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In The Wake Of Poseidon, deuxième opus de King Crimson, copiage quasi intégral de leur premier album, sort en 1970. Peu après la sortie de l'album, Crimso splitte encore, avec le départ de quasiment tous les membres, excepté Robert Fripp (guitare, mellotron), Peter Sinfield (parolier) et Mel Collins (saxophone, flûte), lequel venait d'arriver. Il faut reconstituer un groupe, et Fripp et Sinfield engagent Gordon Haskell, qui avait chanté amicalement sur Cadence And Cascade du précédent album. Haskell est engagé en tant que chanteur et bassiste. On note aussi l'arrivée d'un nouveau batteur, Andy McCulloch. Keith Tippet (piano), qui avait participé, en guest, au précédent opus, est de nouveau de la partie, et on note aussi, en invités, Robin Miller (cor anglais, hautbois), Mark Charig (cornette), Nick Evans (trombone)...et Jon Anderson, chanteur du groupe de rock progressif Yes, en invité sur la première partie du long morceau-titre de ce nouvel album, troisième cru de King Crimson, et baptisé Lizard. La pochette est conçue selon une idée de Peter Sinfield, et est probablement la plus belle de l'histoire du groupe (et une des plus belles du rock), une série d'enluminures médiévales illustrant les chansons de l'album (à vous de les retrouver, en sachant que le long morceau-titre, Lizard, est scindé en quatre sous-parties elles-mêmes parfois scindées en sous-sous-parties, tout est cependant sur une seule plage audio de 23 minutes). A l'intérieur, c'est imitation bois clair, avec paroles et crédits.

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Une des rarissimes photos de ce line-up du groupe, période Lizard ; Haskell, c'est le barbu

Lizard est un album assez controversé, polémique, dans la discographie crimsonienne ; comme l'est le précédent album, mais aussi le suivant ! C'est un disque qui, enfin, propose quelque chose de différent, après un In The Wake Of Poseidon par trop ressemblant à In The Court Of The Crimson King. Lizard, lui, est radicalement différent, 42 minutes (en 5 titres) faisant plus penser au Pink Floyd d'Atom Heart Mother (même année) qu'au précédent opus de Crimso lui-même. Entre l'album du Floyd et celui de Crimso, pas mal de points communs : une ambiance assez hermétique, un long morceau-titre occupant toute une face, et constituant la vraie viande de l'album, une autre face constituée de morceaux pas évidents et plus courts, une recherche musicale de tous les instants... Lizard mélange adroitement rock, folk, progressif, jazz et expérimentations. Parlons tout de suite du chant de Gordon Haskell (qui quittera le groupe avant la sortie de l'album ; au moment de la sortie de Lizard, pour la troisième fois, le groupe n'existe quasiment plus et il faudra le reformer avec à nouveau d'autres musiciens autour de Fripp et Sinfield). Haskell, bon bassiste, possède une voix très profonde, grave, rauque, un peu timide aussi. Autant le dire de suite, ce n'est pas le meilleur chanteur que le Pourpre a connu, il ne fait pas oublier Greg Lake, et il sera, en revanche, oublié rapidement par le chanteur suivant, Boz Burrell. Mais le timbre vocal d'Haskell est, quand même, touchant et il correspond bien à l'ambiance de Lizard, calfeutrée, jazzy et folk, pas très électrique (Robert Fripp n'use pas souvent de sa guitare électrique), assez 'classique' par moments, aussi (Cirkus, Lizard). J'ai parlé de Fripp, dont la guitare au son écorché vif est ici en mode 'repos du guerrier'. Il faut ici dire quelque chose au sujet de Fripp : il déteste cet album, le renie quasiment. Il n'en a pas vraiment eu le contrôle au moment de l'enregistrement, c'est sans doute pour ça ! C'est le moins frippien, crimsonien, des opus de King Crimson, ce Lizard. Il n'en demeure pas moins époustouflant.

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Pochette dépliée

Oui, époustouflant. C'est bel et bien le mot qui me vient à l'esprit en pensant à Lizard. Mais il faut dire une chose à celles et ceux qui, parmi vous, ne connaissent pas encore ce disque et auraient envie de combler cette lacune (comme je les envie !) : il faut du temps pour l'apprécier, pour l'apprivoiser, ce disque. Ce lézard est un peu fougueux. Il offre certes une charmante (et courte, moins de 3 minutes) ballade acoustique en final de face A (Lady Of The Dancing Water, admirable et douceâtre avec cette flûte de Collins et ce chant chaud et doux d'Haskell), mais le reste, il faut le mériter. Happy Family qui parle de la séparation des Beatles (l'illustration en haut à droite de la pochette est une belle caricature des Fab Four circa 1970) et use d'un effet de distorsion sur la voix d'Haskell, qui s'en retrouve déglinguée, est un bon exemple. Indoor Games, avec ce rythme jazzy chaloupé étrange et ce rire dément d'Haskell en final, en est un autre. Deux chansons difficilement appréciable au premier abord, moi-même j'ai eu du mal à les aimer...en fait, à aimer l'album en totalité ! Cirkus, qui ouvre l'album, est, de plus, vraiment spéciale. Magnifique chanson (la meilleure de la face A), mais vraiment spéciale, avec ces arrangements classico/jazzy faisant intervenir des cuivres agressifs, oppressants, un mellotron qui n'est pas en reste dans ce créneau angoissant, et un piano cristallin, sublimissime, zen. Parlant apparemment de la perte de l'innocence (c'est pas moi qui le dit, mais une des critiques anglophones d'époque situées dans le livret, en coupure de presse ; une d'entre elles, férocement sévère, est impayable dans le style album à offrir à quelqu'un avec qui vous voulez vous fâcher à mort), Cirkus est une chanson mémorable qui mérite vraiment plusieurs écoutes attentives. Cette mélodie...

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Autre rarissime photo de Crimso pendant la courte période où Haskell en fit partie

Lizard, le morceau-titre, occupe, lui, la face B. Divisé en quatre sous-parties elles-mêmes parfois divisées elles aussi en sous-sous-parties (voir plus bas, dans le tracklisting détaillé), ce morceau est le gros bloc de l'album, l'équivalent d'Atom Heart Mother pour l'album du même nom du Floyd, comme je l'ai dit plus haut. Lizard démarre par Prince Rupert Awakes, une des parties chantées du morceau, et la seule à être interprétée par Jon Anderson, de Yes, en invité. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le timbre de voix aigu, doux, d'Anderson (un chanteur exceptionnel), y est pour beaucoup dans le voyage que l'auditeur est en train de vivre. Il ne chante que 3 ou 4 minutes, avant de laisser la place à une large section instrumentale assez inquiétante et jazzy (Bolero : The Peacock's Tale) et, ensuite, à Gordon Haskell (une sous-sous-partie de The Battle Of Glass Tears, intitulée Dawn Song), mais ce passage introductif est un des meilleurs des 23 minutes du morceau total. Fripp, quant à lui, se fait entendre sur Prince Rupert's Lament, long tunnel de guitare écorchée vive, entendue dans le lointain, avant la dernière partie, Big Top, courte,  qui consiste, en final, à une partition de limonaire (musique de carrousel) bien étonnante dans ce contexte, mais très agréable. Comme vous pouvez le constater en lisant ce paragraphe mal fagotté (désolé), parler de Lizard est quasiment mission impossible, comme ça l'est pour d'autres grandes pièces de ce genre, telles Atom Heart Mother et Echoes de Pink Floyd ou Close To The Edge de Yes. Il faut, vraiment, écouter pour le comprendre.

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Peter Sinfield (parolier, éclaireur des concerts)

Un album difficile d'accès, exigeant, mais admirable, ce Lizard. Un disque polémique chez les fans du groupe, entre les adorateurs inconditionnels (j'en fais partie, et comme vous pourrez le constater en lisant sa chronique ci-dessous, KingStalker aussi) et ceux qui estiment ce disque raté, caricatural, secondaire voire même tertiaire, ne comptant pas. C'est un disque vraimenttout sauf facile et assez peu crimsonien, au final, que Lizard, et il n'est pas recommandé pour découvrir la discographie de King Crimson. Mais une fois que vous aurez écouté les deux premiers albums, ainsi que le suivant, Islands (1971), alors, vous pourrez sans problème vous mettre à Lizard. Et là, ça sera à vous de voir, entre l'amour et la haine; comme je l'ai dit à l'instant. J'espère que vous aimerez, ceci étant...et j'espère aussi et surtout vous avoir donné envie de l'écouter !

Critique complémentaire de KingStalker :

Jamais King Crimson n'a sonné aussi jazz que sur Lizard.Et par extension, jamais ne sonnera aussi jazz. Ce qui en fait, un album réellement particulier, aussi bien adulé que détesté. Pour beaucoup, Lizard est une caricature, la caricature du rock progressif. D'une part par sa relative complexité (la pièce éponyme), son côté pompeux pour certains ainsi que pour sa longueur.

Particulier, aussi car pour la première fois, les autres musiciens dirigent littéralement l'orientation du KC. Fripp n'aimera pas le résultat mais alors pas du tout... Il daignera cependant réaliser une remasterisation de l'album en question.
Lizard est particulier car un mini-orchestre joue dans la pièce principale, qui donne son nom au disque. Une longue fresque épique, tour à tour joyeuse, intimiste et sombre. Mais j'y reviendrai.

Lizard est aussi, et surtout, un album prônant et sous toutes ses formes le mellotron. Clavier hybride aux sonorités multiples. On en entends très souvent, que ce soit sur Cirkus ou sur Lizard enfin bref. Ce n'est pas une tare en soi, j'aime beaucoup le son du mellotron surtout qu'il est utilisé ici judicieusement, en particulier sur Cirkus où il sonne vraiment terrifiant.

Keith Tippet est à l'honneur sur cet album, c'est SON album, chose assez rare pour être souligné, je trouve que cela fonctionne bien dans l'ensemble surtout que Fripp est toujours là pour rajouter son petit grain de sel (Bolero : The Peacock's Tale ou encore Cirkus), ce qui donne un petit côté intimiste, jazzy et sombre à la fois.

J'ai toujours eu du mal avec le disque (plus maintenant), j'avais beaucoup de mal à accrocher aux morceaux Indoor Games et Happy Family.
Indoor Games sonnait comme un travail "pas fini" et Happy Family bien que contenant de bonnes choses me semblait bien fade.
Après pléthore d'écoutes sans pauses, je me suis accomodé à ces titres.
Leur trouvant à chacun des bons trucs qui en font des bons morceaux.
Par exemple, le côté très jazz et sautillant de Indoor Games. Qui  me sonne comme un morceau pétillant et particulièrement relaxant, détendu et de bonne humeur.
Happy Family serait son pendant sombre. Jazzy, sautillant, pétillant toujours mais il y a un petit je- ne- sais- quoi qui le rends sombre ( pas trop bien sûr). Sûrement la voix saccadé de Gordon Haskell, pourtant chaude et ronde, toute en volupté.

Il reste que je pense que sur les 5 titres qui composent l'album, ces deux morceaux restent les moins intéressants...
De toute façon comment rivaliser avec, au hasard, Cirkus, morceau d'une profondeur incroyable ? Passant en l'espace d'une seconde du statut de morceau plutôt mélancolique ( la guitare de Fripp me chamboule totalement ici) au statut de morceau sombre et glauque, grâce au melotron...
D'ailleurs, pendant que j'y pense, parlons un peu du rôle de Fripp, qui est ici plus en compositeur qu'en joueur, il regarde ses musiciens jouaient. J'adorerais moi, lui il aime pas... Cela me rendrait serein perso... Reste qu'en tant que guitariste, il reste génial mais il se fait plus rare, chacune de ses apparitions se vivent se délectent tant elles se font rares.
D'ailleurs, vous l'entendrez plus à la sèche qu'à l'électrique.
Reprenons la description des morceaux.
Lady Of The Dancing Water est le morceau bucolique de l'album, le morceau apaisant.
In The Court Of The Crimson King avait Moonchild, In The Wake Of Poseidon avait son cadence and cascade (quelle merveille), Islands a son Prelude.
Lady Of The Dancing Water est belle, plus lente et franchement triste... Oui l'ambiance est champêtre, les paroles sont ravissantes et d'une poésie rare mais la musique est tristounette. Un très grand moment bucolique.
Et enfin, le moment que vous attendez tous, la pièce éponyme....
Une pièce réellement incroyable, à la fois joyeuse (Big Top), sombre (Bolero) elle est carrément polyvalente.
A noter, une superbe intro chanté par Jon Anderson (chanteur de yes à la voix suraigue) qui a la voix plus grave que d'habitude.
La fresque est d'une complexité absolue tant au niveau de ces arrangements (présences du cor anglais) qu'au niveau de ces sous aprties. The Battle Of Glass Tears est une sous-partie du titre (magnifique) qui est divisé en 3 parties. Imaginez, une sous aprtie, qui est elle-même divisé en 3 parties. Un truc de dingue!
Franchement, une merveille toute en rondeurs et en volupté, un chef d'oeuvre.

Lizard est, à l'instar de sa pochette, très beau... L'ambiance est opaque mais étonamment on s'y retrouve.
Les cuivres apportent une certaine fraicheur à l'ensemble, la voix de Haskell est d'une chaleur toute simplement magique...
Sans oublier, les fabuleux moments de gratte de Bob Fripp...
J'adore!

PS: Mention spécial à Mel Collins, saxophoniste de génie ainsi que flûtiste.
Et à McCulloch, qui fait les meilleurs roulés de batterie que j'ai jamais ouï.

FACE A
Cirkus (including Entry Of The Chameleon)
Indoor Games
Happy Family
Lady Of The Dancing Water
FACE B
Lizard :
a) Prince Rupert Awakes
b) Bolero - The Peacock's Tale
c) The Battle Of Glass Tears
c1) Dawn Song
c2) Last Skirmish
c3) Prince Rupert's Lament
d) Big Top