Steely Dan a changé son fusil d'épaule en 1974/75 en remplaçant ses musiciens attitrés (même si un d'entre eux, Denny Dias, guitariste, jouera en guest jusqu'en 1977, et est donc encore sur le disque que je réaborde aujourd'hui) par des musiciens de studio, tous de vraies pointures, des piliers que l'on retrouve souvent sur les meilleurs coups. Katy Lied, en 1975, quatrième opus du groupe qui, désormais, n'en est plus vraiment un, était le coup d'essai, globalement très très réussi, de cette nouvelle direction musicale, toujours sous la houlette du producteur Gary Katz. On ne change donc pas une équipe qui gagne : quand Donald Fagen et Walter Becker entrent en studio, dans la foulée, pour enregistrer leur cinquième opus, qui sortira en 1976, ils refont venir ces pointures, qui sont, dans le désordre le plus chaotique, et sans tous les citer (ils varient de morceau en morceau, en plus), Chuck Rainey, Victor Feldman, Larry Carlton, Denny Dias, Dean Parks, Rick Marotta, Chuck Findley, Bernard Purdie, Elliott Randall, Michael McDonald, Timothy B. Schmitt (ces deux derniers, des choristes)... Par rapport à Katy Lied, on a des différences (au revoir Derringer, Paich, Porcaro ; bonjour Marotta, Purdie, Parks), mais comme je l'ai déjà précisé hier en réabordant le précédent opus, si on n'est pas au courant de ces différences de musiciens, on ne s'en rendra pas compte : musicalement, The Royal Scam, 41 minutes (et 9 titres), cinquième opus du groupe, est très similaire aux précédents opus.
L'album est sorti sous une pochette que le duo, dans les notes de pochette de la réédition CD (notes qu'ils ont, comme pour les autres albums réédités, signées eux-mêmes), estime être la pire pochette d'album des années 70 avec celle de leur premier opus Can't Buy A Thrill. Je suis d'accord pour celle de leur premier album. Mais la pochette de The Royal Scam, personnellement, je l'adore ! On y voit un homme, allongé endormi sur un banc dans une gare (dans une salle des pas perdus), même si on ne distingue que le bas du banc de pierre, car le haut de l'image est une sorte de délire qui semble tout droit sorti de l'imagination de l'homme endormi, on voit son rêve ou son cauchemar : des gratte-ciels se transformant en bestioles. Reptile, rongeur, félin, quatre tours aux apparences monstrueuses. Je ne sais pas comment est venue, aux créateurs, l'idée d'une telle pochette, mais c'est clairement chelou et sans aucun rapport avec le contenu musical de l'album. L'album est une tuerie de pop/rock aux accents jazzy, plus que les précédents albums. En 1975, Katy Lied était encore très pop/soft-rock. En 1977, Aja, best-seller du groupe (qui récoltera un Grammy pour le disque), sera totalement jazzy, quelqu'un découvrant le groupe via Aja se fera une très imparfaite image de Steely Dan et sera étonné en découvrant les premiers albums. Coincé entre les deux albums, The Royal Scam, dont la chanson-titre ('l'arnaque royale') parle d'immigrés portoricains arrivant aux USA pour y vivre le rêve américain mais qui vont se fracasser contre la dure réalité de la vie, est un disque de transition. Musicalement. Pour ce qui est des textes, c'est toujours aussi cynique, drôle et parfois ambigu.
Sous-pochette (au verso, les paroles)
The Fez parle de préservatifs, une chanson sur la prévention sous des aspects rigolards et une musique assez lounge. Kid Charlemagne, orné de deux soli de guitare ahurissants de Larry Carlton, parlerait d'Owsley Stanley, manager du Grateful Dead et surtout trafiquant de drogue, concepteur de LSD, qui fournissait notamment le groupe qu'il gérait, mais aussi les Beatles à leur époque psychédélique. Le morceau, un des meilleurs du groupe et pas que de l'album, est une claque incroyable, cette guitare qui virevolte (le solo est d'une technicité telle qu'un guitariste amateur n'a aucune chance d'y arriver) laisse pantois. Autre grand moment de guitare, via une pédale wah-wah ici, Haitian Divorce, un morceau légendaire, immense, drôlatique (les paroles sont tordantes : He shouts, she bites, pour parler de la nuit d'amour, on s'imagine plein de choses avec ces quatre mots), musicalement parfait. Everything You Did, qui semble le morceau le moins grandiose du lot, se permet une pique sur les Eagles, qui répliqueront sur Hotel California la même année (pour ne pas citer le passage de leur chanson qui cite en partie Steely Dan : They stabbed it with they steely knives but they just can't kill the beast), une joute musicale sans lendemain et sans hargne (Timothy B. Schmitt fera partie des Eagles en 1979). The Royal Scam offre aussi le grandiose Sign In Stranger, au climat languissant (encore une fois, une guitare d'enfer), un The Caves Of Altamira remarquable, un morceau-titre inoubliable et plus sombre que le reste. Au final, 9 chansons, et parmi elles, au moins 9 grandes réussites. Cet album, mon préféré de tous temps des albums du groupe, est un chef d'oeuvre sous-estimé. Il pave la voie pour un futur sixième album qui, sorti en pleine année punk, foutera tout le monde à genoux, mais j'en reparle bientôt...
FACE A
Kid Charlemagne
The Caves Of Altamira
Don't Take Me Alive
Sign In Stranger
The Fez
FACE B
Green Earrings
Haitian Divorce
Everything You Did
The Royal Scam