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Pour ce 292ème Track-by-track, un disque sensationnel, probablement le meilleur album d'Hubert-Félix Thiéfaine. Sorti en 1984, c'est aussi son disque le plus court (7 titres, 34 minutes), et il est crédité aussi au nom du guitariste Claude Mairet. C'est Alambic/Sortie-Sud, un disque sombre, un des meilleurs albums de rock français (et un des trois sommets de cold-wave française avec Rue De Siam de Marquis De Sade et Play Blessures de Bashung). Si Thiéfaine a co-crédité l'album à Mairet, c'est parce que c'est Mairet qui a composé toutes les mélodies ; Thiéfaine, lui, n'a fait que les textes. La raison est simple, HFT était plâtré (du bras) suite à un accident de moto, et dans l'impossibilité de jouer de la guitare et, donc, de composer. L'ambiance générale est très sombre, glauque même, et ce disque, enregistré très rapidement, est le plus sombre de Thiéfaine. Un chef d'oeuvre noir, que voici :

Stalag-Tilt : Ligne de claviers entêtante... Milliards d'étoiles mettant leurs voiles carbonisés... Guitare acérée qui vient se superposer sur ces nappes... Stalag-Tilt commence d'une manière radicale et totalement jubilatoire. Paroles assez obscures (c'est du Thiéfaine, donc, c'est parfois très bizarre, pléonasme), et musicalement très new-wave, avec ces claviers à la Soft Cell et cette guitare inoubliable...et la voix morne, plaintive dans un sens, d'Hubert-Félix... Stalag-Tilt est une chanson aussi courte (3,35 minutes) que marquante et intense. Immense. Et ce n'est que le début.

Whiskeuses Images Again : Riff fantastique pour l'intro de ce Whiskeuses Images Again assez réussi, marquant l'entrée des choristes (Carole Fredericks, Janice Jamieson, Yvonne Jones, Marie Ruggeri) dans les refrains : Oooh, bloody man... Paroles franchement absconses (Vieille copie du terrien-terreur tirée au ronéo-chibreur/Souvent, j'aimerais faire fonctionner la génération spontanée...) pour une chanson qui semble parler d'un homme aux prises avec une addiction à la tise et sombrant dans la folie à cause de son alcoolisme (ce genre de trucs). Whiskeuses Images Again n'est pas mon morceau préféré de l'album, mais il est quand même assez réussi, un des plus cultes du répertoire de Thiéfaine.

Nyctalopus Airlines : 5,30 minutes assez marquantes. Rythme lancinant, guitare livrant un riff assez tendu, paroles totalement cintrées (Au nom du Père, au nom du vice, au nom des rades et des mégots), claviers entêtants, Nyctalopus Airlines n'est, là encore, pas un morceau à écouter à la légère, il est très sombre et radical. On y parle d'alcool encore une fois, et difficile de se demander à quel point Thiéfaine devait se sentir mal quand il a écrit ça, car on sent bien un profond mal-être derrière les paroles givrées (Je flye vers le chaos caché dans les vestiges de ma mémoire/Quand je ne sais plus de quel côté se trouvent les mes yeux dans les miroirs). Nyctalopus Airlines est encore une fois un morceau de choix pour le chanteur, un des meilleurs de l'album.

Femme De Loth : 3,30 minutes, le morceau le plus court, qui achève la face A sur une note plus rock que pour les deux précédents morceaux. Femme De Loth est une allusion à la Bible, la fuite de Loth et de sa famille, devant partir de Sodome et Gomorrhe sans se retourner pour voir la ville en flammes (la femme de Loth s'est retournée, et pof, transformée en statue de sel : Ne vous retournez pas, la facture est salée est un beau jeu de mots là-dessus). Femme De Loth est plus rock que de coutume, on sent un Thiéfaine qui reprend du poil de la bête, ou alors, c'est la courte durée de la chanson qui veut ça. Histoire, aussi, d'achever la face A sur une note plus énergique. C'est une excellente chanson, bien que simpliste musicalement parlant. Ne te retourne pas...

Buenas Noches, Jo : La face B s'ouvrait sur les presque 5 minutes de Buenas Noches, Jo, une chanson assez osée, marquante, cinglante sur le cul. Paroles totalement cintrées (Soudain je t'aperçois, petite, entre un flipper et un juke-box, frottant ton cul contre la bite d'un hologramme de Ranx Xérox, et au moment où la machine te plaque sur son parking géant, j'arrache ta fermeture de jean et m'engouffre dans ton néant... mais que fumait Thiéfaine ? A quoi carburait-il en 1984 ?)... Musicalement, Buenas Noches, Jo est très sombre, avec des choeurs aussi bien étranges masculins) que classiques (féminins). Difficile de décrire ce morceau, avec son ambiance poisseuse et ses claviers très '80's. Pas le meilleur de l'album, mais c'est un bon morceau quand même, avec une ambiance très cohérente avec le reste de l'album. Très space.

Un Vendredi 13 A 5H : 5 minutes tout rond pour mon morceau préféré non seulement de l'album, mais tout simplement du chanteur jurassien. Un Vendredi 13 A 5H commence bizarrement, un spoken-word de Thiéfaine, qui annonne un texte chelou, futuristico/délirant (il faut l'écouter pour le croire !) avant de laisser la place à la chanson proprement dite. Synthés marquante, fantastiques, basse grandiose, guitare de plus en plus présente (un riff immense surgira au centre du morceau), paroles totalement malades (Ce jour-là, j'pèterai mon cockpit dans la barranca del muerto/Avec ma terre promise en kit et ma dysenterie en solo), ambiance de folie, drive ahurissant jusqu'au final, Un Vendredi 13 A 5H se passe, en ce qui me concerne, de commentaires, c'est un morceau immense, légendaire. Clairement, définitivement. Le meilleur morceau de l'album. Voilà. En suppliant Wakatanka d'oublier de me réincarner... Mon Dieu, ce final... Cette mélodie de claviers, avec cette guitare tronçonneuse en arrière-plan...

Chambre 2023 (& Des Poussières) : Le morceau le plus long (6,15 minutes) et un des meilleurs d'Alambic/Sortie-Sud, ce Chambre 2023 (& Des Poussières). Là encore, les paroles sont assez étonnantes pour le moins (J'étais Caïn junoir, le fils de Belzébuth, chevauchant dans la nuit mes dragons écarlates et m'arrêtant souvent chez les succubes en rut, j'y buvais le venin dans le creux de leurs chattes... whoah, putain, le mec !). Musicalement, c'est du même acabit que le reste, d'une noirceur surprenante (difficile de se dire qu'après Alambic/Sortie-Sud, qui sera disque d'or, HFT passera à une pop/new-wave décevante avec Météo Für Nada et Eros Über Alles), et franchement grandiose. Chambre 2023 (& Des Poussières) est un des meilleurs morceaux de l'album avec Stalag-Tilt, Un Vendredi 13 A 5H et Nyctalopus Airlines, rien de moins.

 Alors, Alambic/Sortie-Sud ? Disque aussi quintessentiel que court (et il est très court), c'est une oeuvre franchement marquante, remplie de textes d'une profondeur et d'une noirceur insondables (Thiéfaine devait avoir le cafard, aucune autre explication possible), et de mélodies aussi entêtantes et synthétiques (les claviers ont une part immense ici) que profondément obscures. Pas un disque à écouter la nuit où quand on se sent mal dans sa peau, mais un album radical rempli de grandes chansons, et offrant même ma chanson préférée de HFT, ce Un Vendredi 13 A 5H tout simplement magistral. A l'arrivée, ce disque se place nettement en première position des albums de HFT, devant d'autres réussites telles que Soleil Cherche Futur, Autorisation De Délirer ou Le Bonheur De La Tentation. Culte et magistral.