Avec The Man Who Sold The World en 1970, Bowie posait les premières bases de son futur style, de la pochette (le représentant en robe masculine, cheveux longs) aux morceaux. Tout n'était pas parfait, loin de là, mais on commence quand même, rétrospectivement, à voir le Bowie glam arriver. Rétrospectivement, car comment s'en douter, en 1970 ? En plus, à cette époque, Bowie n'est encore rien, ou presque, il commence tout juste à se faire connaître ; la chanson Space Oddity, en 1969, à certes cartonné (sortie, de plus, au moment de l'alunissage d'Armstrong, Aldrin et Collins, bonjour l'actualité), mais pour tout le monde ou presque, c'est un coup d'essai pas transformé, un coup de bol, un one-hit-wonder que ce Bowie. En 1971, il va commencer à mettre pas mal de monde d'accord sur un fait non négligeable et dont la justesse n'est pas négociable : il est un putain de génie de mélodiste et d'auteur. Son troisième vrai album sort, il s'appelle Hunky Dory (ce qui, en argot, signifierait à peu près 'comme sur des roulettes', 'au poil', ou bien encore 'nickel'), et de sa pochette magnifique sur laquelle Bowie imite Marlène Dietrich à ses 11 chansons (dont 10 signées Bowie), c'est un régal de tous les instants, 41 magistrales minutes sur lesquelles apparaissent enfin, au complet, les futurs Spiders From Mars, le groupe de Bowie quand il sera Ziggy Stardust, le groupe glam de Bowie. C'est à dire, Mick Ronson (guitare, choeurs, arrangements, mellotron), Mick 'Woody' Woodmansey (batterie) - qui, tous deux, étaient déjà sur le précédent album -, Trevor Bolder (basse, trompette). Et, aussi, un invité de marque, Rick Wakeman (piano), futur claviériste de Yes. Bowie tient la guitare, les saxophones, et un peu de piano (sur la pochette il indique qu'il joue les parties de piano les plus faciles à jouer, car il dit ne pas maîtriser cet instrument - inability). L'album est produit par Ken Scott et The Actor (c'est ainsi qu'il se décrit sur la pochette) Bowie.
Hunky Dory est un album incroyable. Un album parfait, offrant, donc, 10 chansons signées Bowie, et une qui, elle, est une reprise (d'une chanson écrite par Paul Williams, futur Swan de Phantom Of The Paradise), à savoir Fill Your Heart, qui ouvrait la deuxième face avec légèreté. Cette unique reprise est probablement le morceau le moins marquant de l'album, mais reste tout de même très bon (à noter qu'en vinyle, je dis ça parce que je l'ai, ce morceau et le suivant, Andy Warhol, étaient regroupés sur une seule plage audio de 7 minutes, on le voit aux sillons ; idem pour Oh ! You Pretty Things et sa suite Eight Line Poem, d'ailleurs ; bref, en vinyle, officiellement, il y à 9 plages audio au lieu de 11 !). Mais le reste est démentiel, et on dénombre pas moins de 7 grandes chansons bowiennes, 7 immenses classiques, parmi ces 11 titres. Le moins connu est Andy Warhol (avec son introduction parlée où on entend Ken Scott et Bowie prononcer le nom de Warhol ; Scott le prononce mal, et Bowie le reprend, en le prononçant correctement, puis Ken Scott lance le morceau), chanson à moitié flamenco (la guitare) que Warhol dira ne pas avoir aimée lors de son écoute, face à Bowie. Selon la légende, les deux hommes se seraient regardés longuement après l'écoute, puis Warhol aurait dit à Bowie J'aime vos chaussures, et les deux hommes auraient parlé sur ce sujet pendant quasiment une heure ! Mais Warhol pensera (à tort) que la chanson se moquait de lui et de son apparence physique. Mais Bowie a une vraie admiration pour Warhol. Il en a aussi pour Bob Dylan (Song For Bob Dylan, autre chanson biographique, très belle, mais ne faisant pas partie des 7 classiques) et Lou Reed (Queen Bitch, une autre des 7 grandes chansons de l'album, chanson au riff bien heavy, qui parle aussi bien de l'ex-leader du Velvet Underground que de Bowie lui-même, en fait).
Dos de pochette
Ensuite, l'album offre des chansons littéralement intouchables, tellement immenses que l'achat de l'album se justifie pleinement de par leur présence dessus : Changes, Oh ! You Pretty Things (qui parle de l'homo superior, le Surhomme cher à Nietzsche, encore une fois, même si c'est une allusion légère) et sa moins connue suite Eight Line Poem - bien nommée, car ne comportant en effet que huit lignes de texte, sur un fond de piano discret - , et Life On Mars ?, chanson imparable s'il en est, composée pour rendre hommage à Frank Sinatra (au dos de la pochette, la mention inspired by Frankie est visible), chanson juste surpuissante, sur laquelle la voix de Bowie, dans les refrains (As I asked her to focus on... sailors fighting in the dance hall, oh ! man, look at those cavemen go, it's the freakiest show...), est belle à faire trembler le plus costaud d'entre vous. Une chanson mythique dont on ne se lassera jamais, une de ses plus belles. En général, pas que sur Hunky Dory. L'album commence franchement bien, rendez-vous compte, Changes, Oh ! You Pretty Things et Life On Mars ? (oui, je sais, il y à un autre titre entre ces deux dernières, mais j'ai quasiment pris l'habitude de considérer Eight Line Poem comme partie intégrante de Oh ! You Pretty Things), en ouverture d'album ! Et ce qui est génial, c'est que les deux morceaux restants de la face A sont également sensationnels. Kooks est une belle ballade sous influence Neil Young (sauf la partie de trompette de Trevor Bolder) qui fut écrite par un Bowie venant d'apprendre la naissance de son fils Zowie (futur Duncan Jones, réalisateur, notamment, de Source Code ; Zowie demandera et obtiendra, à sa majorité, l'autorisation de changer de prénom, car Zowie, ça le faisait pas trop ; Jones est le vrai nom de famille de Bowie), et qui écoutait, à ce moment, un album du Loner. La chanson parle du couple de parents que forment David et Angela Bowie, une belle chanson douce, agréable, qui inspirera son nom à un groupe de rock récent (The Kooks).
Et enfin, Quicksand. Chanson mémorable, douce, étrange, ésotérique, musicalement sensationnelle, une des plus longues de l'album avec 5 minutes (battue de 20 secondes par The Bewlay Brothers), elle achève la face A avec beauté. Malgré des paroles assez glissantes (comme les sables mouvants du titre, ah ah ah), malgré des sujets abordés assez limite, douteux : la Golden Dawn, l'occulte, le paganisme, Aleister Crowley, l'aryanisme, le mythe nietzschien du Surhomme... Tants de sujets qui fascinaient Bowie à l'époque (The Supermen, The Width Of A Circle) et qui lui causeront quelques légers soucis par la suite. Quicksand cite Aleister Crowley, la Golden Dawn (société secrète occulte dont a fait partie Crowley) dès sa première ligne, et si la chanson parle légèrement, à un moment donné, de Brigitte Bardot, elle cite, quand même, Himmler. Et la Garbo citée n'est pas l'actrice suédoise Greta, mais Joan Pujol i Garcia, un agent double qui bossait, pendant la Seconde Guerre Mondiale, pour les Nazis, sous le nom de code de Garbo... Quicksand, avec ses sujets douteux, est une des chansons les plus ésotériques et troublantes de Bowie. Un Bowie définitivement attaché à l'occulte à l'époque, qui posera en sphinx pour une série de photos dont deux sont dans le livret CD de l'album (voir plus haut). Regardez bien son look : nu (sauf un slip rouge) sous un pagne, avec un attirail ésotérique et des postures éloquentes, il ressemble étonnamment à certaines photos d'Aleister Crowley en tenue cérémoniale... Weird !! Reste enfin à aborder le reste de l'album, ce qui a déjà été fait plus haut, sauf pour une chanson, la dernière, The Bewlay Brothers, 5,25 minutes imparables, étranges, s'achevant sur un effet de voix déformée assez sombre (même effet que pour une ancienne chanson de Bowie, The Laughing Gnome, mais là, l'effet était comique). La chanson semble parler de Bowie et de son demi-frère schizophrène Terry, qui était interné dans un asile. Bowie a déjà plus ou moins parlé de ça dans All The Madmen, il en reparlera par la suite, de temps à autre, mais de moins en moins souvent (Jump They Say, fait après le suicide de Terry). The Bewlay Brothers est une chanson mémorable, et même la plus belle de tout Hunky Dory, devant Life On Mars ?, Quicksand, Changes... Selon Bowie, la chanson n'a pas vraiment de sens. Disons plutôt qu'elle en a sans doute trop !!! Une pure merveille, en tout cas, qui achève l'album en beauté.
Hunky Dory est donc une réussite absolue, un chef d'oeuvre total, le premier de Bowie. La suite de sa carrière sera bluffante, si on excepte Diamond Dogs. Bowie va raccourcir ses cheveux, les teindre en rouge, s'acheter des platform boots et des Doc Martens, virer totalement glam, renommer ses musiciens les Araignées de Mars et devenir Ziggy Stardust. Mais ça, c'est une autre histoire, que j'ai abordée ici dernièrement, par ailleurs. Hunky Dory est, quant à lui, un disque tellement beau, tellement grandiose, que pour citer Jérôme Soligny, journaliste/auteur de chansons/écrivain/spécialiste es Bowie (et un de ses amis, il me semble), le posséder, rien que le posséder, avant même de l'écouter, suffit au bonheur. Enfin, il faut quand même l'écouter, hein, ne vous contentez pas de l'acheter et de le ranger dans votre discothèque !
FACE A
Changes
Oh ! You, Pretty Things
Eight Line Poem
Life On Mars ?
Kooks
Quicksand
FACE B
Fil Your Heart
Andy Warhol
Song For Bob Dylan
Queen Bitch
The Bewlay Brothers