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Le Roi est mort, vive le Roi... C'est, en gros, ce que les fans de King Crimson durent se dire en 1975, au moment de la sortie de cet album live. Car, à la sortie de ce live baptisé connement USA (en même temps, tout ce que l'on y entend provient de concerts américains, c'est donc un titre logique), King Crimson était splitté, fini, terminé, le groupe avait cessé d'exister depuis environ un an ou peu s'en faut. Le groupe a été stoppé par son principal membre (son seul membre d'origine, en fait), son leader, le guitariste Robert Fripp, peu avant la sortie de Red (octobre 1974). Au moment de la sortie de Red, album d'une noirceur d'encre, l'un des disques les plus ravageurs et apocalyptiques jamais pondus, on savait déjà que l'inéluctable était survenu, le groupe, qui venait alors de faire un authentique chef d'oeuvre, ne ferait dès lors plus rien. Victime d'une crise mystique et existentielle (il aurait eu une vision d'horreur et du futur, la société dans laquelle nous vivions alors ne tiendrait plus longtemps avant de s'effondrer sur ses bases, laissant place à une crise économico-sociale qui durerait des siècles), Fripp se retire, volontairement, du circuit de la musique ; il part pour un institut dirigé par un disciple de Gurdjieff, il va y rester environ un an, à méditer, se reposer, loin de tout, à réfléchir sur son existence, son but dans la vie, etc. Quand il reprendra du service, a sera pour bosser avec Bowie et Eno (l'album "Heroes" en 1977), avec les Talking Heads (Fear Of Music, 1979), Peter Gabriel (les trois premiers opus solo de Gabriel, en 1977, 1978 et 1980) sans oublier sa propre carrière solo, lancée en 1979 via Exposure. Et il relancera King Crimson en 1981, nouvelle mouture du groupe avec le guitariste/chanteur Adrian Belew, le bassiste/stickman Tony Levin, et le batteur Bill Bruford, déjà dans Crimso' depuis fin 1972.

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John Wetton, Bill Bruford, Robert Fripp, David Cross : King Crimson en 1974

Mais en attendant, en 1975, au moment de la sortie de USA, Crimso' est bien mort et enterré. Fripp va sortir ce live, et il le fera suivre, quelques mois après (on sera alors en 1976), d'une double compilation du nom de A Young Person's Guide To King Crimson (jamais sortie en CD sauf au Japon), un peu comme pour complètement achever le cycle. Au moment de la sortie de cette compilation, les fans et certains rock-critics se mirent quelque peu à gueuler en raison de l'absence quasiment choquante de quelques uns des plus emblématiques morceaux du groupe : pas de Larks' Tongues In Aspic 2, pas de 21st Century Schizoid Man, pas de Easy Money, de The Sailor's Tale, Fracture, aucun morceau issu de l'album Lizard... Pour l'album Lizard, c'est en raison du désamour profond de Fripp pour cet album ; pour The Sailor's Tale et Fracture, en effet, ça manque beaucoup ; en revanche, la raison de l'absence des trois autres morceaux (plus Exiles, absent de la compilation de 1976 lui aussi) est simple : on les trouve sur USA. Fripp, ayant publié ces deux albums-testaments dans un temps assez proche, n'avait pas envie de mettre des doublons. Aucun des morceaux présents sur le live ne se trouvera, dans sa version originale, sur la compilation. Mais assez parlé de  la compilation, je l'ai déjà abordée ici en 201, il est probable que je la réaborde en une nouvelle chronique un de ces jours ; parlons du live. USA est sorti sous une pochette bleue et rouge. Bleue pour le recto, on y voit, sur fond bleu, une main, probablement féminine en raison des ongles (mais ça ne veut pas dire grand chose et on s'en fout un peu, aussi) tenir fièrement une sorte de fiche rectangulare fine avec le nom du groupe et de l'album dessus, une sorte de pass backstage ou de ticket de concert ; derrière la main et le ticket, une lueur, comme une ampoule allumée. Au dos, le fond est rouge sang, on a les crédits, et, au centre, en ombre chinoise : deux mains tenant une sorte de chevalet de photo, avec, au centre, une photo d'une main (encore une main !!) en effet Kirlian. Tout en bas des crédits, la dernière mention est des plus éloquentes : RIP. Rest In Peace. Manière de confirmer que le groupe est bel et bien mort et enterré, malgré qu'il sorte un nouvel album.

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Court, ce nouvel album, d'ailleurs : en seulement 7 titres (Walk On...No Pussyfooting, trente secondes d'intro instrumentale non créditée sur la pochette vinyle d'époque, inclus ; ce morceau est un extrait de l'album (No Pussyfooting) que Fripp fit en 1973 avec Brian Eno, et que je réaborderai ici aussi un de ces jours, il le mérite amplement), USA dure une quarantaine de minutes, et est, donc, un simple album. Au gré des rééditions CD, le live a gagné des titres bonus : la réédition des 30 ans, sortie en...2002 (ce qui ne fait pas 30 ans, ni pour ce disque, ni pour le premier du groupe, mais bon...), proposera, en final, deux rajouts, faisant passer le disque à plus d'une heure, quasiment 70 minutes : Fracture et Starless (dommage que les morceaux aient été placés en final du disque et pas incorporés à leur emplacement au cours du concert...). Et la réédition dite des 40 ans sortie en 2013, en proposera un autre, je crois (en réalité, une version étendue d'une improvisation sur Easy Money). Mais c'est, quelque part, peine perdue, car ce qu'il faut savoir, c'est que USA est devenu complètement caduque en 1992, au moment de la sortie du coffret 4 CD (depuis reconverti en deux double-CD aux prix nettement plus compétitifs) The Great Deceiver, lequel coffret propose le meilleur des concerts du groupe durant la période 1973/1974, période concernée par USA. Conçu à la base pour laisser une trace de ce que Fripp estimera (à raison) être la meilleure formation du groupe, USA se concentre sur deux concerts, Providence (le 30 juin 1974, Rhode Island) et Asbury Park (le 28 juin 1974, New Jersey, patrie de Bruce Springsteen). Si l'on excepte 21st Century Schizoid Man, qui achevait le live originel, tout vient d'Asbury Park. Les deux rajouts de 2002 aussi. Peu généreux, et même assez frustrant, USA contient quelques uns des meilleurs morceaux de la période 1973/1974, dans de très bonnes versions lives. Le son est excellent, par ailleurs, ce qui ne gâche rien, surtout quand on sait que le précédent opus live du groupe, Earthbound (1972), possédait une qualité sonore propre à faire flipper dans son slip, c'était rocailleux, quasiment inaudible, abominable.

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Mais USA est frustrant, je l'ai dit. D'abord, peu de morceaux, une durée rikiki de 41 minutes, on ne dira jamais assez à quel point les albums lives constitués d'un seul disque (je parle de vinyles) sont décevants, généralement. Et puis, il y à deux autres choses vraiment frustrantes, ici : tout d'abord, Easy Money a été raboté et se termine en fade-out, ce qui est la preuve évidente que le morceau a été retouché en studio (il est impossible, en live, de terminer un morceau en fade-out) ; ensuite, pas mal des interventions de David Cross (violon, claviers) ont été refaites, en studio, par Eddie Jobson, lequel ne faisait pas partie de King Crimson, en plus (il fit partie de Roxy Music, a collaboré avec Zappa...), interventions créditées sur la pochette, ce qui est certes une marque de franchise de la part de Fripp, mais quand même, ça n'excuse pas tout, et c'est une preuve de plus que USA a été retouché en studio. Pauvre David Cross, quasiment viré du groupe après l'album Starless And Bible Black (1974), apparaissant sur l'album Red (1974 aussi) mais en tant que musicien additionnel, pas en tant que membre (il n'est pas sur la pochette photographique), ici relégué à la portion congrue... Une version publiée en 2005 par dgmlive.com, le site de Discipline Global Music (label de Fripp), proposera une version de USA sans les overdubs de Jobson, justice rendue à Cross, mais c'est un peu tard, et les versions CD de USA sont, elles, bien avec les overdubs. On peut aussi, dans les frustrations ressenties par l'écoute de USA, dire que Asbury Park, improvisation instrumentale ayant tiré son nom du lieu du concert (de même que Providence, sur l'album Red, est une improvisation live issue du show de Providence, sur laquelle les applaudissements furent virés), a aussi été rabotée : elle durait quasiment 12 minutes (la version de 2013 la propose en entier), elle ne dure, sur USA, que 7 minutes. Elle est, par ailleurs, très bonne, c'était le seul titre 'inédit' du live. Lequel live propose donc, sinon, Larks' Tongues In Aspic 2, Lament, Exiles, 21st Century Schizoid Man (bien chantée par John Wetton), des morceaux anthologiques et bien interprétés. Et les deux rajouts Fracture et Starless sont ce qu'ils sont, des intouchables crimsoniens et même progressifs. Pour finir, bien qu'imparfait, USA remplira son rôle, celui de donner au public, aux fans, un document live de ce qu'était la meilleure période de l'histoire du groupe. Le coffret de 1992 viendra rendre USA obsolète, mais en attendant, il remplira plutôt bien son office, malgré ses imperfections et sa frustrante courte durée ! Est-ce le disque le plus essentiel de King Crimson, non, et je ne le conseille qu'aux grands fans, mais ce n'est pas un mauvais album.

FACE A

Walk On...No Pussyfooting

Larks' Tongues In Aspic 2

Lament

Exiles

FACE B

Asbury Park

Easy Money

21st Century Schizoid Man