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Cet article était un des premiers que je faisais, sur le blog (en 2012), sur Claude Nougaro, avec le double live de 1969 Une Soirée Avec Claude Nougaro (qui est exceptionnel et fonctionne parfaitement en tant que best-of du début de sa carrière, car tous ses premiers classiques y sont). Ayant récemment découvert le reste de sa discographie (du moins, allant de ses débuts à 1985, l'album Récréation de 1974 mis à part) via l'acquisition d'un coffret de quasi-intégrale (ses périodes Philips et Barclay), je me suis mis en tête d'aborder ces albums sur le blog, n'est-ce pas que c'était une bonne idée ? Bon, hier, j'ai rapidement parlé, en chronique complémentaire (MaxRSS, en effet, avait abordé le disque en octobre dernier), de Femmes Et Famines, album majestueux que Nougaro a sorti en 1975, et qui était d'ailleurs son premier sur Barclay (je ne sais pas s'il a quitté Philips ou si on lui a demandé de partir, vu le faible résultat commercial des derniers albums qu'il avait sorti sur Philips, mais le résultat est le même, non ? Il a changé de label). Un album rempli de grandes chansons méconnues (Le Chant Du Désert, Gloria, Île De Ré, Ma Femme), un album sur lequel le fameux Ornette Coleman, une des légendes du jazz, jouait (sur Gloria, justement). Un album qui ne marchera hélas pas du tout, sera ignoré des masses, aucun tube dessus, en même temps...Et Nougaro avait déjà une réputation de chanteur de niche, faisant du jazz, et si on n'aime pas le jazz et les musiques du monde, difficile d'aimer Nougaro, quelques chansons plus 'traditionnelles' (comme Toulouse ou Cécile, Ma Fille) exceptées. 

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Bon, Femmes Et Famines, album très fortement imprégné d'un piano jazzy reposant (mais avec quand même quelques incursions plus mouvementées), sort et fait un bide. Pour son début de carrière chez Barclay, ça commence mal. Deux ans plus tard, Nougaro sort un disque considéré comme étant un de ses sommets (ce qu'il est), un album aussi réussi que Locomotive D'Or et Femmes Et Famines, je ne sais vraiment pas comment les classer, dans mon trio de tête, ces trois albums-là, ça change tout le temps. Cet album de 1977, c'est Plume D'Ange. Ce disque est à part chez Nougaro. Il dure 36 minutes, durée qui se rapproche de celles des autres albums du Toulousain, mais ne contient que 6 titres. Il n'y à que Locomotive D'Or qui, avec ses 7 titres, s'en rapproche ! L'album démarre par son morceau-titre, qui occupe toute la face A, et dure la bagatelle de 15 minutes. Mis en musique et arrangements par Jean-Claude Vannier (avec qui Nougaro avait déjà collaboré sur Soeur Âme en 1971), le fameux arrangeur de Gainsbourg sur Histoire De Melody Nelson et Vu De L'Extérieur, et de Polnareff sur Polnarêve, ce morceau n'est pas une chanson. C'est un conte musical, tout simplement. L'histoire est belle et touchante : Nougaro reçoit, une nuit, la visite d'un ange, qui lui offre une de ses plumes et lui dit qu'il doit raconter à tout le monde que cette plume provient d'un ange. Si jamais une personne, ne serait-ce qu'une personne, le croit sans problème, alors la paix viendra sur la Terre, plus de guerre, plus de famines, plus d'injustice. Mais vous vous doutez bien que personne ne veut le croire. Nougaro le dit lui-même au début, rassurez vous, je ne vous demande pas de me croire, je ne vous le demande plus. Pourtant, écoutez encore une fois, une dernière fois, mon histoire. D'abord joué live (un live sorti juste avant l'album offre l'intégralité de l'album joué sur scène, dans le désordre, ainsi que, bien entendu, d'autres chansons du répertoire de Nougaro), Plume D'Ange est un régal poétique, sublimement mis en musique, un conte drôlatique et sensible qui prouve définitivement le génie de ce si regretté chanteur. 15 minutes de bonheur.

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Visuel d'une antique édition CD comprenant Récréation et Plume D'Ange, édition désormais épuisée ou presque ; l'album de 1977 est disponible dans le coffret 12 CD que j'aborde un par un, mais pas séparément...

La face B, elle, offre, en une vingtaine de minutes, 5 titres, tous très différents les uns des autres. On a d'abord Le K Du Q (titre amusant en jeu de mots), qui n'est autre qu'une nouvelle version d'Un Grain De Folie, morceau assez décalé (cette nouvelle version est un peu plus structurée, plus jazzy, moins higelinesque, mais tout de même assez folle, Nougaro y chantant un peu en allemand, en anglais, et semble sur le point d'éclater de rire à tout moment) issu de Soeur Âme, 1971. Le contraste avec Plume D'Ange est total ! Pablo, qui suit, est une touchante chanson dédiée au fils de Nougaro, né d'une union avec une brésilienne, Marcia. Pablo vit au Brésil, à l'heure actuelle, et autant son paternel, en 1975, avait fait une chanson sublime (basée sur du Gilberto Gil), Brésilien, pour parler d'un musicien brésilien vivant sous le joug de la dictature, autant son fils, en 2019, a soutenu la campagne de Jair Bolsonaro, candidat d'extrême-droite qui, on le sait, a remporté les présidentielles dans son pays. Les idées politiques ne se transmettent apparemment pas de génération en génération... Jalousie, qui suit, est pour moi le sommet de cette seconde face, et une des plus imposantes chansons de Nougaro. Basée sur le Othello de Shakespeare, la chanson est sombre, pesante (son atmosphère est même oppressante), on assiste à l'assassinat de Desdémone par Othello, étranglée. Nougaro achève tout ça d'un neutre et sobre C'est fini. Shakespeare referme son stylo. Enorme contraste avec le morceau suivant, long de 3 minutes (je précise la durée ici, car, curieusement, sur le vinyle, c'est le seul morceau pour lequel la durée n'est pas indiquée), Quasimodo, qui s'inspire encore une fois d'une oeuvre littéraire, je ne vous ferai pas l'affront de la citer, Quasimodo étant un personnage tellement connu que tout le monde l'associe avec ce roman (quel roman ? Oh, voyons, un peu de sérieux...). Morceau enjoué, lyrique, on est plongé en pleine fête médiévale avec le bossu qui, du haut de son antique perchoir de pierre, sonne les cloches. Pas le meilleur morceau de l'album, mais superbe chanson tout de même. Enfin, Comme Une Piaf, adaptation de Beauty And The Beast du jazzman Wayne Shorter, achève parfaitement l'album, cuivres en pagaille, chant habité, c'est un régal. Au final, on a encore une fois (la discographie de Nougaro, de ses débuts à ce disque, est parfaite, et nul doute que la suite sera d'un grand niveau ; je continue la découverte dès demain, avec impatience) un album parfait, grandiose, essentiel. Bien entendu, le succès de ce disque mythique ne sera pas immense. Il faut dire que Plume D'Ange n'a rien du robinet à hits, on n'est pas chez Cloclo...non, là, on est chez les très grands !

FACE A

Plume D'Ange

FACE B

Le K Du Q

Pablo

Jalousie

Quasimodo

Comme Une Piaf