Comme on le dit, on ne juge pas un livre sur sa couverture, et, par extension, un film sur son affiche, et un album sur sa pochette. Heureusement, car la pochette de ce disque ne fait franchement pas partie des plus réussies. Même si elle est dans le ton de l'album : Christophe (car c'est de lui qu'il s'agit) en dandy bien sapé, dans un décor glauque, un escalier d'accès au métro. On a une petite fille en belle robe, se cramponnant à la rampe, tête baissée. L'album, lors de sa réédition CD d'il y à quelques années, sera, comme les autres anciens Christophe réédités dans la même série (Samouraï, Les Mots Bleus...), ruiné par une pochette hideuse et monochrome (jaune, pour ce disque) ne reprenant pas la pochette initiale, plus une absence de livret, de bonus-tracks et de vrai boîtier (un digipack). Sinon, cet album est mythique, s'appelle Le Beau Bizarre, date de 1978, et est assurément le deuxième meilleur album de Christophe après Les Paradis Perdus de 1973. Et, aussi, un de mes grands disques français préférés au monde. Ce disque, qui ne sera pas un gros succès commercial mais sera acclamé par la critique et est toujours aujourd'hui considéré comme un monument insurpassable, ce disque, donc, a été enregistré au studio Ferber de Paris, lieu fétiche d'enregistrement de Christophe, entre septembre 1977 et janvier 1978. Les musiciens l'accompagnant sont terribles, certains suivent Christophe depuis des années : le guitariste Patrice Tison, le bassiste Didier Batard. A la batterie, Joe Hammer. Aux claviers, Jean-Louis Bucchi. Aux saxophones et clarinette, René Morisure. A la production, le dirigeant de la maison de disques ayant sorti l'album (Motors), Francis Dreyfus. A l'écriture de 8 des 9 titres, un nouveau parolier (après Jean-Michel Jarre en 1973/74 et Boris Bergman en 1976) : Bob Decout. Sauf une chanson, la dernière, dont Christophe a signé les paroles, et musique d'André Demay (pour les 8 restantes, Christophe signe la musique).
Le Beau Bizarre est un disque qui mérite son titre : beau et bizarre. Beau, car, franchement, les mélodies sont sublimes. Bizarre, car, des fois, on a des paroles un peu étranges (Bob Decout), un peu limite (voir les premières paroles de Saute Du Scooter (Saute du scooter, remets tes socquettes), voir aussi Ce Mec Lou). Mais surtout, Christophe, ici, chante comme s'il ne savait pas chanter, c'est un concept, ceci dit, et pas une mauvaise forme du chanteur. Intonations bizarres, contre-temps vocaux, voix hésitante... Tout ça apporte un côté très touchant à l'album, mais la première écoute (et même la deuxième) sera sans doute un peu difficile. Surtout que le disque est franchement frustrant : il n'offre que 9 titres, ce qui, en soit, n'est pas extraordinaire, mais pour un total de 26 minutes, pas une de plus ! La chanson la plus longue, c'est Un Peu Menteur, la première, laquelle, malgré des phrases un peu limite ridicules comme Le feu rouge passe au vert, ce trottoir quelle galère, qui ouvre le morceau après une sublime intro de piano, bien touchante. La chanson se paie le luxe d'avoir un refrain tout simplement tuant (mélodiquement parlant), des nappes de synthés qui viennent embarquer l'auditeur. Avec un tel morceau, l'album s'ouvre idéalement. La suite est également fantastique, même s'il faut attendre le troisième titre pour avoir à nouveau un morceau aussi quintessentiel, Le Héros Déchiré. Non pas que Ici Repose soit moyenne, oh que non, mais elle est tout de même moins époustouflante que les deux chansons qui la sandwichent. Et la face A de se finir avec un Histoire De Vous Plaire qui associe divinement la voix hésitante, volontairement à côté de la plaque de Christophe (quand il prononce plusieurs fois Juste histoire de...vous plaire !!!, dans le final, c'est assez remarquablement peu en raccord avec la mélodie) et une mélodie inoubliable.
Réédition CD : photo issue de la même session que pour la pochette vinyle, mais cent fois moins belle (l'expression du regard de Christophe est ridicule)
La face B s'ouvre sur la chanson-titre, un classique parmi les classiques du chanteur, tellement majestueuse chanson que je me refuse d'en parler, ça serait l'écorner. J'ai déjà eu du mal à parler d'Un Peu Menteur et du Héros Déchiré. Saute Du Scooter, en revanche, est moins glorieuse, mais quand même sympathique. A partir de cette chanson, aucune n'atteindra les 3 minutes (la plus courte fait 2,10 minutes). La chanson parle d'un loubard sur sa bécane, et d'un autre gars, pas loubard, qui veut se la péter sur un gros cube, mais se fait foutre de sa gueule par le loubard. Musicalement, c'est très rock. D'ailleurs, j'ai oublié d'en parler avant, mais Le Beau Bizarre est totalement rock, pas d'ambiances pop, variété, glam, progressif ou autre. C'est du rock français. Dans ce disque, Christophe se met dans la peau d'un mec à la fois dandy et marlou, on a l'impression que l'album sort d'une banlieue parisienne mal famée, qu'elle provient de cette station de métro dont l'entrée est représentée sur la photo de pochette. Après Saute Du Scooter, on change radicalement de style avec Le Grand Couteau, chanson mélodique, admirable, douce, glauque aussi, une chanson aux paroles assez sinistres, interprétation idem, ce morceau laisse un profond sentiment de malaise, mais est, en même temps, une des plus belles réussites de l'album, dommage qu'elle ne dure pas plus de 2,10 minutes... Ce Mec Lou est une chanson plus tendue et rock sur un loubard imprévisible, un vrai fou, un récidiviste, un délinquant, contre lequel le narrateur met une jeune femme, Lou, en garde. C'est une très bonne chanson, même si certaines tournures de phrases semblent un peu téléphonées. Enfin, arrive l'unique chanson de l'album qui n'est pas signée du tandem Decout (paroles)/Christophe (musique), mais de Christophe (paroles) et André Demay (musique). Il Faut Oser Le Faire. Sous ce titre un peu téléphoné, aussi (les chansons de l'album n'ont pas toutes des titres remarquables, il faut le dire) se cache une assez bonne petite chanson, très courte (comme Le Grand Couteau) et achevant l'album sur une note assez légère.
Voilà donc ce qu'est Le Beau Bizarre : un des meilleurs opus de Christophe Bevilacqua, un album grandiose malgré de tout petits défauts (des paroles parfois un peu limite du hors-jeu, une durée trop courte (tout comme pour la majeure partie des morceaux, car je trouve qu'en revanche, Ce Mec Lou, Saute Du Scooter et Il Faut Oser Le Faire ont des durées assez idéales ; plus longues, elles auraient été un peu saoûlantes), et il faut se faire à la manière de chanter de Christophe ici. Mais malgré ces petits défauts (le plus important, pour moi, est sa durée de seulement 26 minutes...c'est limite si on ne peut pas caser trois fois l'album sur un CD !), Le Beau Bizarre est un classique, un mythe, un album grandiose, imparable, qui est devenu mon préféré du chanteur et celui que j'écoute le plus souvent, sa courte durée y est pour pas mal, d'ailleurs... Un des albums les plus essentiels du chanteur, qui, il me semble, en parlera assez souvent, à longueur d'interviews, comme étant un de ses plus importants. Dieu qu'il a raison !
FACE A
Un Peu Menteur
Ici Repose
Le Héros Déchiré
Histoire De Vous Plaire
FACE B
Le Beau Bizarre
Saute Du Scooter
Le Grand Couteau
Ce Mec Lou
Il Faut Oser Le Faire
Un Ferry à la française, mais version Marc Dorcel 1978 !
Je parle du look, hein ? cela ne doit pas empêcher les gens d'écouter ce très bon album.