On ne pourra pas ranger cette pochette parmi les plus belles du rock, mais j'avoue malgré tout que je l'adore, qu'elle exerce une certaine fascination chez moi. Pour moi, ces deux boules de billard, une jaune et une rouge, photographiées (par Linda McCartney) sur fond bleu nuit/noir, et ce lettrage qui utilise pas mal ces motifs de boules, forment un des artworks les plus représentatifs et cultes des années 70. Oui, la pochette de Venus And Mars, sorti en 1975, quatrième album des Wings et sixième album de Paul McCartney depuis la fin des Beatles, est mythique. Le contenu musical de cet album aussi, ce qui tombe franchement bien. Si Band On The Run (le précédent opus) est mon préféré de Macca, toutes périodes confondues, Venus And Mars n'est vraiment pas loin derrière, et a même souvent failli le devancer. On parle ici d'un grand, d'un très grand album de pop-rock, c'est d'ailleurs dans cette catégorie, et pas dans la catégorie 'rock classique', que j'ai décidé de le ranger à l'occasion de cette nouvelle chronique concernant l'album, que j'avais déjà abordé ici deux fois (ne cherchez plus les anciennes chroniques : celle-ci la remplace). Avant de continuer à parler de l'album, un peu de rappel sur le contexte. En 1973, après le carton plein de leur single Live And Let Die (bande-son d'un des meilleurs opus de la saga James Bond, sur une musique orchestrée par George Martin, le single excepté, signé Macca et sa femme), les Wings deviennent hype. Il était temps, mais ça y est. Un peu de drame n'est jamais mauvais pour l'ego : à quelques jours du départ du groupe, en août, pour le Nigeria, où le futur nouvel album doit être enregistré (pourquoi cette destination ? Originalité, tout simplement...et sans doute aussi, un peu, le fisc britannique), deux des membres du groupe, Denny Seiwell (batterie) et Henry McCullough (guitare), annoncent à Macca qu'ils quittent les Wings et n'iront pas au Nigeria. Le groupe devient un trio (les Macca et Denny Laine), l'album est enregistré dans des conditions parfois éprouvantes, il sera fini à Abbey Road et sortira en décembre 1973. Band On The Run, écrin à hits, chef d'oeuvre de volonté humaine, est un carton plein. Plein à ras-bord, même.
Mais en tant que trio, les Wings se sentent fragiles (Macca a dû jouer toutes les parties de batterie, pas mal de guitare en plus de celle de Laine, plus évidemment les basses, et un peu de claviers, Linda en joue, mais n'a jamais été une musicienne de grand niveau, paix à son âme et malgré tout le respect que j'ai pour elle). Il faut donc recruter. En 1974, alors que les singles de Band On The Run (la chanson-titre, Jet, Mrs. Vandebilt) cartonnent, le groupe recrute, donc. Un guitariste et un batteur. Jimmy McCulloch sera le guitariste. Mort en 1979 d'une overdose, le bonhomme, au look de hardos (cheveux longs, physique longiligne, sourire contagieux), est un excellent gratteux, meilleur que le pourtant très bon Denny Laine, et le son des Wings va se transformer. Le batteur, ça sera Geoff Britton, un rouquin. Tels quels, les Wings enregistrent, en 1974, un single qui va cartonner (Junior's Farm), du rock qui bute son caniche royal avec un pétard du 14-Juillet. On ne s'en lasse pas, de cette chanson. Les sessions de Venus And Mars vont démarrer peu après, à la Nouvelle-Orléans (My Carnival, chanson festive sur le carnaval local, enregistrée durant les sessions, présente en bonus-track CD, mais qui ne sortira, avant ça, qu'en face B de single dans les années 80, est un beau représentatif de la dépiction de l'atmosphère louisianaise) et à San Francisco, et s'étendront durant toute l'année (Macca en profitera pour rendre visite à Lennon, durant cette période). Britton, au caractère bien trempé, ne s'entendra pas bien avec le reste du groupe, McCulloch surtout, et sera cependant assez rapidement dégagé (il a mis en boîte, avec le groupe, sur l'album, Love In Song, Letting Go et Medicine Jar) et remplacé par un Américain du nom de Joe English.
Un Britannique nommé Britton est remplacé par un Américain nommé English, ça ne s'invente pas. Le nouveau-venu va s'intégrer à merveille et le reste de l'album est mis en boîte sans soucis particuliers. L'album sort en 1975 sous une pochette représentant donc deux boules, jaune (Vénus) et rouge (Mars). Pochette ouvrante avec une photo du groupe dans le désert (et deux boules de billard, jaune et rouge, dans le sable), paroles au dos de la pochette, sous-pochette illustrée d'une chiée de variantes des boules, et un poster représentant le groupe au milieu de carnavaliers à la Nouvelle-Orléans, tel était le packaging de cet album assez généreux (43 minutes pour 13 titres), encore un écrin à hits pour le groupe, renommés Wings et non plus Paul McCartney & Wings (plus besoin de miser sur le nom du bassiste, le groupe est désormais bien installé). Quatre chansons, tout du long de 1975, sortiront en singles et, sauf une, marcheront super bien : Listen To What The Man Said (enregistée à la Nouvelle-Orléans, ce qui s'entend), Magneto And Titanium Man, Venus And Mars/Rock Show et Letting Go (qui, elle, curieusement, ne marchera pas très bien, son côté sombre ayant sans doute nui à son succès, c'est pourtant une des meilleures de l'album). Une chanson (Medicine Jar, sur la dépendance aux drogues) est interprétée par Jimmy McCulloch, qui, ironie de l'histoire vu le sujet de la chanson, était accro à l'héroïne. Une autre chanson, Spirits Of Ancient Egypt, est interprétée par Denny Laine. Un cap sera franchi avec l'album suivant (j'y reviendrai en le réabordant demain), mais avec Venus And Mars, on commence à arriver à un stade démocratique, Macca n'est plus le seul à chanter. C'est cependant lui qui chante sur 90% de l'album, donc on se calme. L'album est un savant mélange de genres comme j'adore, on passe d'une courte intro acoustique de toute beauté (Venus And Mars) à du rock de stade bien tuant et riche en survoltage (Rock Show, qui cite Jimmy Page et divers lieux de concerts : le Madison Square Garden, le Hollywood Bowl et le Concertgebow d'Amsterdam) en une seconde tout simplement jubilatoire. Morceau démentiel avec, en final, le piano d'Allen Toussaint, de Little Feat. Puis on a une belle ballade semi-acoustique sur laquelle la guitare sonne magnifiquement bien (Love In Song, dont je raffole), puis un petit délire à l'ancienne, gentiment rétro, You Gave Me The Answer. Magneto And Titanium Man, pur exemple de pop décomplexée (paroles très connes), suit, et on enchaîne, histoire de bien finir la face A, sur le très bluesy, lourd et sombre Letting Go, qui bénéficie de cuivres parfaits en contrepoint.
Venus And Mars (Reprise) ouvre la face B. Plus longue que la première version, elle est tout aussi belle et acoustique. Elle s'enchaîne, d'une manière très naturelle et fluide, à Spirits Of Ancient Egypt, chantée par Laine, aux paroles assez connes, mais on s'en fout. Musicalement, à défaut d'être le sommet de l'album, c'est une excellente petite chanson pop au refrain orientalisant (les vocalises) et efficace. Medicine Jar (écrite par McCulloch) est donc interprétée, comme je l'ai dit plus haut, par Jimmy McCulloch, qui chante super bien au demeurant. Une chanson très rock (guitares mordantes) baignée de quelques cuivres efficaces mais ce sont surtout les guitares qui se font entendre. Très très bonne chanson qui ne dépare pas sur l'album. Call Me Back Again, très soul/blues, avec des cuivres en pagaille. Une chanson efficace, pas ma préférée de l'album (sans doute un petit peu longuette), mais elle offre des atmosphères encore plus variées sur l'album (pop, folk, rétro, rock, blues, soul), on ne s'en plaindra pas. Listen To What The Man Said est un régal pop qui cartonnera en single (sans doute le plus cartonneur de l'album), une mélodie inoubliable. Puis l'album se finit sur un doublé gagnant : la ballade mélancolique Treat Her Gently/Lonely Old People, sublime et méconnue chanson sur la solitude des personnes âgées, au refrain déchirant (Here we seat, two lonely old people, waiting the time of day/Here we seat, out of breath, and nobody asks us to play). Puis Crossroads Theme, instrumental d'une minute reprenant le thème d'une série TV bien connue en Angleterre (Crossroads), série TV qui, par la suite, utilisera cette version Wings (un solo de guitare) au lieu de sa version propre. Sublime version d'achever un album que je n'hésite pas à qualifier de parfait (aucune mauvaise chanson, comme pour le précédent). Et comme je l'ai dit plus haut, si Band On The Run est mon préféré, Venus And Mars n'est vraiment pas loin derrière. On notera pour finir que cet album n'est pas paru sur Apple Records, mais sur le label américain Capitol (qui avait publié les albums des Beatles aux USA). Dès l'album suivant, Macca et ses Wings reviendront sur le label EMI (Apple a fermé en 1975). Quand Macca publiera son best-of des Wings en 1978, Wings Greatest, aucune chanson de Venus And Mars ne s'y trouvera, pour des raisons de droits, vu le label différent. Ceci pour expliquer pourquoi le best-of de 1978, qui vient d'être réédité en CD et vinyle en mai dernier (je ne vois pas l'intérêt, vu que d'autres best-ofs plus complets et récents existent), ne possède rien de Venus And Mars, malgré que l'album de 1975 ait été un des plus gros succès du groupe !
FACE A
Venus And Mars
Rock Show
Love In Song
You Gave Me The Answer
Magneto And Titanium Man
Letting Go
FACE B
Venus And Mars (Reprise)
Spirits Of Ancient Egypt
Medicine Jar
Call Me Back Again
Listen To What The Man Said
Treat Her Gently - Lonely Old People
Crossroads Theme