En 2011, ça le fait pas trop, aimer Emerson, Lake & Palmer. Aussi, je vais être franc : je ne suis fan de ce groupe, seulement de leurs albums faits entre 1971 et 1973. Celui-ci date de 1972, il entre pile-poil dans cette période. C'est un live, assez court (37 minutes pour 12 titres), qui compte parmi les albums les plus étranges qui soient. Il s'appelle Pictures At An Exhibition, et est constitué en quasi-totalité d'une adaptation de la fameuse suite musicale Tableaux D'Une Exposition, du compositeur russe Modeste Moussorgsky. A la sauce rock progressif, avec des rajouts de paroles (n'ayant rien à voir avec la suite musicale instrumentale initiale) et de deux morceaux. Plus, en final, une version progressive d'un des thèmes du Casse-Noisettes de Tchaïkovsky, version progressive elle-même basée sur un réarrangement pop signé du fou furieux Kim Fowley, et rebaptisée Nut Rocker (jeu de mots sur Nutcracker, titre anglophone de Casse-Noisettes). Autant en parler tout de suite, de ce Nut Rocker : il gâche l'album. C'est ridicule, pompeux, insupportable... Le reste du live, heureusement, est infiniment supérieur, mais avant d'en parler, parlons du groupe. Emerson, Lake & Palmer est en fait un supergroupe, constitué du claviériste Keith Emerson (ex des Nice), du bassiste, guitariste et chanteur Greg Lake (ex de King Crimson) et du batteur Carl Palmer (ex d'Atomic Rooster). Groupe fondé en 1970 et clairement, avec Jethro Tull, un des plus détestés, honnis, de la planète rock, d'abord parce que c'est du rock progressif, et le rock progressif n'est aimé que des amateurs de prog ; ensuite, parce ce supergroupe est constitué de trois musiciens incroyablement suffisants, arrogants dans leur totale maîtrise de leurs instruments ; et puis, même chez les fans de rock progressif, il y en à beaucoup qui chient sur ELP, car, franchement, par moments, c'est pompeux, limite une caricature du genre. Mais quand ils sont bons (de 1971 à 1973), ils assurent à fond.
Sorti, donc, en 1972, Pictures At An Exhibition est un album assez spécial, comme je l'ai dit, et qui a aussi bien des fans que des détracteurs féroces. Sachez pour commencer qu'il n'est pas nécessaire de bien connaître la pièce musicale de Moussorgsky pour apprécier ce live : personnellement, j'ai découvert la version progressive d'ELP avant d'écouter la version pure, la vraie, et ça ne m'a pas empêché de vraiment aimer le live d'ELP. J'ai même envie de dire que si vous ne connaissez pas encore les Tableaux D'Une Exposition, il vaudrait peut-être mieux écouter d'abord ce live, histoire de ne pas être trop déçu par lui, ensuite. Parce que sinon, si vous écoutez Moussorgsky (aussi l'auteur du fameux Une Nuit Sur Le Mont Chauve, utilisé dans la dernière section du Fantasia de Walt Disney), vous appréciez (car comment ne pas aimer ça, franchement, je vous le demande, à moins d'avoir vraiment de drôles de goûts musicaux), mais ensuite, si vous écoutez le live d'Emerson, Lake & Palmer et vous risquerez sans doute de déchanter un peu. Les puristes, amateurs de musique classique, trouveront ce live quelque peu blasphématoire. Des synthétiseurs, une guitare, une basse, une batterie, du chant (qui plus est, des paroles sans lien avec la suite, ou avec la Russie), sur du Moussorgsky ? Pas très Modeste (prénom du compositeur russe), tout ça ! Bah oui, mais c'est du ELP, il n'y avait qu'eux pour oser reprendre du classique à la sauce progressive. Comprenez, maintenant, pourquoi ELP est très souvent honni par les rockeurs et même par certains défenseurs du prog-rock !
Intérieur de pochette (les tableaux sont illustrés) ayant aussi servi de recto de pochette pour des anciennes rééditions CD
Ce live n'est pas exempt de défauts, et j'en ai même cité un, ce Nut Rocker idiot achevant l'album en une sorte de rappel sans lien avec la suite de Moussorgsky (puisque c'est la reprise d'une adaptation de Kim Fowley d'un morceau de Tchaïkovsky, comme je l'ai dit aussi plus haut). Reparlons un petit peu de ce Nut Rocker avant de parler de la suite en elle-même, ne serait-ce que pour dire que ce morceau, avec ces cris étranges et ridicules de Lake (vers la fin), ces claviers entêtants et insupportables, est une vraie purge qui n'a vraiment pas sa place ici. Je suis plutôt partisan de l'idée de le virer de l'album (l'album aurait donc été plus court, environ 33 minutes au lieu de 37, mais au moins, il aurait été composé de la suite de Moussorgsky et de rien d'autre, et aurait été meilleur), quitte à le fourguer en bonus-track. Au lieu de ça, il est sur le live, définitivement (et en bonus-track, on a une version studio de la suite de Moussorgsky), ce qui est vraiment dommage, ce Nut Rocker venant gâcher le plaisir et achever l'album sur une mauvaise note. Allez, on n'en parle plus, on l'ignore. Place à la suite. Qui n'est pas exempte de défauts elle aussi : le son de l'album est parfois un peu moyen, rappelons que c'est un live, et il a été enregistré soit dans un lieu avec une acoustique passable, soit avec du matos passable, soit sans grand talent. Le son n'est pas à chier, ce n'est pas Earthbound de King Crimson, mais c'est quand même un peu moyen, ça aurait pu être mieux. Ensuite, le son des claviers de Keith Emerson n'est pas toujours du meilleur effet, je pense notamment à The Gnome, deuxième morceau de la suite (après la première version de Promenade, très courte comme les deux autres), qui en devient limite insupportable à cause de ces sonorités mal foutues (soit Emerson a mal accordé ses claviers, soit il a planté, tout simplement, son coup sur ce morceau, mais le résultat est là, ces claviers sonnent atrocement mal sur The Gnome). Ils sonnent aussi un peu moyennement sur The Old Castle, mais ce n'est pas aussi calamiteux non plus. Enfin, les deux morceaux écrits par le groupe (Blues Variation et The Sage), plus les paroles (sur le deuxième Promenade et The Great Gates Of Kiev, notamment) rajoutées de ci de là, ne sont pas extraordinaires, surtout Blues Variation, qui achevait la face A, constituée surtout de petits morceaux.
Emerson, Palmer, Lake (ils auraient au moins pu se foutre dans l'ordre, ces cons)
La face B, elle, contient la suite The Hut Of Baba Yaga (en deux parties, avec The Curse Of Baba Yaga, plus longue, au centre) et The Great Gates Of Kiev, ainsi que ce putain de rappel nullissime déjà abordé plus haut et que je ne veux plus citer, merci bien. On a aussi la dernière partie de Promenade, ouvrant cette deuxième face. Tellement courte, comme la première partie de The Hut Of Baba Yaga (et la deuxième !), qu'on ne s'en rend pas compte, et que quand on lève les yeux de ce que l'on était en train de faire (lire, surfer sur le web, regarder le livret CD, etc) pour voir où en est le morceau, on se rend compte qu'on est déjà à écouter The Curse Of Baba Yaga, troisième morceau de la deuxième face ! Mais le morceau le plus long et imposant de Pictures At An Exhibition, c'est The Great Gates Of Kiev/The End, 6,35 minutes absolument ahurissantes, malgré des paroles intruses (et un magnifiquement con Death is life chanté d'une manière pompeuse et solennelle en final par Lake). Un final dantesque...pour la suite de Moussorgsky, je veux dire. Bref, dans l'ensemble, ce Pictures At An Exhibition est un album franchement réussi, certes caricatural et un peu space, mais, franchement, malgré un ou deux passages un peu moyens, on ne saurait mettre en doute le talent des musiciens (des virtuoses) et leur inventivité. Certes, c'est du rock progressif caricatural ; certes, c'est limite blasphématoire d'adapter ainsi une si grande oeuvre de la musique classique ; mais, franchement, cet album est très sympathique et réussi, et il est à écouter si vous aimez le rock progressif et/ou la musique classique ! De plus, 37 minutes, ce n'est pas trop long non plus (un autre live d'ELP, sorti en 1974 sous le très ridicule et longuet titre Welcome Back, My Friends, To The Show That Never Ends...Ladies And Gentlemen, était triple en vinyle), ce qui en rend l'écoute assez facile.
FACE A
Promenade
The Gnome
Promenade
The Sage
The Old Castle
Blues Variation
FACE B
Promenade
The Hut Of Baba Yaga (1)
The Curse Of Baba Yaga
The Hut Of Baba Yaga (2)
The Great Caves Of Kiev/The End
Nut Rocker