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33 minutes et 5 secondes, pour 14 chansons, voilà ce que représente cet album sorti en 1980. C’est un disque totalement trippant, autant le dire tout de suite, le genre d’album qui, à condition d’être fan de punk-rock, vous sera rapidement indispensable. C’est le premier album des Dead Kennedys, un groupe punk californien, et il s’appelle Fresh Fruit For Rotting Vegetables. Il est sorti, comme vous pouvez le voir ci-dessus, sous une pochette incendiaire, véhicules de police en feu dans la nuit (photo prise au cours des émeutes du 21 mai 1979 à San Francisco, qui ont eu lieu suite à la faible condamnation que le meurtrier d’Harvey Milk, politicien gay, avait obtenue). De leur nom aux titres des morceaux, inutile de préciser que les Dead Kennedys, les Kennedy Morts, ne font pas dans la dentelle de Douvres de Calais. Le groupe est constitué de Jello Biafra (chant, concepteur, sous son vrai nom – Eric Boucher – de l’artwork), East Bay Ray (guitare, production), Klaus Flouride (basse, chœurs), Paul Roessler (claviers), Ted (batterie). 6025 (drôle de pseudo) joue de la guitare sur un morceau, Ninotchka joue des claviers sur quelques titres… Le chanteur, qui sera par la suite en conflit avec les autres membres du groupe pour des raisons de droits, avait tenté de devenir maire de San Francisco en 1979, et affichera toujours des convictions gauchisantes et provocatrices, qui se reflètent bien (surtout pour la provocation) dans ce premier album qui carbure à donf’ pendant 33 minutes qui n’auront jamais semblé aussi courtes.

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Verso de pochette (la photo ne représente pas le groupe)

S’achevant par une reprise parodique hilarante du Viva Las Vegas d’Elvis Presley (écrite par Mort Shuman et Doc Pomus), Fresh Fruit For Rotting Vegetables (‘Fruit Frais Pour Légumes Pourrissants’) est une claque de tous les instants. La seule chose à dire de négatif, dans un sens, réside dans le chant de Jello Biafra, assez chevrotant, comme si Julien Clerc faisait du punk-hardcore (j’exagère un peu, même si Biafra a une voix chevrotante quand même). Il faut du temps à s’y habituer. Mais quand on entend sa voix retentir, fièrement, au tout début de Kill The Poor (‘Tuez les pauvres’), la chanson ouvrant l’album, on se sent aussi frétillant que lui. L’album, grâce à Biafra et à ses textes sauvages, revendicatifs, méchants, cyniques, provocants et drôles (heureusement présents dans le livret), est une décharge électrique qui fait rire et frissonner en même temps. Les non anglophones parviendront quand même à traduire les titres des chansons, et à se demander, inquiets, de quoi elles parlent dans le détail : Kill The Poor (déjà traduite), I Kill Children (‘Je tue les enfants’), Holiday In Cambodia (‘Vacances au Cambodge’), Let’s Lynch The Landlord (‘Lynchons le propriétaire terrien’), Forward To Death (‘Jusqu’à la mort’), California Über Alles, Ill In The Head (‘Malade dans la tête’), Drug Me (‘Drogue-Moi’), Chemical Warfare (‘Guerre chimique’), When Ya Get Drafted (‘Quand tu est appelé sous les drapeaux’)… Evidemment, mais je me demande pourquoi je le précise, aucun répit ici, aucune chanson n’est douce, calme, apaisante ou apaisée. C’est du lourd, pendant un peu plus d’une demi-heure de folie furieuse. Les chansons sont courtes, allant de 1,20 minute pour la plus courte (Your Emotions, mais 6 chansons, en tout, n’atteignent pas 2 minutes de temps) à, et c’est vraiment le record du disque, 4,37 minutes pour la plus longue, Holiday In Cambodia (la deuxième plus longue est Kill The Poor avec 3,05 minutes, voyez l’écart).

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Les grandes chansons, classiques des Dead Kennedys, abondent : Kill The Poor, Chemical Warfare (avec une fausse fin irrésistible, je n’en dis pas plus), Let’s Lynch The Landlord, Viva Las Vegas dont rien que le son strident de guitare semble parodique, Drug Me et son refrain entêtant et limite psychédélique, et bien entendu California Über Alles, au titre germanophone provocant. Mais le sommet absolu est nettement Holiday In Cambodia, dont la longueur ne se fait absolument pas sentir (ce qui me donne à penser que certaines chansons de l’album, parmi les plus courtes, auraient sans doute pu être encore meilleures si elles avaient été plus longues, allez savoir ; mais il n’y aurait plus eu cette sensation d’urgence qui rôde sur tout l’album). Une chanson qui bute, réellement, paroles glauques (quand Biafra répête, dans le final, Pol…Pot, Pol…Pot, d’une voix menaçante, c’est à faire frémir), rythmique de folie, cette chanson est clairement l’hymne du groupe, devant California Über Alles qui est, elle, un peu plus connue (car sortie en single ; Holiday In Cambodia sortira en single aussi, en même temps...). La chanson (Holiday In Cambodia) deviendra une sorte d’hymne pour les mercenaires de tous poils, d’autres chansons seront, elles, hélas, récupérées par des extrémistes de droite (Kill The Poor, notamment), au grand dam du groupe, clairement pas de ce bord politique, bien au contraire. Mais ce qui est arrivé aux Dead Kennedys arrivera aussi, en France, aux Garçons Bouchers de François Hadji-Lazaro, c’est le côté provoc’, revendicatif, trash, hardcore du groupe qui veut ça… Le mieux, c’est d’ignorer ces cons de néos qui ont réutilisé des chansons certes trash mais pas conçues pour être prises au premier degré (quand Biafra chante I kill children/I love to see them die/I kill children/And make their mamas cry/Crush ’em under my car/I wanna hear them scream/Feed ’em poison candy/To spoil their Halloween dans I Kill Children, ne le croyez pas, quand même…). Sinon, même 32 ans après sa sortie (ça fera 32 ans en septembre, en fait), Fresh Fruit For Rotting Vegetables reste un classique absolu du punk-rock et du rock tout court. Un disque sorti, comme les autres albums du groupe, sur un label indépendant (Cherry Red), le côté trash et jusquauboutiste du groupe leur interdisant quasiment d’être signés sur de grosses majors. Ils ont failli aller chez Polydor peu après ce premier album, mais le nom de leur single Too Drunk To Fuck, sorti à cette époque (photo de Bukowski en pochette du 45-tours), dissuadera, comme c’est étrange, Polydor de les signer…

FACE A

Kill The Poor

Forward To Death

When Ya Get Drafted

Let's Lynch The Landlord

Drug Me

Your Emotions

Chemical Warfare

FACE B

California Über Alles

I Kill Children

Stealing People's Mail

Funland At The Beach

Ill In The Head

Holiday In Cambodia

Viva Las Vegas