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J'avoue : pendant un sacré bon moment, pendant des années, même, je n'ai pas aimé ce disque. Enfin, je ne le détestais pas, mais bon, son côté très direct, très simple, me rebutait un peu, surtout si on le comparait avec les précédents opus (du rock psychédélique très sombre ou, pour le quatrième album, du rock un peu chabraque, rempli de cuivres). Et puis, un jour, le déclic s'est fait, un sacré déclic qui a dû s'entendre jusqu'en Laponie. Et désormais, cet album est très important pour moi. Cinquième opus des Doors, sorti en 1970, Morrison Hotel est, lui, est un authentique album de rock pur et dur (et assez bluesy). Une sorte de retour aux sources pour la bande à Jim Morrison, un Morrison qui, au moment de l'enregistrement de l'album, n'en mène pas très large (soucis divers, judiciaires et privés, alcoolisme). Ce disque ne va pas forcément l'aider à aller mieux (de ce point de vue-là, Morrison Hotel ne fera rien, ni en bien, ni en mal), mais il va en tout cas complètement redorer le blason d'un groupe que l'on devait probablement déjà considérer comme un peu hors-jeu, en ce début de nouvelle décennie. Après tout, les deux précédents opus du groupe, Waiting For The Sun et The Soft Parade, s'ils se sont bien vendus, n'ont pas récolté de super bonnes critiques. Et entre temps, sont arrivés des groupes tels que Led Zeppelin, Deep Purple (qui a explosé à la face du monde en 1970), Creedence Clearwater Revival... La mode n'est plus au rock psychédélique, et les expérimentations cuivresques de The Soft Parade, bien que sympathiques (j'aime vraiment énormément cet album), n'allaient pas super bien aux Doors, qui les laisseront désormais à Chicago et Blood, Sweat & Tears.

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Bref, le groupe se sort les doigts et publie un pur disque de rock. Sous un titre éloquent et une pochette mythique, prise, alors que le gérant était temporairement absent (on lui demandera l'autorisation de prendre son établissement en photo, il refusa), par le photographe Henry Diltz, dans la vitrine d'un authentique hôtel de Los Angeles portant bel et bien le nom de Morrison Hotel, heureuse coïncidence. Au verso, la façade un peu aveugle d'un bar de Los Angeles, le Hard Rock Cafe, rien à voir avec la future hapine de restaurants des stars de Hollywood. Et à l'intérieur (pochette ouvrante), le groupe, adossé au comptoir du bar, bouteilles de bière en pogne. L'album s'appelle Morrison Hotel, mais chaque face porte un titre à part, "Hard Rock Cafe" pour la première, "Morrison Hotel" pour la seconde, et en réalité, officiellement, l'album porte ce double nom (Morrison Hotel - Hard Rock Cafe), c'est même indiqué au verso de pochette. Ce double nom, ces deux faces sous-titrées, c'est en réalité un gadget, car tout l'album sonne pareil : du rock efficace, bluesy, entrecoupé de quelques ballades bien senties. Parmi lesquelles Waiting For The Sun, à la base écrite pour l'album de 1968 qui lui doit son titre. Une pure splendeur, tout comme le délicat et hypnotique The Spy inspiré par les écrits d'Anaïs Nin, Indian Summer et le court (2 minutes) Blue Sunday. Notons d'ailleurs la courte durée de l'album, 37 minutes, ce qui est plus que les trois précédents opus, certes, mais tout de même un peu frustrant au vu de la qualité totale (rien n'est à jeter) que l'on y trouve. Même le morceau le moins époustouflant, Queen Of The Highway, est excellent. 

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L'album offre essentiellement du rock qui bute, et rien que le morceau d'ouverture suffirait à faire pâlir d'envie les autres groupes de rock qui en crêveraient de ne pas l'avoir écrit eux-mêmes : l'hymnes aux bikers Roadhouse Blues. Absolument jouissif avec son riff d'intro, son harmonica (joué par John B. Sebastian, des Lovin' Spoonfuls, qui est crédité sous le nom de John Puglese), son Morrison en grande, grande forme, cette rythmique d'enfer, ce solo de guitare inoubliable de Krieger (encouragé par Morrison, do it , Robbie !)... Un classique absolu du rock et du blues. Les autres morceaux rock sont au moins aussi efficaces : Peace Frog (riff de dingue qui servira pour le Fin De Siècle de Noir Désir) qui recycle un vieux texte poétique de Morrison sur les Indiens ; Maggie M'Gill, tuerie bluesy terminale ; Land Ho !, qui ouvre à la perfection la seconde face ; Ship Of Fools, qui achève idéalement la première ; You Make Me Real, baigné par un piano de bastringue tout simplement jubilatoire et un Morrison en pétard (sa voix devient plus rauque avec Morrison Hotel). La production de Paul A. Rothchild est parfaite ; de tous les albums des Doors, Morrison Hotel est, avec Strange Days et L.A. Woman, celui qui sonne le mieux. Cet album de pur rock, tentative totalement réussie, pour le groupe, de revenir aux bases (alors que dès le premier album, malgré une reprise d'un standard de blues, ils s'en éloignaient quelque peu !), est assurément un des meilleurs albums de 1970 et des années 70. Et des Doors aussi, évidemment. Indispensable !

FACE A (Hard Rock Cafe)

Roadhouse Blues

Waiting For The Sun

You Make Me Real

Peace Frog

Blue Sunday

Ship Of Fools

FACE B (Morrison Hotel)

Land Ho !

The Spy

Queen Of The Highway

Indian Summer

Maggie M'Gill