En 1974, Robert Fripp, John Wetton et Bill Bruford annoncent publiquement la séparation définitive de King Crimson. Le Roi Cramoisi est mort, en laissant deux enfants : Red, album studio qui sort peu après l'annonce de la séparation, et le live USA, en 1975. Un petit bâtard, double, la compilation A Young Person's Guide To King Crimson, désormais objet de collection car inexistant en CD, est sorti en 1976. Fripp se lance en solo en 1979 (Exposure), il bosse aussi avec Peter Gabriel (trois premiers albums de Gabriel ; il produit d'ailleurs le deuxième), avec Eno (Evening Star, (No Pussyfooting), qui sont deux albums faits en collaboration, mais il joue aussi sur certains des albums solo d'Eno), avec Bowie ("Heroes", Scary Monsters & Super Creeps), Blondie (un morceau sur Parallel Lines), Talking Heads (un morceau sur Fear Of Music, album produit par Eno), avec The League Of Extraordinary Gentlemen...Ce mec ne se repose-t-il dont jamais ? En 1981, l'idée lui vient de former un groupe avec le batteur Bill Bruford, le guitariste et chanteur Adrian Belew et le bassiste et stickman (le Chapman Stick, ou Stick, est une sorte de basse verticale, un grand bâton rythmique) Tony Levin. Levin, il le connaît, rapport aux albums de Peter Gabriel, notamment. Belew a joué chez Zappa (Sheik Yerbouti), Bowie (Lodger), et il vient de collaborer avec les Talking Heads (Remain In Light). Bruford est un ancien King Crimson. Ce nouveau groupe s'appelle Discipline. Rapidement, cependant, il est renommé King Crimson. Ainsi, sept ans après sa mort, le Roi revit : 1981 est l'année de la reformation de King Crimson, le retour du Roi. Grand chambard dans la presse, Fripp (désormais sans lunettes, cheveux courts) fait publier un communiqué de presse assez bavard dans lequel il explique le pourquoi du retour du groupe (ce communiqué assez amusant est dans le livret CD, en coupure de presse).
Selon Fripp, il y à plusieurs réponses : 1/la presse l'a mal cité quand il annonçait la fin du groupe en 1974 ; 2/personne n'aurait réellement cru qu'un groupe tel que Crimso s'arrêterait ainsi pendant sept ans, comme ça ; 3/lui-même s'est trompé à l'époque ; 4/Fripp est un opportuniste, un idiot et un charlatan. Et Fripp balance aussi, avec humour, trois autres réponses largement plus développées, que je ne reproduirai pas ici, car, franchement, ça prendrait des plombes. Mais le résultat est là, le Pourpre revit. Et son nouvel album, sorti en 1981, s'appelle de l'ancien nom que Fripp avait donné à son groupe, à savoir, Discipline. Un nom important : la maison de production de Fripp s'appellera par la suite Discipline Global Mobile, ou DGM. Discipline, 7 titres pour 37 minutes, est à l'époque le disque le plus court du groupe (Beat, en 1982, sera plus court encore), et c'est un disque radicalement différent de ce que Crimso faisait auparavant. Déjà, il y à deux guitaristes (Belew, en effet, joue de la guitare), chose alors inédite chez Crimso : Fripp a suffisamment confiance en Belew (un vrai géant de la guitare, mais méconnu, hélas), et aussi du respect et de l'amitié pour lui, pour lui octroyer la place de coguitariste avec lui, lui laissant en fait plus de parties de guitare que lui. Ensuite, pour une fois, le chanteur n'est pas bassiste, mais guitariste (Belew encore). Ensuite, le ton de l'album est totalement pop/rock, imprégné de world music, sous influence Talking Heads, groupe chez qui Fripp et Belew, séparément, ont légèrement joué en albums. Le chant de Belew (qui a toujours été un caméléon vocal : sur le Sheik Yerbouti de Zappa, sur la chanson Flakes, il livre un pastiche vocal de Bob Dylan tout simplement tuant de drôlerie), justement, est totalement sous influence Talking Heads : Belew y singe allègrement le phrasé, le style vocal de David Byrne, leader des Têtes Parlantes. Au point qu'on pourrait croire à un album des Heads, par moments, si la voix de Belew n'était quand même pas aussi borderline, hystérique, énervante que celle du remarquable Byrne.
Levin, Bruford, Belew, Fripp
Considéré comme un vrai retour prometteur à sa sortie (la majorité des critiques de l'époque sont bonnes, encourageantes), Discipline est un disque très accessible. En fait, il l'est même tellement qu'à la première écoute, il déçoit, frustre, surtout quand on a écouté, épluché, les albums précédents. Passer de Red à Discipline (dont la pochette est rouge, justement), ça choque ! Premier volet d'une trilogie de pop progressive qui sera suivie par Beat en 1982 et achevée par Three Of A Perfect Pair en 1984 (suite à ça, King Crimso se séparera encore pendant une longue période de 10 ans !), deux autres albums aux pochettes monochromes et assez rebutantes, Discipline est incontestablement un grand cru crimsonien et le meilleur de cette trilogie très ancrée dans sa décennie, les années 80. Seulement 7 titres, dont deux instrumentaux (les deux derniers titres), mais rien à jeter. Ca démarre d'ailleurs très fort avec Elephant Talk, chanson irrésistible (cette partition de stick de Levin ! ces riffs bien timbrés de Belew, très talkingheadiens ! ce chant !) dont les paroles sont, par ordre alphabétique de A à E, un par couplet, des énumérations de termes désignant la discussion : Argument...Brouhaha...Conversation...Debate...Elephant Talk. A noter que le son de guitare de Belew imite à la perfection des barrissements d'éléphant, justement ! Un morceau imparable, suivi par un autre, Frame By Frame, plus ésotérique et contemplatif, hypnotique et aérien. Là aussi, Belew assure à fond. Fripp semble en mode 'repos du guerrier', on l'entend pas mal sur ce disque, mais il a laissé, clairement, Belew faire son truc. Néanmoins, les claviers sont tenus par monsieur Fripp (et, au fait, les choeurs sont de Levin, voix grave, profonde). Puis, Matte Kudasai, qui signifie 'attendez, s'il vous plaît' en japonais, apparemment, et qui est très belle. Le son de guitare de Fripp, ici, n'est pas sans rappeler un des morceaux (Water Music) de son album solo Exposure de 1979. Un son magnifique, reposant et aquatique, comme si Fripp jouait sous l'eau. Enfin, Indiscipline achevait la face A sur une note de folie pure (le passage I repeat myself when under stress, I repeat myself when under stress... est amusant et très logique), impossible de ne pas apprécier et de ne pas crier comme Belew, à la toute fin, I like it !!, juste avant de changer de face (ou de laisser le CD tourner).
La face B commence sur Thela Hun Ginjeet, le plus talkingheadien des morceaux de l'album avec Elephant Talk. Le titre de ce morceau atmosphérique, world, pop/rock et totalement timbré, rythmé entre autres par des contrepoints vocaux de Levin sur la voix plus nasillarde et aiguë de Belew, le titre, donc, est une anagramme sur 'Heat In The Jungle'. Le groupe l'a appelé ainsi pour accentuer le côté world, étrange, exotique du morceau, un morceau long (dans les 6 minutes), qui est vraiment fantastique. C'est par ailleurs le dernier titre chanté de l'album, qui se termine par deux instrumentaux : The Sheltering Sky (un peu plus de 8 minutes de pur bonheur sur lequel les guitares, le stick et les claviers tissent une mélodie totalement admirable, aérienne, hors de ce monde tant elle est belle et intriguante), et aussi et surtout Discipline, morceau très discipliné qui répond au Indiscipline bien cinglé de la fin de la première face. Le morceau, qui montre que Fripp sait toujours livrer des soli écorchés vifs (ce terme, vraiment, convient bien à son style de jeu), est la conclusion imparable de l'album ; le morceau, par ailleurs, se termine sèchement, en plein riff, après un peu plus de 5 minutes de musique. Une fois ce morceau fini, on le sait déjà, King Crimson a vraiment bien fait de se reformer. Cette nouvelle mouture, avec un ancien membre (Bruford) et deux nouveaux (Levin et Belew) autour du chef Fripp, est une des meilleures de l'histoire du Pourpre. L'album se vendra super bien, le groupe est relancé (j'ai oublié de préciser, con que je suis, que Discipline est coproduit par le groupe et Rhett Davies), et l'année suivante, sortira une sorte de follow-up à Discipline, un deuxième volet pour la trilogie pop progressive, la trilogie des couleurs (allusion aux pochettes), ou trilogie des années 80. Cet album s'appellera Beat, et pour en savoir plus, attendez un peu plus tard dans la journée ! En attendant, ce Discipline de 1981 est donc un des sommets de Crimso, rien que ça, mais il vous faudra sans doute quelques écoutes pour vous en rendre compte, l'album étant vraiment trop accessible (par rapport aux précédents albums et à pas mal des suivants) pour plaire totalement du premier coup !
Critique complémentaire de KingStalker :
7 ans après Red , King Crimson remonte sur son trône avec de nouvelles choses à dire.
Pour fêter les eighties, KC s'offre une cure de jouvence, le line-up change, désormais, on retrouvera Adrian Belew au chant et à la guitare (grande première !), Tony Levin au chapman stick et basse, Robert Fripp à la guitare et Bruford aux percussions.
Discipline est un nouveau concept, Robert Fripp a revu son jeu (désormais il tricote et répète un même thème) ainsi que Bill Bruford (finie la charleston). Le groupe se veut moins noir qu'avant et plus pop, l'effet Belew est irréversible, et cela marche. Ecoutez ce majestueux Frame By Frame et son refrain à pleurer qui prouve toute la maitrise vocale de Belew.
Frame by frame, ouhouh, step by step...
Mais il ne faut pas oublier Robert Fripp qui apporte une touche sombre à la musique, le meilleur exemple est Indiscipline, un morceau de fou.
I repeat myself when under stress...I repeat myself when under stress...
Une des grandes nouveautés ici, mis à part, le jeu des musiciens et le côté résolument pop de la musique, est que le groupe s'inspire des musiques africaines comme le prouve LE morceau du disque, The Sheltering Sky, tout simplement sublime, Bruford assure ici...
Mais il ne faut pas faire d'ombre aux autres morceaux, Matte Kudasai est une ballade asiatique sublime, Thela Hun Ginjeet un morceau effrayant et sombre, le morceau éponyme est un noeud labyrinthique ou les deux guitares s'entremêlent...
Par contre si tous les morceaux sont excellents, on ne peut pas dire qu'ils soient tous sublimes, Elephant Talk est un peu agaçante à la longue...
Discipline est donc un très bon album, la qualité des morceaux est constante, l'originalité aussi.
Cette mouture crimsonienne est, de loin, une des plus intéressantes du groupe, sans être la meilleure cela dit.
Un album que j'écoute souvent car bien sympathique, pas trop difficile d'accès, une vrai bonne surprise à défaut d'être un album mythique.
Discipline is never an end in itself, only a means to an end - Robert Fripp
FACE A
Elephant Talk
Frame By Frame
Matte Kudasai
Indiscipline
FACE B
Thela Hun Ginjeet
The Sheltering Sky
Discipline
Néanmoins, la suite du crimso' est elle aussi digne d'intêret. Je pense en particulier à three of a perfect pair, le SABB des eighties.