Pour ce 295ème Track-by-track, un disque franchement excellent, même si j'ai mis du temps à vraiment l'apprécier. Il faut dire que ce disque sorti en 1980, septième album de Steely Dan, n'est pas leur meilleur. Mais Gaucho (car c'est de cet album qu'il s'agit) est quand même un excellent cru, très jazzy, produit à la perfection, enregistré avec Rick Derringer et Mark Knopfler (tous deux sur un titre, pas le même, en invités), d'une durée de 38,00 minutes pour 7 titres. Très pop et jazz, Gaucho est la suite logique du carton AJA de 1977, qui était une pure splendeur produite là aussi à la perfection (au point de sonner froid et calculé, comme fabriqué en chambre stérile, en laboratoire). Gros succès, Gaucho sera cependant le dernier du group pour une bonne vingtaine d'années, et il n'est pas un des meilleurs du groupe, on l'accuse d'être trop produit. Mais, franchement, il vaut le coup, ce disque, que voici :
Babylon Sisters : 5,50 minutes pour ce Babylon Sisters emblématique et grandiose qui ouvre avec grandeur, efficacité, puissance et élégance ce Gaucho assez sympathique. Entre les choeurs sublimissimes de Leslie Miller, Patti Austin, Lani Groves, Toni Wine, Diva Gray et Gordon Grody, et la musique, jazzy et pop à outrance, difficile de dire ce qui est le plus remarquable ici. Le groove est sublime, les paroles sont magnifiques, le chant de Donald Fagen (qui se contente de chanter, ici) assure. A noter, Walter Becker ne joue pas sur ce titre ! En fait, Becker ne joue que sur trois des sept morceaux de l'alum : Hey Nineteen, Gaucho et Time Out Of Mind... Il devait sûrement être plus derrière les consoles de mixage avec le producteur fidèle du groupe, Gary Katz !
Hey Nineteen : 5,05 minutes pour ce Hey Nineteen fantastique, un classique au même titre que Babylon Sisters, mais en moins groovy. Là, le chant de Donald Fagen est tout simplement puissant, il livre ici une de ses meilleures prestations, tout simplement (non pas qu'il chante moins bien sur le reste, mais là, c'est du niveau de Rikki Don't Lose That Number ou Aja, clairement...ou de Glamour Profession). Les paroles sont sensationnelles, Walter Becker assure aussi bien à la guitare (avec Hugh McCracken) qu'à la basse, la batterie de Rick Marotta est sublime, les choeurs de Zack Sanders et Frank Floyd aussi... Hey Nineteen est, dans l'ensemble, une des meilleures de Gaucho.
Glamour Profession : Alors là, je vais être clair : Glamour Profession, chanson la plus longue de Gaucho (7,30 minutes, la plus longue de loin, car aucune chanson, mis à part elle, n'atteint 6 minutes), est le sommet absolu de l'album. Et une des cinq meilleures chansons de Steely Dan avec Kid Charlemagne, Aja, Pretzel Logic et Haitian Divorce. Et si vous voulez encore cinq chansons pour faire un Top 10, prenez Rikki Don't Lose That Number, Deacon Blues, Bad Sneakers, Babylon Sisters et Show-Biz Kids. Voilà, c'est clair et net ! Tout est fantastique ici : outre le chant de Fagen, comme toujours imparable, la rythmique est hallucinante, groovy, jazzy, pop, endiablée, et les choeurs (Valerie Simpson, Leslie Miller, Zack Sanders, Frank Floyd) assurent à fond. Une remarquable section de cuivres dirigée par le grand Tom Scott, des musiciens (Steve Gadd, Steve Khan, Ralph McDonald, Michael Brecker, Rob Mounsey, Fagen lui-même mais, curieusement, pas Walter Becker) en grande forme, un texte sublime, une durée idéale, un sens du groove parfait...Glamour Profession, qui achevait la face A avec élégance, est un must absolu.
Gaucho : La face B s'ouvrait sur la chanson-titre, Gaucho donc, d'une durée de 5,30 minutes. La chanson daterait des sessions d'écriture de l'album précédent, AJA, mais fut mise de côté par le groupe à l'époque. C'est une chanson assez réussie, mais, il faut l'avouer, un peu moins que les trois précédentes, et surtout, moins que Babylon Sisters et Glamour Profession. Jeff Porcaro (de Toto) à la batterie (unique morceau de l'album où il joue, et dernière de ses collaborations à Steely Dan : Porcaro est mort en 1992, le groupe, lui, ne refera un disque qu'en 2000 après Gaucho). Le solo de guitare est de Walter Becker, et il est excellent. Une chanson bien foutue, sans être extraordinaire. Elle est probablement la cinquième meilleure chanson de l'album (sur sept), autrement dit, une des moins sensationnelles, mais elle offre quand même un très bon moment à l'auditeur.
Time Out Of Mind : Mark Knopfler à la guitare (le solo uniquement, car sinon, les guitares sont de Walter Becker et Hugh McCraken) pour ce Time Out Of Mind assez moyen. Morceau le plus court de l'album avec seulement 4,10 minutes, c'est une chanson jazzy et pop bénéficiant de choeurs (Michael McDonald, Patti Austin, Leslie Miller, Valerie Simpson) assez remarquables, et le solo de guitare de Knopfler est pas mal. Mais l'intérêt de la chanson est mis à part ça assez limité. Time Out Of Mind est, aussi, assez bien chanté par le toujours parfait Donald Fagen (qui tient les synthés et le piano électrique), mais c'est franchement une chanson nettement inférieure au reste de l'album et même au reste de ce que le Dan a fait de leur deuxième album à AJA. Mais ce n'est pas mauvais, juste moyen.
My Rival : On notera un autre invité sur ce morceau (après Knopfler sur le précédent), un autre guitariste qui, ici, partage la guitare avec Hiram Bullock (le solo, lui, est de Steve Khan) : Rick Derringer. Il ne joue que sur ce My Rival remarquable de 4,30 minutes, une excellente chanson pop/jazz nettement supérieure aux deux précédentes. Une chanson bénéficiant encore une fois d'une interprétation éblouissante (un des morceaux avec le plus de musiciens, dont les frangins Brecker, Steve Gadd, Ralph McDonald Tom Scott, Fagen...mais pas Walter Becker), de choristes immenses, de paroles assez amusantes, caricaturales dans le sens 'ce type est mon ennemi, et cette ville n'est pas assez grande pour nous deux, je vais lui faire la peau, il va payer' etc. My Rival est un peu décevant niveau texte, mais musicalement, quelle claque ! C'est sublime.
Third World Man : Enfin, le final, grandiose (5,15 minutes), de Gaucho, avec Third World Man, morceau immense, probablement le troisième meilleur après Glamour Profession et Babylon Sisters. Basse de Chuck Rainey, batterie de Steve Gadd, piano de Joe Sample, guitare de Steve Khan, solo de guitare joué par le grand Larry Carlton, synthétiseur de Rob Mounsey... Aucune trace musicale de Becker et Fagen ici (Fagen, évidemment, chante). Paroles très bien foutues, musicalement bluffant, Third World Man achève à la perfection ce Gaucho donc bien plus réussi qu'il n'y paraît, un disque très attachant, pas le sommet du groupe, mais un disque qui ravira ceux qui ont apprécié leurs précédents opus, et notamment AJA. Chanson grandiose !
Alors, que dire, donc, au sujet de ce Gaucho ? Moyennement aimé des fans du groupe, c'est un très bon disque, contenant, on l'a vu, des chansons imparables (mais aussi une ou deux qui le sont moins, sans être mauvaises), et servi par une production clinquante absolument grandiose, le son est sublime, léché, pop, jazzy...en fait, comme AJA. Et comme AJA, la production trop parfaite et clinquante (on sent vraiment que le groupe, résumé à Walter Becker et Donald Fagen depuis 1975, a passé du temps dans le studio, ce sont des perfectionnistes) rend le disque un peu froid. La perfection peut être une tare, parfois ! Musicalement, c'est sublime le plus souvent (là où, pour AJA, c'était toujours sublime), et il règne ici une ambiance jazzy indéniable, avec des textes encore une fois très cyniques. On préfèrera les albums précédents, notamment The Royal Scam ou Pretzel Logic, pour leur production également fantastique mais moins over the top, et on préfèrera aussi AJA (malgré sa production absolue) à ce Gaucho très bon mais un cran en-dessous des précédents opus. Bref, s'il est moins aimé que les autres, c'est dans un sens explicable, mais en même temps c'est aussi un disque, je trouve, un peu sous-estimé, et qui mérite franchement qu'on l'écoute. Si vous aimez Steely Dan, impossible de ne pas aimer ce disque, même si vous l'aimerez probablement moins que les autres.