Jethro Tull, groupe dont le nom vient d'un homme, un agronome ayant, en 1701, inventé le semoir, Jethro Tull, donc, est un des groupes les plus mal-aimés de l'histoire du rock, aux côtés de Yes, Suicide, Emerson, Lake & Palmer et les Eagles. Pour Suicide, on sait pourquoi : clairement pas commercial et très difficile d'accès, leur musique choque, n'est pas faite pour plaire, ainsi que le comportement de ses deux membres ; pour les Eagles, c'est à caue de leur côté trop pop, Hotel California, ce genre de choses, ça ne plait pas aux rockeurs, la pop à outrance, le succès monstrueux de la sorte, etc ; pour Yes et ELP, c'est parce que ce sont deux groupes de rock progressif (déjà) très caricatural, avec lyrisme, utilisation de musique classique, morceaux de 20 ou 30 minutes, etc ; mais à côté de Jethro Tull, ce n'est rien, peanuts. Jethro Tull, lui, est un groupe bizarre. A la base, ce groupe anglais faisait du hard-blues-rock psychédélique à la Cream. Puis, ils changent un peu d'optique : rock un peu folk, un peu heavy. en 1970, avec leur troisième album (Benefit), ils passent clairement au progressif, tout en continuant de faire de la musique un peu folk. En 1971, leur quatrième album va tout leur apporter : le succès, la renommée, le statut culte, un chef d'oeuvre qui va dès lors se classer dans toutes les listes des meilleurs albums de l'histoire, etc. Ce disque, c'est Aqualung. Le groupe est alors constitué de Ian Anderson (chant, flûte, guitare acoustique), Martin Barre (guitare), Jeffrey Hammond-Hammond (basse, choeurs), John Evan (claviers), Clive Bunker (batterie, percussions). L'album est produit par Anderson et Terry Ellis, et a été enregistré entre décembre 1970 et février 1971 aux studios Island de Londres (Led Zeppelin, dans le même studio, à la même période, enregistrait des morceaux pour leur Album Sans Nom).
Je viens de décrire Aqualung comme étant un chef d'oeuvre. Je dois ici préciser que c'est ce que pas mal de monde dit au sujet d'Aqualung, en fait, mais que je ne suis pas totalement de cet avis. Sorte de clé pour entrer dans l'univers très étrange du Tull (qui, par la suite, alternera entre albums de rock progressif, albums de hard-rock ou albums de folk-rock, ou de folk tout court), Aqualung est un disque qui, en 43 minutes (11 titres), est, il est vrai, assez mythique. Les fans de rock progressif, généralement, en parlent comme d'un des meilleurs exemples du genre. Il est vrai que ce disque est bon, voire même très très bon. Mais il possède quand même une ou deux chansons assez moyennes, est assez surestimé dans l'ensemble, et, pour être honnête, de plus, je n'ai jamais aimé ce groupe, si on excepte quatre albums : Thick As A Brick (1972), Minstrel In The Gallery (1975), Songs From The Wood (1977), et cet Aqualung, donc. Lequel, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est pas un album-concept (Ian Anderson, chanteur, nie clairement que l'album soit conceptuel), malgré le fait que le personnage d'Aqualung (un clodo libidineux et pédophile, atteint d'une maladie des poumons et ayant sans cesse la morve au nez) apparaisse dans les deux premières chansons, et malgré, aussi, le fait que les deux faces de l'album portent des titres (Aqualung et My God). Malgré, aussi et enfin, qu'un thème survole pas mal de chansons de l'album : une critique féroce, sanglante, de l'Eglise Protestante Anglicane (My God, Hymn 43). On trouve, aussi, un texte signé Anderson, sur la pochette, texte situé juste en-dessous, et dans lequel il critique aussi l'Eglise, et parle d'Aqualung. Mais l'album, en fait, n'est qu'une collection de chansons alternant plusieurs genres (rock, folk-rock, hard-rock, prog-rock).
Texte situé dans la pochette interne
Un bel umbroglio que cet album, en somme. On passe d'un rock assez heavy (les deux premières chansons : Aqualung, qui est un classique absolu aux multiples changements de rythmes parlant de ce fameux personnage de SDF vicelard, et Cross-Eyed Mary, chanson sur une collègienne se prostituant, et qui est également un classique, qu'Iron Maiden, bien des années après, reprendra) à une folk très douce, avec flûte, sur les trois morceaux suivants (le très court Cheap Day Return qui donne envie de s'acheter un petit cottage dans la douce campagne anglaise ; Mother Goose qui est très jolie, douce ; et Wond'rin' Aloud, également très courte, trop courte (moins de 2 minutes, comme Cheap Day Return et, plus loin, Slipstream), et franchement belle), avant que la face A ne se finisse, toujours avec de la flûte (mais sur un tempo plus enlevé), par un Up To Me que je juge être le point faible de l'album (la flûte, dont Ian Anderson abuse ici, en devient énervante, saturée, de plus par un usage trop fort). Cette face A, dans l'ensemble, est une réussite quasi-totale, s'il n'y avait, donc, Up To Me, mais je chipote un peu sans doute (n'empêche, je déteste ce morceau).
Dos de pochette
La face B, elle, s'ouvre sur le meilleur morceau de l'album, My God, 7 minutes de pur bonheur tétanisant de férocité anticléricale. Solo de guitare, de flûte, claviers, chant acharné de Ian Anderson (parfois doucereux, parfois angoissant), paroles totalement sanguinaires (The bloody Church of England, in terms of History, request Your Holy Presence at the vicarage for tea ou bien encore le passage sur le Plastic crucifix, He's got 'em fixed, sont bien teigneux), changements de rythmes, ambiance très pesante, lourde de sens... Un sommet, à écouter plusieurs fois. Suivi par un Hymn 43 également très anticlérical, mais en moins abouti (un bon morceau, mais franchement pas un immense morceau), puis le définitivement trop court Slipstream, lequel, sans cela, est franchement excellent. Puis, arrive le gros morceau considéré comme un des sommets du hard-rock, Locomotive Breath. Paroles à la con (mais on s'en fout), et gros, gros riff, pour un morceau qui aurait pu être immense, chanté par Ian Gillan, Robert Plant ou Ozzy Osbourne. Mais Ian Anderson ne convainc par en chanteur de hard. En revanche, le guitariste Martin Barre, lui, convainc totalement ! Un morceau un peu surestimé, mais cependant très bon. Meilleur est le long Wind-Up final, qui ramène l'album à la sauce progressive avec changements de rythmes, etc... Aqualung se finit comme il commence, en beauté.
Intérieur de pochette
Néanmoins, je ne suis pas aussi fan de l'album qu'il le faudrait probablement. La faute à la voix de Ian Anderson, parfois assez horripilante (personnellement, quand il annône des Hey, Aqualung en fin de couplet, dans la chanson-titre, à la longue, ça m'énerve), la faute, aussi, à un usage assez abusif, parfois, de la flûte traversière (Up To Me), usage qui n'est cependant pas abusif sur My God, où le solo de flûte est, il faut bien l'avouer, du niveau de celui du Firth Of Fifth de Genesis (1974). Mais Aqualung est quand même un très très bon album de rock progressif, considéré comme un sésame, une clé, une porte d'accès pour découvrir ce courant musical assez mal-aimé (sauf de ses amateurs, évidemment ; mais rares étaient les rockeurs pur à apprécier le rock progressif, et de nos jours, Yes, Genesis ou Jethro Tull semblent appréciés seulement des plus anciens). Oui, l'album est un essentiel pour fan de prog-rock, et un disque franchement intéressant, 43 très bonnes minutes. Mais, aussi, je pense qu'il existe une fuckitude de meilleurs albums, d'albums plus importants et réussis qu'Aqualung. Rien que chez le Tull, je pense que Minstrel In The Gallery, de 1975, est supérieur. Ce qui n'empêche pas Aqualung de valoir le coup, même s'il peut énerver, insupporter, lasser, à la longue. Preuve qu'il n'est sans doute pas si immense que ça, car les grands, grands albums, les monstres sacrés, les albums intouchables, parfaits, ne sont généralement pas de ceux qui lassent au bout d'une dizaine d'écoutes, eux. Bref, un disque à écouter, à avoir, même, mais le chef d'oeuvre absolu ? Non, franchement, non, c'est juste un très bon album, et c'est déjà pas mal !
FACE A (Aqualung)
Aqualung
Cross-Eyed Mary
Cheap Day Return
Mother Goose
Wond'rin' Aloud
Up To Me
FACE B (My God)
My God
Hymn 43
Slipstream
Locomotive Breath
Wind-Up