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La Mecque floydienne. Tout simplement. Ce neuvième album studio (je ne compte évidemment pas Relics dans le lot) du Pink Floyd est généralement le préféré des fans (sauf des inconditionnels absolus de la période Syd Barrett), et à l'écouter, on peut comprendre pourquoi. Jusqu'à ce que je découvre les albums de la période 1968/1970, Wish You Were Here, sorti en 1975, était mon grand préféré du groupe. Depuis, cet insigne honneur est réservé à Ummagumma, voire même à Atom Heart Mother, mais, croyez-moi, j'adore toujours autant ce disque de 1975 quand même, je ne saurais décemment vivre sans l'écouter au moins deux fois par mois, c'est une vraie bulle d'oxygène que ces admirables 44 minutes (pour 5 titres seulement). Wish You Were Here est un album mythique, un des sommets du rock progressif et du rock tout court, un disque emblématique qui sera un succès prodigieux (malgré une atmosphère pour le moins glaciale, sombre) et traumatisera encore une fois les fans du groupe, qui ne s'étaient, à l'époque, pas encore remis (le groupe non plus !) du succès monumental du précédent album, The Dark Side Of The Moon de 1973. C'est, en 1974, la première fois que le groupe ne sort pas d'albums en une année, depuis les débuts (un album par an, parfois deux - 1969, 1971 - depuis 1967, sans faute). Le succès de The Dark Side Of The Moon sera tellement gigantesque et inattendu (même si Rick Wright dira, par la suite, qu'en entendant le résultat final de l'album à Abbey Road en 1973, il savait que The Dark Side Of The Moon serait immense) que le groupe sera paralysé, créativement parlant, pendant plusieurs mois, faisant certes des concerts, mais n'enregistrant pas en 1973/1974 (enfin, si, un peu en 1973 : le projet Household Objects, qui ne se fera pas, et dont les bandes, apparemment, n'existent plus). Wish You Were Here a été enregistré courant 1975 (et est sorti en septembre de la même année).

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Recto de la pochette intérieure (vinyle)

A la base, le groupe préparait deux albums, pour lesquels ils avaient déjà de très longs titres : Shine On, You Crazy Diamond, You Gotta Be Crazy et Raving And Drooling. Pour les deux derniers, joués live en 1974 (comme Shine On, You Crazy Diamond d'ailleurs), ils deviendront, en 1977, respectivement Dogs et Sheep sur Animals. La très récente (sortie en novembre) réédition CD collector de Wish You Were Here (édition Experience, qui offre un CD bonus, et édition Immersion, coffret monstrueux avec plusieurs CDs, un DVD, un blu-ray, des affiches, etc) propose, sur un disque bonus (le même pour les deux éditions), des versions live captées à Wembley en 1974 de ces trois titres, plus une version alternative de Have A Cigar (chantée par Gilmour au lieu du folkeux Roy Harper), plus une version alternative, avec le violoniste français Stéphane Grappelli, de Wish You Were Here, plus un instrumental court, Wine Glasses, issu du projet Household Objects (un album inachevé que le groupe avait projet de faire et ne fera pas), et qui servira d'intro à Shine On, You Crazy Diamond par la suite. Comme Koamae (pour qui Wish You Were Here est le disque de chevet par excellence) l'a dit dans sa remarquable chronique de ce disque bonus, rien que ce disque bonus justifie l'achat du coffret collector Immersion Boxset, et ce, malgré un prix, évidemment, onéreux (une centaine d'euros). Je suis d'accord avec lui (je me suis procuré l'édition double CD Experience, en attendant de pouvoir me procurer le coffret).

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Verso de la pochette intérieure (vinyle)

Wish You Were Here (qui, selon Roger Waters - basse, chant - aurait du s'appeler Wish We Were Here, tant le groupe semblait absent, ailleurs, à l'époque de l'enregistrement - les séquelles du succès gigantesque du précédent opus, sans doute), est donc un chef d'oeuvre, et un disque culte. Sorti, de plus, sous une pochette imparable, une collection de photographies prises par Storm Thorgerson (du studio Hipgnosis, fameux designer des pochettes du groupe). L'album est, en vinyle, sorti sous une surpochette plastifiée noire (comme un sac) avec un autocollant au centre (illustration ci-dessous), illustration qui servira de pochette aux premières éditions CD (à l'époue où le groupe refusait encore de commercialiser ses albums sous ce format ; dès les années 90, ils autoriseront cela, et Wish You Were Here ressortira en CD, avec sa pochette initiale blanche). Sinon, les quatre photos (une sur le recto, une au verso, une sur la sous-pochette, et une autre à la fois sur la sous-pochette et sur une carte postale qui était glissée dans le vinyle) représentent chacune un des éléments : le feu sur la photo de recto, qui représente deux businessmen se serrant la main (un des deux est en feu) dans un des entrepôts des studios Warner, à Hollywood ; la terre sur la photo de verso, représentant un homme sans visage - sans corps en fait - en costard, dans le désert, avec un vinyle transparent en main et une valise à ses pieds (sur laquelle divers autocollants floydiens, notamment les deux qui étaient glissés dans le vinyle de The Dark Side Of The Moon, se trouvent), photo qui qera réutilisée pour le coffret Immersion ; l'air, sur la sous-pochette, avec ce foulard rouge volant entre les arbres ; et l'eau, avec la photo de carte postale, un nageur à moitié immergé dans une lac de montagne, sans aucune ride sur la surface de l'eau. Même le design est en conséquence : la photo de feu est brûlée sur un côté, il y à de la terre qui déborde en bas de l'image terrestre, la photo de l'air se gondole dans le vent, et on voit de l'eau couler en bas de la sous-pochette, là où la photo de l'eau est remise, avec les paroles. Quand le Floyd tient un concept visuel, il ne le lâche pas. Même le sticker de la surpochette (ci-dessous) est sur ce principe des quatre éléments !

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Surpochette plastifiée vinyle (aussi pochette de l'édition Experience et première pochette CD officieuse de l'album)

Musicalement, et au niveau des paroles, en revanche, on peut oublier les quatre éléments. Wish You Were Here, qui, selon Wright, fut entièrement construit sur les quatre notes de guitare de Gilmour sur Shine On, You Crazy Diamond (un thème fabuleux), est un disque sur l'absence, et, plus particulièrement, sur Syd Barrett. Ce fameux thème de quatre notes est d'ailleurs appelé le thème de Syd. La chanson parle de lui, le Diamant Fou qui brille, c'est lui, le You du titre de l'album aussi, c'est lui. Barrett, qui viendra leur rendre visite à Abbey Road en 1975, avec sur lui, excepté ses fringues, un sac contenant une brosse à dents, et qui leur demandera poliment quand ça sera à lui de jouer ses parties de guitare. Et qui, une fois que le groupe, poliment aussi, lui aura fait entendre ce qu'ils enregistraient et lui demandera s'il veut réécouter, leur dira le réécouter, pourquoi ? On vient de l'écouter, je crois. Syd était méconnaissable, bouffi, grossi, regard dans le vague, crâne rasé, amorphe, ailleurs. Waters dira ne pas l'avoir reconnu de prime abord, et avouera avoir fondu en larmes en se rendant compte de qui il s'agissait. Que Syd leur ait rendu visite au moment où ils enregistraient un disque dédié à son souvenir est une coïncidence assez troublante ; il aurait pu leur rendre visite pendant l'enregistrement de Meddle, d'Animals ou de The Dark Side Of The Moon, mais non, ce fut pendant celui de Wish You Were Here. Soudain, il était là, mais tout en n'étant plus là. Souvenir difficile et, en même temps, inoubliable pour le groupe.

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Carte postale glissée dans le vinyle

Tout l'album, donc, est triste, glacial, et parle de l'absence (de Syd et en général). Si Shine On, You Crazy Diamond (à la base en un seul bloc - d'ailleurs, la version présente sur le disque bonus dure 20 minutes en un seul morceau), scindé en deux parties de respectivement 13,30 et 12,20 minutes (soit quasiment 26 minutes en tout, ce qui en fait le morceau le plus long du groupe, dans un sens) ouvrant et achevant l'album, est une lente, puis énergique élégie consacrée à Barrett seul (You reach for the secret too soon, you cry to the moon), le reste de l'album aborde différents thèmes. La guerre et la solitude dans le grandiose, déchirant, mythique et quasiment acoustique Wish You Were Here, et le monde des affaires, du show-business sur Welcome To The Machine et Have A Cigar. La première (Welcome To The Machine) est un cauchemar industriel absolu qui, enfant, me terrorisait : les sonorités industrielles, la voix dézinguée, modifiée par un vocoder de Gilmour, me faisaient frissonner. Le morceau, 7,25 minutes en tout, est une réussite, qui a cessé de me faire peur à partir du moment où j'ai grandi (j'ai découvert l'album à 10 ans environ, avec le vinyle paternel), mais il conserve une grande part de malaise. Les paroles sont cyniques (You bought a guitar to punish your ma, and you didn't like school, and you know you're nobody's fool, so welcome to the machine), le chant inhumain est pile-poil ce qu'il fallait, et le final (une sorte de sirène d'alarme allant dans les aigus, puis un bruit de foule en délire) est la touche space supplémentaire qui achève la face A avec originalité. Have A Cigar, quant à elle, chanson la plus courte (5,05 minutes) ouvrant la face B, est un morceau unique dans le répertoire du groupe, car il est chanté ni par Gilmour (pourtant, dans la version présente sur le disque bonus, c'est lui qui chante, et c'est pas la même chose), ni par Waters, ni par Wright, ni même par Mason (et ne parlons évidemment pas de Barrett, voulez-vous), mais par un étranger au groupe, le chanteur folk anglais Roy Harper (ami du groupe et de Led Zeppelin ; c'est lui qui a inspiré le titre de leur Hats Of To (Roy) Harper en 1970, je parle ici de Led Zeppelin). Sa voix rauque, chaude, est parfaite pour ce morceau qui, là aussi, défonce le show-business. La chanson est construite du point de vue d'un mogul, d'un businessman avide de pognon qui parle au groupe et leur dit on va se faire un pognon d'enfer avec vous, les mecs. Oh by the way, which one's Pink ? (ah, au fait, c'est qui, Pink ?), ligne de texte de la chanson, deviendra, en raccourci (Oh By The Way), le nom du box-set de viyl-replicas sorti en 2007 !

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Verso de pochette vinyle

Quant à Shine On, You Crazy Diamond... Indescriptible. J'ai envie de fermer ma gueule, là, pour le compte. Juste dire que la première partie (13,30 minutes) est meilleure que la deuxième de 12,20 minutes, qui, il faut le dire, se traîne un petit peu en longueur (mais rien de grave du tout). L'intro de la première partie, et de l'album, avant que le thème de Syd ne surgisse du néant, est donc ce Wine Glasses dont j'ai parlé tout à l'heure, en version remodelée. Une intro glaçante, une sorte de danse des morts qui fout le frisson et, en même temps, enivre, envoûte. Une fois le disque lancé, difficile de faire autre chose que d'écouter, passivement, la musique (impossible de lire, de surfer sur le Net, de discuter avec un pote, de manger, de bosser, de regarder la TV en sourdine, de baiser pendant ce temps ; n'écoutez pas cet album en voiture si c'est vous qui conduisez), et rien que cette intro en est la preuve. Dès que le morceau s'emballe, dès l'arrivée, à la moitié environ, de la voix de Waters, on est déjà dans le trip. Et ça devient de plus en plus immense. Au point que les 13 minutes passent comme 13 secondes. Et, comme je l'ai dit, dans la deuxième partie qui achève l'album, les 12 minutes semblent plus longuettes. Il n'y à, dans la deuxième partie, qu'un court paragraphe de paroles, le reste est une lente conclusion (on entend vaguement le thème de See Emily Play, morceau de la période Barrett, joué au clavier, dans la toute fin, dernière allusion/hommage du groupe envers Syd sur le disque), remarquable mais, pour chipoter, quand même moins grandiose que le reste de l'album. Mais, oui, je chipote comme un malade, là... Car, dans sa totalité, ce disque est UN PUTAIN DE GRAND MONUMENT DE L'HISTOIRE DU ROCK PROGRESSIF ET DU ROCK TOUT COURT. Ouf, ça y est, je l'ai dit.

FACE A

Shine On, You Crazy Diamond (Part 1)

Welcome To The Machine

FACE B

Have A Cigar

Wish You Were Here

Shine On, You Crazy Diamond (Part 2)