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Dans un article consacré aux pochettes d'albums les plus emblématiques, les plus mythiques, de l'histoire du rock, vous êtes obligés, o-bli-gés, de tomber sur celle de cet album. Vous êtes tout aussi obligés, dans n'importe quel article du genre 'discothèque idéale/meilleur albums' qui se respecte, de tomber sur cet album.

Oserai-je le dire ?

J'ose : cet album est un chef d'oeuvre. 

J'ai osé.

Non, sérieusement, cet album, sorti en 1968, deuxième album de Big Brother & The Holding Company (qui ne parviendra jamais à récidiver ce triomphe), est indispensable à toute discothèque rock. Si en plus vous aimez l'acid-rock américain de la fin des années 60, alors là, les gars, au cas où vous ne connaîtriez pas encore Cheap Thrills, vous venez de vous rendre immensément heureux sans même vous en rendre compte : le fait de lire cet article a suffi. Non, ce n'est pas de la prétention de ma part ; mais si je vous ai fait découvrir cet album, j'en serai vraiment heureux, et ça, c'est clair et net. La première fois que j'ai écouté cet album, j'ai halluciné. Et pourtant, je ne suis pas un fanatique de Janis Joplin. Parce que oui, Janis Joplin est au chant ici, Big Brother & The Holding Company fut son premier groupe, elle a été révélée via leur biais, et est devenue, rapidement, très hype. Elle quittera le groupe peu après, formera le Kozmik Blues Band (un album assez moyen, malgré Kozmic Blues, intouchable joyau), puis, peu de temps avant sa mort, le Full Tilt Band, avec qui elle fera son album Pearl, sorti posthume. Mais c'est Big Brother qui l'a révélé. Le groupe, une formation de freaks sans envergure notable, la prend comme chanteuse. Le premier opus, éponyme, sorti en 1967, on peut passer à côté sans trop de regrets, c'est vraiment pas glopissime. Les suivants, après Cheap Thrills, et après le départ de Janis donc, c'est pareil, sans génie aucun.

Cheap Thrills, lui...

RRhââ, je vais avoir du mal à la finir, cette chronique, je le sens...pas la première que je fais au sujet de ce disque pourtant, et je le connais tellement par coeur, ce disque (découvert alors que j'avais, quoi, 17 ans...il y à plus de 20 ans, donc...), que logiquement, ça devrait aller tout seul couler de source. Mais il en impose tellement, ce disque, qui pourtant, sa pochette géniale (signée Robert Crumb, dessinateur de BD, auteur de Fritz The Cat) mise à part, ne semble pas payer de mine : seulement 7 morceaux, seulement 37 minutes. Et logiquement, on devrait avoir affaire à du rock psychédélique ricain lambda, Janis ou pas, je veux dire par là que les musiciens, sans être mauvais, ne sont pas des Hendrix, Cipollina, Arthur Lee ou Doors, ils sont compétents, mais sans génie. Sans Janis, jamais ils n'auraient percé. Sans eux, peut-être qu'elle aurait percé, elle (mais elle aurait percé un carton de cubi de pinard, probablement). Sorti sur Columbia, qui avait signé le groupe sans trop d'espoirs, produit par John Simon, l'album a subi quelques affres de la création : sa pochette, à la base, devait représenter le groupe, une photo (et le comic-book aurait été au verso). Mais la séance photo dérapera, le groupe se désapera ; politiquement correct oblige, on renoncera à utiliser les photos. Le titre de l'album devait être Sex, Dope & Cheap Thrills, mais on décidera de le raccourcir, sans doute pour plus de politiquement correct ("frissons faciles", déjà, c'est osé). Enfin, il est fièrement indiqué sur la pochette que l'album est enregistré live au Fillmore (West)...c'est faux. Seul le dernier titre, Ball & Chain, reprise d'un vieux blues de Big Mama Thornton, a été capté live, au Winterland Ballroom de Frisco. Le reste ? Un bon vieil album studio, sur lequel on a placé des clameurs de foule, des effets live (écho...), pour faire croire. Pourquoi ? Sais pas. Pour faire plus vendeur, peut-être.

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Verso de pochette

Cet album est donc un faux live, mais un vrai triomphe malgré tout. C'est bien simple, rien, strictement rien à retirer, même le morceau le moins époustouflant est d'un niveau tel qu'il serait le sommet d'un groupe de troisième division, et ce morceau, c'est Oh, Sweet Mary, co-interprété par Janis et le guitariste Sam Andrew (qui, sur ce morceau, est à la basse ; c'est le bassiste, Peter Albin, qui est à la guitare sur ce morceau). Un morceau trépidant, coincé entre une complainte au piano (c'est le producteur qui en joue), Turtle Blues, et les 9 minutes tétanisantes de Ball & Chain qui achève en même temps l'album et l'auditeur. Quelle performance vocale, bordel de nom d'une pipe en papier de verre peinte en vert cerise... Ces trois morceaux constituent la face B. L'autre face, la A, est sans doute encore meilleure, en fait, et en tout cas au minimum du même niveau, et s'ouvre sur Combination Of The Two, sur lequel Andrew pose quelques voix aussi, morceau frénétique, riche en vocalises. I Need A Man To Love est une féérie bluesy (pas une reprise ; le morceau est signé Andrew et Joplin) qui laisse pantois. Mais ce sont les deux derniers titres de la face A qui vont constituer le chapitre 1 de la légende joplinienne. On a d'abord Summertime, adapté du Porgy And Bess de Gershwin, morceau repris plein de fois (Miles Davis, ou Louis Armstrong et Ella Fitzgerald, notamment), transcendance totale (cette guitare, frêle et en même temps assez complexe dans ses accords...ce chant, immortellement beau, d'une Janis en état de grâce...). Puis Piece Of My Heart, plus rythmé, à la base interprété par Emma Franklin en 1967, mais ici dans sa version la plus connue. On écoute cette face A, direct on retourne le disque. Et la suite, donc j'ai parlé plus haut, ne déçoit pas non plus.

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Voilà pour cet album d'anthologie. Je peux donc sans problème le conseiller, ultra chaudement (tellement chaudement que ça devrait, logiquement, cramer), à quiconque aimant le rock, le rock psychédélique, le blues-rock, ou Janis Joplin, et qui ne le connaîtrait pas encore, si une telle chose est possible. On ne parle pas d'un petit album, après tout, c'est vraiment un jalon du rock de son époque, à ranger aux côtés des albums des Doors, d'Hendrix, de Cream et des Beatles. Et cette pochette... Il me fallait en parler, de cette pochette, et autant finir par ça. Crumb a signé un objet d'art, qui sera parodié/pastiché par d'autres par la suite (le seul exemple qui me vient en tête est le Man It Feels Like Space Again de Pond, sorti en 2015, album de psyché-électro-rock d'un groupe australien, remarquable album par ailleurs ; la référence est tellement évidente que dans Rock'n'Folk, ils n'en avaient pas parlé, l'air de dire pas la peine de gueuler l'évidence). Une série de vignettes géniales, drôles, qui illustrent chacune une chanson, un membre du groupe, et qui, aussi (et d'une manière totalement erronnée, donc), indique qu'il s'agit d'un album live. Comme on l'a vu plus haut, mis à part le dernier morceau, c'est faux. Mais ça fait partie de la légende de l'album, qui bien qu'enregistré en grande, très grande partie en studio, sonne live ; à l'évidence, il a été enregistré live en studio, le groupe jouant en bloc, soudé, plutôt que les guitares d'abord, la rythmique ensuite, le chant par la suite, etc, comme on le fait souvent. Vous l'avez compris, c'est crucial, indispensable, vital même, pour tout fan de rock. 

Bref, tu l'achètes, ou bien ?

FACE A

Combination Of The Two

I Need A Man To Love

Summertime

Piece Of My Heart

FACE B

Turtle Blues

Oh, Sweet Mary

Ball & Chain