1973 était une année charnière, pour Bowie. Cette année-là, il a sorti Aladdin Sane, un de ses albums les plus mythiques et appréciés des fans, sorte de version heavy glam de son The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars monumental de l'année précédente. Bowie en parlera, de cet Aladdin Sane enregistré aux USA, comme du carnet de route de Ziggy Stardust découvrant les Etats-Unis, ce qui n'est pas faux. L'album est sorti, de plus, sous une pochette totalement mythique, qui accentue son côté légendaire. Plus tard dans l'année 1973, il enregistre, au Château d'Hérouville (en France, donc), un disque court (33 minutes) et remarquable entièrement constitué de reprises de chansons anglaises de la période Swingin' London (années 60). L'album, qui sera son dernier opus avec son groupe les Spiders From Mars et son adieu au glam-rock, s'appelle Pin Ups, et sera moyennement accueilli, à cause du fait qu'il s'agit d'un album de reprises. Entre les deux albums, Bowie est en tournée, et il achève d'ailleurs cette tournée par un concert devenu mythique, fait le 3 juillet à l'Hammersmith Odeon de Londres. Au cours de ce concert, qui sera enregistré et filmé par D.A. Pennebaker (et qui sortira dix ans plus tard en album et film : Ziggy Stardust & The Spiders From Mars), Bowie donne tout, et, à la fin, à la toute fin, juste avant d'entonner un Rock'n'Roll Suicide grandiose, il annonce que ce concert est le dernier de la tournée, et aussi le dernier qu'il fera jamais. Bref, il tue Ziggy sur scène (le choix de la chanson finale est éloquent, même si Rock'n'Roll Suicide achevait quasiment tout le temps les concerts) et annonce son retrait de la scène, par la même occasion. Stupeur attristée dans la salle, moment culte, grand chambardement dans les journaux dès le lendemain ("Bowie quits", etc...).
En fait, Bowie avait l'intention d'arrêter de jouer son personnage culte (son premier personnage culte, je veux dire) de Ziggy Stardust, et il voulait passer à autre chose. Il n'avait pas l'intention d'arrêter la scène (ou alors, s'il a eu cette intention, il a vite changé d'avis, car en 1974, il entamera une tournée pour promouvoir l'album donc je vais parler maintenant), mais il voulait créer le buzz. Et ça a marché, dans un sens. Après Pin Ups (sur lequel jouent pour la dernière fois les Spiders, sans le batteur Woody Woodmansey qui fut viré avant et remplacé par Aynsley Dunbar), Bowie, qui arbore alors une chevelure montante d'un rouge absolu et commence à plonger dans l'enfer de la poudre blanche (la coke), se barre vers les Pays-Bas, non pas pour se réapprovisionner (et encore...), mais pour coucher sur bande un nouvel album, qu'il enregistrera avec, au final, peu de musiciens (Herbie Flowers à la basse, Aynsley Dunbar à la batterie, Mike Garson au piano, Alan Parker à la guitare sur un titre). Bowie, lui, sur ce disque, tient toutes les parties de guitare (sauf sur un titre, donc), ainsi que le moog, le mellotron et les saxophones. Et, évidemment, il chante, et a écrit seul la quasi-totalité de l'album, sauf un titre en collaboration avec Warren Peace. L'album a été fait aux studios L Ludolf d'Hilversum, en Hollande. Il dure 38 minutes pour 11 titres, et s'appelle Diamond Dogs. Sa pochette, mythique, est signée du regretté peintre belge Guy Pellaert (qui a aussi signé le tableau de Bowie et d'un chien menacant, peinture basée sur une séance photo ; en revanche, l'illustration intérieure de pochette, ci-dessous, est de Leee Black Childers, de MainMan, maison de production de Bowie). Une pochette qui sera censurée à l'époque, en raison du sexe du chien bowien, clairement visible, et qui sera effacé, noirci (depuis, le livret CD le plus récent propose la pochette non censurée) !
Pochette intérieure (vinyle mais aussi CD) avec paroles d'un des morceaux
Diamond Dogs est un album conceptuel. A la base, Bowie voulait adapter en album le roman 1984 de George Orwell (inutile de présenter ce chef d'oeuvre à lire absolument), mais la veuve d'Orwell refusera catégoriquement de céder les droits. Soit parce que l'idée d'adapter ce roman en album rock ne lui plaisait pas, soit par principe. Bowie, qui avait apparemment commencé d'écrire des chansons sur le sujet du roman (la preuve, We Are The Dead, 1984 - chanson sur laquelle Alan Parker tient la guitare - et Big Brother, dont les titres sont sans équivoque, clairement inspirés par le roman), se retrouve bien emmerdé, mais ne voulant pas abandonner son histoire (la vie dans un monde apocalyptique, une dictature terrifiante dans laquelle un personnage de marginal évolue), il en change des éléments. Ca devient l'univers des Chiens de Diamant. Le personnage principal s'appelle Halloween Jack (Bowie l'illustrera sur scène, sur des photos, en posant avec un bandeau sur l'oeil, façon pirate), il n'est pas forcément hybride homme/chien comme sur la pochette, non, ça, c'était sansdoute pour le fun et faire une pochette marquante (et elle l'est, effectivement, c'est une des plus belles de Bowie). Quoique. Mais il est sans doute un peu dérangé. Oui. Comme les chansons, clairement apocalyptiques pour la plupart, et qui furent pour la plupart écrites sous le procédé de l'écriture automatique et du cut-up, procédés que Bowie a appris de la main même de leur créateur, l'écrivain beat et underground William S. Burroughs (Le Festin Nu, La Machine Molle, Nova-Express...). Ca se ressent surtout sur la triptyque Sweet Thing/Candidate/Sweet Thing (Reprise). L'usage de cocaïne seressent aussi fortement : déjà, physiquement, car il suffit de voir les photos dans le livret de l'album (et aussi dans les livrets du live David Live de 1974 et de Young Americans de 1975) pour juger de la catastrophe : émacié, hâve, squelettique, blafard sous sa chevelure incendiaire, Bowie est complètement burned-out. Il tiendra ce régime coke pendant la quasi-totalité des 70's (en gros, jusqu'à 1978/79 : il me semble qu'au moment de l'enregistrement de Lodger en 1979, il sera quasiment clean), ce qui, certes, lui permettra, sous addiction, de sortir quelques uns de ses sommets (Low, "Heroes" et, évidemment, son sommet absolu, Station To Station), mais aussi un de ses plus mauvais albums, et son premier mauvais album par ailleurs. Et là, je ne veux pas parler de Young Americans (album généralement méprisé, décrié, injustement d'ailleurs), mais bel et bien de Diamond Dogs !
Pochette dépliée (non censurée - petite bite, ce chien, non ?)
Cet article que vous êtes en train de lire et que je suis en train d'écrire est une refonte d'un ancien article, publié sur le blog en été 2009. Je tiens à vous rassurer tout de suite (ou, si vous vous souvenez de l'ancien article, je vais plutôt vous décevoir), je n'ai pas changé d'avis sur l'album. Je ne l'aimais pas avant, l'ayant dézingué dans un article classé, comme celui-ci, dans les 'ratages musicaux', et je ne l'aime toujours pas. Cet article, évidemment, remplace l'ancien, j'ai cependant laissé les commentaires de l'ancien article, car ça ne gêne pas : bien que dit différemment, le contenu de l'article est le même. Autrement dit, un dézinguage de Diamond Dogs, qui est clairement, et je sais que je ne suis pas le seul à le penser (enfin, sur le blog, si, probablement...), un des moins bons Bowie. Clairement, ce disque est chabraque, entre ce cut-up sauvage, ce procédé burroughsien qui ne fonctionne pas ici, et ce concept apocalyptique inspiré par Orwell tout en étant différent. Plus un Bowie totalement ravagé par la schnouff, et qui n'est que l'ombre de lui-même (David Live, double album de 1974 de la tournée de l'album, est éloquent, Bowie n'y est pas en forme, vocalement parlant). Plus, aussi, les arrangements funk/soul/rock apocalyptique, qui, bien souvent, ne fonctionnent que très peu. L'album, cependant, il est vrai, offre quelques bons moments. En fait, la face A est plus que correcte, si on excepte la minute d'intro de Future Legend (le morceau dont les paroles sont dans la pochette intérieure, photo plus haut), morceau de spoken-word apocalyptique commencant par un Bowie imitant (foutralement mal !) des aboiements avant d'annoner, sur une mélodie inquiétante, un texte totalement foutraque censé mettre en condition et poser les bases du concept. Any day now, the year of the Diamond Dogs... This ain't rock'n'roll ! This is genocide ! (cette dernière phrase est très connue et, il faut le dire, assez efficace, dite sur fond de clameurs du public, alors que le disque n'est absolument pas live). Diamond Dogs, le morceau-titre, 6 minutes et quelques, suit, et là, OK, c'est efficace : un riff bien mortel (Bowie sait bien jouer de la guitare), intronisation d'un nouveau personnage névrosé dans le bestiaire bowien (Halloween Jack, qui ne tiendra que sur cet album), ambiance assez rock...Ceci dit, c'est un peu longuet, le morceau se traîne un peu en longueur vers la fin.
La suite de cette première face est pas mal aussi, entre le triptyque cité plus haut et Rebel Rebel. Sweet Thing est une chanson très douce, soul, vraiment sympathique, qui ne ressemble à rien de ce que Bowie avait, auparavant, fait. Candidate, qui la suit, est la chanson la plus space de l'album si on excepte la suivante et la dernière (!). Là, le procédé du cut-up est évident (lisez les paroles pour en juger, c'est du grand portnawak), et si le morceau, court (2,40 minutes, comme le suivant), est efficace et trépidant, il est aussi totalement épuisant, nihiliste, apocalyptique, certains qualifieront même l'album entier de...punk avant l'heure, à cause de cette vision nihiliste de ce Hunger City (ville fictive de l'action de l'album) terrifiant, rempli de gosses charognards, de drogués, de marginaux... We'll buy some drugs and watch some band, and then jump in the river holding hands... Sweet Thing (Reprise) est une reprise apocalyptique (je ne sais pas combien de fois je vais encore utiliser ce terme dans ma chronique, mais avouez qu'il correspond bien à l'album, non ? Alors, je ne vais pas me gêner) du premier morceau de ce triptyque. Là, c'est du grand portnawak musical, limite cacophonique, franchement inaudible à jeun, malgré une guitare tronçonneuse assez efficace. Le morceau enchaîne sans aucune pause sur le riff mortel de Rebel Rebel, chanson ultra connue qui sera le tube de l'album. Autant le dire, cette chanson achevant la face A est, certes efficace (ce riff !!!!), mais elle est aussi, vraiment, ultra répétitive, ça en devient usant à la longue. Bowie répête les paroles du premier couplet au deuxième, le refrain est refait trop souvent, le riff est efficace mais joué trop souvent, là aussi, à la longue... Rebel Rebel (même le titre de la chanson est répétitif !!) est une des meilleures chansons de Diamond Dogs, album pour lequel, à ce moment précis, on ne voit pas encore le concept, l'histoire, ce qui, pour un album conceptuel, est quand même un peu gênant. Mais qu'elle soit une des meilleures chansons de l'album (une des rares bonnes chansons avec Diamond Dogs et Sweet Thing ; et une autre sur la face B, aussi) ne signifie pas qu'elle soit immense ! Je la trouve même surestimée ; comme l'album.
A gauche : peinture de Pellaert, dans le livret ; à droite, photo ayant inspiré le portrait
C'est sur la face B que tout va se gâter aussi rapidement que la météo en haute montagne. Avec Rock'n'Roll With Me. Un slow insupportable, co-écrit avec Warren Peace, une chanson dégoulinante pire quetout ce que vous pouvez imaginer, et qui, malgré une utilisation sympathique de la pédale wah-wah, ne sert à rien et est franchement ridicule, pompeuse, totalement honteuse, indigne de tout ce que Bowie avait, auparavant, fait (il par la suite, il ne refera rien d'aussi calamiteux jusqu'à 1984). Un slow pour ménagères de moins de 50 balais-brosse, interprété par un Bowie en mode crooner coked-out, voix chevrotante, arrangements sirupeux, paroles co-connes, Would you rock'n'roll with me, no one else I'de rather be... Oh, mon Dieu, qu'on l'achève !!! Heureusement, le morceau suivant va un petit peu changer la donne, temporairement du moins : We Are The Dead, une des trois chansons les plus orwelliennes du projet (le titre est une allusion à ce que Winston et Julia, les deux héros de 1984, se disent se rendant compte qu'une fois qu'ils ont commencé à se fréquenter et à critiquer, entre eux, le Parti de Big Brother, ils sont devenus des morts en plus ou moins long sursis), et assurément la meilleure de la deuxième face. Une chanson apocalyptique (tiens !), lente, interprétée par un Bowie concerné, ce qui, sur ce disque, est aussi rare que de la neige dans le désert de Mojave en plein mois de juillet. Vraiment une bonne chanson. Suivie par deux autres titres sous influence orwellienne, rien que les titres en disent long, comme je l'ai dit plus haut : 1984 et Big Brother. La première est un funk-rock limite disco qui sera repris, 10 ans plus tard, par Tina Turner sur son Private Dancer. Le rythme est bon, les paroles, franchement...nulles. Comme l'interprétation de Bowie, assez fadasse, sauf dans les refrains. Big Brother est pire, les paroles sont tartignolles sur un surhomme à la Nietzsche (retour d'un thème que Bowie affectionnait dans sa période 1969/1971, voir The Supermen) étant accessoirement un leader, un gourou, un sauveur, un Führer, un Duce, un Caudillo, un Voïvod, un Grand Timonier, Big Brother, quoi. Pompeuse, très médiocre, cette chanson limite insupportable est suivie de la conclusion de 2 minutes, Chant Of The Ever Circling Skeletal Family, totalement apocalyptique (et allez donc), laquelle conclusion s'achevait sur un locked groove, en vinyle (un sillon bloqué sur les dernières notes, qui sont Bowie répétant, en boucle, le bro-bro-bro-bro-bro-bro de 'Brother'), ce qui rendait ainsi le morceau interminable, il fallait se lever pour lever le bras de la platine. Ce morceau final est assez médiocre et, il faut le dire, totalement cintré, on y entend surtout Bowie chanter, d'une voix nasillarde et aiguë (et un peu flippée, aussi), Brother, oooh-ooh, shake it up, move it up, brother, ooh-ooh, shake it up, move it up... Qui a dit que la drogue rendait con ? Vous ? Bien ! Vous avez gagné toute ma sympathie ! Inutile donc de dire que l'album se finit en pet foireux.
Bowie pendant la tournée
Diamond Dogs est donc un disque très très inégal et franchement mineur dans la discographie de Bowie. Il faudra ensuite attendre 1983 pour avoir à nouveau un disque aussi mineur (Let's Dance, très pop commercial), ce qui fait, en gros, de cet album de 1974 une sorte de chute éphémère avant une remontée fulgurante. L'album suivant, Young Americans, mal-aimé, très soul, est une sublime réussite, et dès l'album qui sera fait encore après, Station To Station, Bowie sera au sommet absolu de sa carrière, son pinacle, son zénith. Diamond Dogs est une sorte d'erreur de passage, d'accident industriel causé par la drogue et par un concept fumeux qui, sur la route, ne tient pas. La tournée sera difficile, David Live le prouve (ce live contenant certes de grands moments, mais aussi et surtout des passages assez embarrassants, Bowie n'étant pas au mieux de sa forme et les arrangements soul/funk/apocalyptique de Diamond Dogs sont utilisés pour tout le live, ce qui fonctionne souvent moyennement bien). Bref, pour finir, ce disque est un ratage quasi-complet, malgré de bonnes chansons. Croyez-moi, le fan absolu de Bowie que je suis a essayé de l'aimer, ce disque, mais sur la longueur, non, je ne peux pas ! Si vous ne connaissez pas encore Bowie, ruez-vous sur ses albums des périodes 1971/1973 et 1975/1980, et attendez un peu avant d'écouter, si ça vous dit encore, Diamond Dogs, qui aurait pu être un chef d'oeuvre, mais n'est qu'un semi-échec un peu embarrassant (en plus d'être une oeuvre à part dans sa discographie).
FACE A
Future Legend
Diamond Dogs
Sweet Thing
Candidate
Sweet Thing (Reprise)
Rebel Rebel
FACE B
Rock'n'Roll With Me
We Are The Dead
1984
Big Brother
Chant Of The Ever Circling Skeletal Family