

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Pochette dépliée

A l'intérieur, on voit plusieurs photos sans lien entre elles : un bébé ; une reproduction d'un tableau religieux montrant le Christ mort, allongé, et pleuré par ses proches ; la fameuse photo de la préparation de la pochette de Lodger dont j'ai parlé plus haut ; une fameuse photo représentant le cadavre du Che Guevara ; des montres ; un cadavre recouvert d'un drap à la morgue. Le tout sur fond d'une photo en gros plan d'un lavabo fuyant violemment. Si on excepte le tableau, la photo du cadavre anonyme et celle du cadavre du Che (allusions à la mort, comme la pochette montrant Bowie sur une table d'autopsie), les photos n'ont pas trop de lien entre elles et renforcent le côté hermétique, bizarre, de ce disque. Musicalement, Bowie et Eno s'autorisent un retour sur Terre après deux albums très ambient. Lodger est influencé par la world, notamment pour Yassassin (morceau que je n'arrive pas à apprécier, je le déteste sincèrement), African Night Flight et Move On, deux chansons franchement remarquables, mais que j'ai mis du temps à aimer. A côté, Red Sails (avec la guitare magique de Belew) et Red Money (cette dernière est tout simplement un remake avec de nouvelles paroles du Sister Midnight d'Iggy Pop) sont très rock. Tout comme Look Back In Anger (ce riff !) et Boys Keep Swinging. Repetition est une déception, un morceau répétitif (vu son titre, ça tombe bien) qui parle d'un homme rentrant du boulot, éreinté, et engueulant, et même frappant sa femme parce que le dîner est froid... Bowie a fait mieux, bien mieux, sur l'album comme en général.

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Très classe photo de Bowie présente dans le livret CD

J'ai donc mis du temps à aimer cet album de 1979. Et je ne suis pas le seul : Lodger, parfois mal accueilli à sa sortie, est un disque comptant parmi les albums sous-estimés de Bowie. Il est difficile d'accès, très décevant à la première écoute, il faut s'accrocher pour parvenir à vraiment l'apprécier... Il est étrange, étonnant, on se demande parfois où Bowie et Eno voulaient en venir, et parfois, il est aussi trop accessible, comme sur les trois premiers titres de la face B. Dans l'ensemble, c'est le moins fort de la trilogie berlinoise, ou trilogie Eno, mais il est tout de même franchement excellentissime, une fois qu'on a réussi à l'apprivoiser. Un très bon cru méconnu, donc. Un disque à part pour Bowie, qui passera, dès 1980 (album suivant), à un son carrément pop/rock, avec son sommet Scary Monsters (& Super Creeps) !

FACE A

Fantastic Voyage

African Night Flight

Move On

Yassassin (Turkish For : Long Life)

Red Sails

FACE B

D.J.

Look Back In Anger

Boys Keep Swinging

Repetition

Red Money