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 La trilogie pop progressive de King Crimson, démarrée en 1981 avec l'album ayant par la même occasion reformé le groupe (Discipline), se poursuit un an plus tard, en 1982 donc (un année magnifique car celle de ma naissance), avec Beat, dont le titre (qui signifie 'battement') est si difficile et gênant à dire pour un francophone. Imaginez-vous à la FNAC, à demander à un vendeur si par hasard cet album ne serait pas dans leurs stocks ! Enfin, bref... Cet album de 1982, le plus court du groupe (8 titres pour 35 minutes), est un album important, pour King Crimson, pour plusieurs raisons : d'abord, c'est le premier album du groupe à ne pas être produit par le groupe (mais par Rhett Davies, déjà coproducteur de Discipline). Ensuite, c'est la première fois que le line-up du groupe ne change pas d'un iota entre deux albums (à savoir; Robert Fripp à la guitare et aux claviers, Adrian Belew au chant et à la guitare, Tony Levin à la basse et au Chapman Stick ainsi qu'aux choeurs, Bill Bruford à la batterie et aux percussions), chose alors inédite (sauf si on excepte Earthbound live de 1972 fait par le personnel de l'album de 1971 Islands, mais c'est un live, c'est donc différent). Enfin, c'est de loin l'album le plus pop de Crimso, tellement pop que Discipline, déjà assez pop et accessible, fait office de disque très complexe à côté. D'ailleurs, Beat est l'écrin de l'unique hit-single du groupe, Heartbeat. C'est, enfin-enfin, le premier album du groupe à être mal accueilli à sa sortie, mais alors, quelque chose de bien : il suffit de lire les critiques situées dans le livret en coupures de presse pour en juger (et juger aussi de l'honnêteté de Fripp, qui les a placées dans le livret malgré qu'elles soient assassines).

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 Adrian Belew

J'imagine aussi les critiques françaises, et peut-être même qu'une d'entre elles a osé le jeu de mots "Beat dans le cirage". Car ce qui est sûr, c'est que Beat est décevant. Mais vraiment. C'est même le deuxième moins bon album de Crimso derrière le très médiocre The ConstruKction Of Light (2000), et ça signifie aussi qu'à l'époque de sa sortie, et pour une période de quasiment 20 ans, Beat sera le moins bon opus du Pourpre. En plus d'être trop pop, en plus d'être très court (et, donc, un peu frustrant, quelque part) l'album est sorti sous une pochette tout simplement pourrie, une note de musique rose sur fond bleu. Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Là aussi, King Crimson saura faire pire (rien que la pochette de l'album suivant, vous en saurez plus demain), mais, franchement, il faut dire que la pochette de l'album ne donne pas envie. Du tout. Beat, sinon, est un album qui se veut conceptuel sans l'être vraiment : le groupe, ici, a voulu rendre hommage à la Beat Generation, ce groupe d'écrivains et poètes américains qui, dans les années 50/60, ont révolutionné la littérature : Jack Kerouac, Neal Cassady, Allen Ginsberg, William Burroughs. De là le titre de l'album. Et aussi les titres et sujets de certains des 8 morceaux (dont deux instrumentaux) : The Howler est cité d'après un long poème (Howl) de Ginsberg, Neurotica fait très Burroughs (et, donc, cintré), Sartori In Tangier, instrumental, possède un titre en allusion aussi bien au Festin Nu de Burroughs (qui se déroule dans l'Interzone de Tanger) et au Satori A Paris de Kerouac, et enfin, grosses allusions à Sur La Route et Satori A Paris de Kerouac dans Neal And Jack And Me (le titre est d'ailleurs une allusion à Neal Cassady et Jack Kerouac, amis dans la vie et personnages principaux de Sur La Route - sous les noms de Dean Moriarty et Sal Paradise - et le 'me' du titre est leur voiture).

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Beat est un album appréciable, surtout si on le prend uniquement que comme un disque de pop/new-wave, et pas comme un disque de Crimso. Car il faut dire vraiment que si on excepte les deux instrumentaux (Sartori In Tangier, qui est immense mais trop court, moins de 4 minutes ; et Requiem, excellent, mais un peu trop long, 6 minutes et des poussières), rien ici n'est crimsonien. Neal And Jack And Me est une chanson que, personnellement, j'adore, elle assure, elle est terrible, et j'adore le son des guitares et le chant de Belew (qui, sur l'album, ne chante plus comme sur Discipline, il ne singe plus David Byrne des Talking Heads), sur ce titre. On a aussi Waiting Man et Neurotica comme réussites sur ce disque quand même frustrant. Par exemple, Heartbeat, une chanson certes belle (la guitare de Belew et son chant sont sublimes) mais férocement pop pour ménagères de moins de 50 ans, ce qui est tout sauf excusable venant de la part du groupe qui, avec certes d'autres musiciens excepté Fripp, a sorti, auparavant, Fracture ou Lizard ! Se dire que le groupe de Heartbeat est le même (enfin, le même nom, le même leader) que celui de Larks's Tongues In Aspic (Part 2), ça fait un peu bobo, quand même ! Aussi, Beat contient Two Hands, écrite par Margaret Belew, femme d'Adrian (pour les paroles). Une chanson mélodique mais elle aussi très soupasse pop. En revanche, The Howler est bien étrange, ainsi que Neurotica, qui n'est pas sans rappeler les Indiscipline et Thela Hun Ginjeet de l'album précédent. On a donc sur cet album de 1982, qui sera considéré comme foiré, sans âme, sans intérêt (ce genre de gentilles choses...), deux chansons franchement moyennes et n'ayant rien à foutre sur un disque de Crimso, et le reste est pas mal, et même fantastique par moments.

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Mais ça n'empêche pas Beat d'être un disque très mineur de la part de King Crimson. J'ai mis du temps à l'aimer, mais je ne peux pas non plus dire que je l'adore. J'adore Sartori In Tangier, Neal And Jack And Me et Waiting Man, mais ça s'arrête là, le reste étant appréciable, j'aime assez, mais je ne saute pas au plafond non plus. Deux ans plus tard, le groupe sortira le dernier volet de sa trilogie pop, et qui sera aussi le dernier de leurs albums jusqu'à un retour inespéré en 1994. Cet album s'appelle Three Of A Perfect Pair, mais pour en savoir plus, attendez donc demain !!

Critique signée KingStalker :

Quelle pochette de merde, je crie au scandale, personnellement, je trouve ça honteux pour un groupe comme Crimso, de sortir une pochette aussi putassière! Franchement, une note rose sur fond bleu... Il ont pas pu trouver mieux, à tel point qu'on se demande si c'est bien du Crimso'.

Dès la première écoute, on s'en rend compte, c'est du crimson mais c'est pas le même.
C'est un King Crimson résolument pop qui nous ouvre les bras! Le titre Heartbeat plaide en ma faveur par exemple, c'est un titre pop dans toute sa splendeur et clairement radiophonique!
Fini, les pérégrinations jazz de Lizard, Adrian et Bobby ouvrent grand les bras à la musique pop!

Beat reçut une volée de bois verts, les chroniqueurs et journalistes de l'époque crachaient éperdument sur ce que faisait crimson.
Faut dire, qu'en 1980, c'était la mode de cracher sur tout ce qui est progressif, alors quand un groupe de prog' ultra-connu se reforme, évidemment cela crée des emules!
Pourtant, l'album avait tout pour plaire... Comme par exemple des mélodies plus simples et accrocheuses qu'à l'accoutumé ainsi que certaines compositions taillées pour la radio, mais je l'ai déjà dit!

Il y a juste un problème, pour les journalistes de l'époque tout ce qui est osé ou intelligent est à foutre à la poubelle et ô malheur, on retrouve les mêmes tricotages de guitares que sur discipline, raison suffisante et bien sûr les terribles et ultra-complexes Neurotica et Requiem!

Bon après, quand je parle de simplification général, cela reste à prendre de manière relative. Rythmiquement, cela reste super complexe même quand les mélodies sont plus simples comme pour Waiting Man... Complexité rythmique, tiens ne retrouvions-nous déjà pas ça sur Discipline?
Raison simple, le groupe compose une nouvelle trilogie... Même concept graphique (pochettes criardes), une même envie pop ainsi que des sonorités de grattes enchevêtrés!
Les mêmes canons etc... Bill Bruford a dit adieu à sa charleston, etc... Le groupe essaye d'avances tout en étant à la mode et sisosn-le tout net, c'est tout à leur honneur!
Bien sûr, si un français posé une oreille sur ce disque. Il retiendrait que la courte ligne de français que contient l'album.  En revanche, si un mélomane y allait sans préjuger... Cela pourrait faire changer la pensée collective par rapport à cet album... Il remarquerait la richesse rythmique d'un The Howler ou d'un Waiting Man
et pourquoi pas accrocherait aux envies industrielles et au penchant malsain de titres comme Requiem ou Neurotica.
Personnellement, je trouve que ces deux titres présentent bien le Crimso' d'un Three Of A Perfect Pair.
Deux titres improvisés et déstructurés de manière totale. Les structures éclatent et le glauque est ici à son apogée, le début d'une nouvelle ère!
Il pourrait aussi entrevoir, le côté dansant outrancier d'un morceau comme Heartbeat !

Beat est un cri du coeur, décomplexé ! Une vraie lettre d'amour pour la culture beat et un essentiel de la musique pop des années 1980.
Bien sûr, il ne vaut pas Discipline et Three Of A Perfect Pair (pour reprendre les deux autres albums des eighties) que ce soit au niveau des compositions ou du reste mais il reste terriblement attachant et ce sont ses quelques petits défauts qui en font un formidable coup d'essai, pas encore fini mais terriblement évocateur du Crimso' futur! Un lien, en somme.

FACE A

Neal And Jack And Me

Heartbeat

Sartori In Tangier

Waiting Man

FACE B

Neurotica

Two Hands

The Howler

Requiem